Politique

EXCLUSIF. Le ministre de l’Industrie pharmaceutique Lotfi Benbahmed nous dit tout

Pénuries de médicaments, décrue de l’épidémie de coronavirus en Algérie, fabrication d’un médicament contre le coronavirus, lutte contre la corruption… Dans cet entretien exclusif, Lotfi Benbahmed, ministre de l’Industrie pharmaceutique nous dit tout.

Monsieur le ministre, quelle lecture faites-vous des derniers chiffres relatifs à l’évolution de la pandémie de Covid-19 en Algérie ?

Effectivement, on constate une décrue, pas seulement statistiquement, même au niveau des hôpitaux, il y a beaucoup moins d’entrées, beaucoup de guérisons, de plus en plus de lits libres, de moins en moins de malades en réanimation. Je pense que le nombre de personnes en réanimation intensive est significatif de l’état sanitaire du pays par rapport au Covid. La décrue est même très importante. Maintenant, on ne doit pas forcément crier victoire.

« C’est une victoire pour la système de santé »

C’est une victoire effectivement pour le système de santé parce qu’il a résisté, à un moment donné on pensait qu’il pouvait être débordé et il ne l’a pas été, et c’est aussi une victoire par rapport aux différentes mesures gouvernementales qui ont été prises pour mobiliser les gens et casser la propagation du virus, sur les frontières, sur les déplacements inter-wilayas, le report de la rentrée scolaire. Et puis il y a des comportements qui ont changé, les gens ont commencé à comprendre qu’il faut protéger les plus faibles en adoptant les gestes barrières. La vie va reprendre, la rentrée scolaire, universitaire, de manière progressive. Il est évident que tant qu’il n’y aura pas de solution vaccinale, d’éradication ou de disparition de ce virus, on se retrouvera toujours avec la possibilité qu’il y ait des formes de vagues ou de vaguelettes successives. Nous apprenons donc à vivre avec ce virus, d’autant que nous entrons dans la période hivernale dans laquelle les gens sont plus proches, dans des endroits fermés où les contaminations sont plus faciles et dans laquelle il peut y avoir des confusions avec la grippe. Donc plus que jamais, il faut être prudent. Le Covid n’est pas derrière nous, il est toujours là, on vit avec et on doit apprendre à travailler, à étudier, à avoir une vie familiale tout en prenant compte de l’importance des gestes barrières.

Quel est l’impact de la pandémie sur la disponibilité des médicaments destinés aux autres maladies?

Pour les ruptures de médicaments, il y a les causes exogènes et endogènes. Il faut savoir que les programmes d’importation des médicaments ont été signés en 2019 pour 2020 par l’ancien gouvernement, pas par celui-ci. Notre ministère de l’Industrie pharmaceutique n’a pris ses prorogatives qu’il y a quelques jours. Désormais, nous prendrons en charge la régulation. La première chose que nous faisons c’est de dresser un état des lieux et nous voyons qu’effectivement, un certain nombre de médicaments manquent, que ce soit en ville ou à l’hôpital. Et lorsque nous voyons les sommes considérables qui sont dépensées en Algérie, quatre milliards d’euros, deux pour la production et deux pour l’importation, il n’est pas normal qu’il y ait des ruptures.

Avec des sommes aussi importantes engagées, c’est donc un problème de régulation. Nous faisons le point avec l’ensemble des officines, distributeurs, hôpitaux, pour voir à quels niveaux les ruptures existent, quels sont les produits qui manquent, et je peux vous dire que nous constatons déjà qu’on parle toujours des mêmes produits, et souvent, ce ne sont pas des produits chers. Y aurait-il un intérêt économique à ne pas les importer par rapport à d’autres produits plus chers, qui sont disponibles et parfois mêmes périmés ? Donc nous prendrons les mesures qu’il faudra dans un système numérisé à notre niveau, lesquelles mesures permettront d’avoir la traçabilité des stocks à tous les niveaux et de pouvoir juguler ces crises-là.

Je pense qu’avec la mise en place de nouveaux outils, nous allons convoquer tous les laboratoires qui ont des ruptures. Ils ont un engagement vis-à-vis de l’Algérie, qu’ils soient producteurs ou importateurs, et nous apporterons les correctifs nécessaires. Il faudra quelques mois pour restaurer la situation, mettre en place de nouveaux outils de régulation. Surtout, nous avons déjà commencé à travailler sur les programmes de 2021 qui nous permettront d’assurer une régulation beaucoup plus fine de ce qui se faisait, pas seulement en termes de quantités livrables pour l’année 2021, mais aussi avec les périodes exactes où ces produits sont livrés. Nous devons absolument mettre en place des instruments de régulation qui assurent cette disponibilité continue des produits pharmaceutiques. Il n’y a pas de bonnes raisons pour qu’il y ait des ruptures de médicaments qui sont vitaux pour certaines personnes, que ce soit des médicaments du cancer ou d’autres pathologies. Donc, nous attirerons l’attention de l’ensemble des opérateurs. Il y a des obligations de déclaration, lorsque vous n’êtes pas à même d’assurer la disponibilité d’un produit, vous devez absolument le déclarer.

Aujourd’hui, nous prenons date et acte avec l’ensemble des opérateurs en Algérie, pour que lorsqu’ils ne peuvent pas répondre à un besoin vital, ils le signalent en temps et en heure. C’est-à-dire que dès que les stocks diminuent et qu’ils n’arrivent pas à y répondre pour pouvoir trouver des solutions.

« Il n’est pas normal qu’il y ait des ruptures de médicaments »

Parce qu’effectivement, pour certains produits, il y a des facteurs exogènes, ce n’est pas seulement un problème de régulation et de commande, c’est l’impossibilité pour l’opérateur de vous livrer. Il y a par exemple le Covid qui est passé par là, il arrive qu’il n’y ait pas de distribution sur un certain nombre de pays et c’est ce qui s’est passé pour certains médicaments anti-cancer qui manquaient à la PCH (Pharmacie centrale des hôpitaux, ndlr). C’est ce que cette dernière nous a donné comme explication.

Le Pr Bouzid a parlé de pénurie de certains médicaments destinés au traitement du cancer chez l’enfant…

Il dit que c’est depuis quatre mois. On aurait préféré qu’ils le disent avant, on aurait peut-être pu agir, en tout cas le ministère de la Santé qui s’occupait de la régulation à l’époque aurait pu agir sur cette problématique.

Nous nous sommes adressés à la PCH et nous avons constaté qu’il y avait des produits qui sont périmés aussi. Donc réellement, il y avait un problème de régulation, ce qui n’est pas normal. On ne peut pas avoir des produits qui périment et qui sont en même temps en rupture. Cela parce que certainement les engagements n’ont pas été faits en temps voulu. Nous allons voir aussi ce qui relève des compétences locales et des causes endogènes, ce qui relève aussi des causes exogènes comme il nous a été affirmé. Un certain nombre de ces produits viennent d’être régularisés d’après ce que m’a dit la PCH et nous nous inquièterons du reste.

L’attestation de régulation qui a été mise en place par l’ABEF (Association des banques et établissements financiers, ndlr), une autorisation que nous remettons aux opérateurs avant la domiciliation d’importation, va nous permettre de réguler le marché et justement de ne plus importer des produits dont nous n’avons pas besoin et d’orienter les opérateurs vers des produits dont nous avons besoin. On ne va plus surstocker des produits qui vont périmer alors que des produits comme ceux que vous avez cités, qui ne sont pas chers, étaient en rupture. Ce n’est pas normal. Il faut qu’il y ait de la régulation et nous le ferons en amont déjà, puisque nous demandons à chaque opération d’importation une situation sur les stocks et sur l’ensemble des engagements de l’ensemble des molécules pour ces laboratoires-là pour justement orienter l’importation et la production nationale vers les besoins que nous avons. Cela nous permettra à la fois de maîtriser la facture d’importation tout en luttant contre les ruptures.

La maîtrise de la facture de l’importation ne risque-t-elle pas de créer de plus grandes tensions ?

La maîtrise de la facture ne signifie pas l’aggravation des ruptures, bien au contraire. Cela nous permettra de réguler le marché. Comme je le disais, des médicaments parmi les moins chers du marché sont tout le temps en rupture, alors que des produits qui coûtent des dizaines de milliers de dinars sont disponibles. C’est cette problématique que nous devons prendre en charge.

Aussi, nous constatons que 95% des dispositifs médicaux ne sont pas homologués en Algérie. Il y a les quatre textes qui structurent l’Agence nationale des produits pharmaceutiques, qui sont au conseil du gouvernement désormais. Ce sont ceux de l’enregistrement, de l’homologation, du comité de prix et celui plus globalement de l’agence, qui vont permettre de mettre en place une nouvelle politique de gestion et de régulation justement à la fois de la production nationale à travers l’enregistrement. On sait comme je l’avais dit qu’il y a un certain nombre de producteurs qui voyaient leurs investissements totalement bloqués par des mesures administratives qui avaient des conséquences et sur la santé publique et sur l’économie algérienne. Elles seront levées avec ces nouveaux décrets qui permettront de mettre en place une nouvelle commission avec une nouvelle gestion, avec des normes et une numérisation aux normes internationales qui nous permettront d’avoir la plus grande transparence. Il faut parler de transparence parce que c’est un milieu où il y avait beaucoup de décisions qui se prenaient sans transparence, ce qui laissait ces dernières années des dérives parfois de corruption. Notre gouvernement justement travaille aujourd’hui pour appréhender les choses avec la plus grande transparence à travers tous les dispositifs que nous mettons en place, pour lutter à la fois contre le phénomène de la spéculation et de la surfacturation qui existaient et qui étaient préjudiciables à l’économie nationale, ou de la spéculation qui pouvait être préjudiciable à la santé publique par les ruptures ou simplement par l’orientation de la prescription pour un certain nombre de produits. Mais aussi pour créer un climat propice à l’investissement et au développement de la production nationale, créer un cercle vertueux qui tirerait le système vers le haut, un système où la valeur du travail et le mérite comptent, pas la spéculation ou la surfacturation. Les gens doivent gagner leur vie et se développer à travers la croissance, la création de valeur ajoutée. C’est ça le maître mot.

« Il faut parler de transparence parce que c’est un milieu où il y avait beaucoup de décisions qui se prenaient sans transparence, ce qui laissait ces dernières années des dérives parfois de corruption »

Donc nouveaux outils de régulation, renforcement de l’agence, textes réglementaires, numérisation, transparence, lutte contre la spéculation et la corruption, mais aussi création d’un environnement propice à l’investissement et à l’épanouissement des gens qui travaillent.

Vous avez parlé des attestations de régulation. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?

Ce sont des attestations qui ne créeront pas plus de ruptures comme certains ont voulu le faire croire. Nous les signerons d’une manière très prompte même avec un couloir vert pour tout ce qui concerne la production, les produits en rupture, mais nous nous attarderons sur les attestations de régulation de factures qui nous paraitront exagérément surfacturées ou qui concernent des produits dont nous n’avons pas besoin, qui sont déjà très largement en stock ou qui sont produits localement. Il y a des producteurs qui se plaignent de concurrence déloyale de produits importés, avec du dumping en termes de marge, de promotion médicale… Saidal en a été victime pendant très longtemps. Donc nous allons tout faire pour pouvoir lutter contre ces phénomènes-là.

L’attestation de régulation, comme son nom l’indique, son objectif c’est de réguler le marché et d’assurer la disponibilité du produit qu’il faut tout en préservant les équilibres économiques de notre pays.

Donc on n’importera plus jamais un produit qui est fabriqué localement ?

Comme l’a signifié M. le président de la République, l’importation ne doit être que le complément de la production nationale. On ne va pas priver nos malades bien sûr de produits dont ils ont besoin, bien au contraire. Nous allons créer les conditions pour qu’il y ait une disponibilité plus rationnelle et plus continue des produits pharmaceutiques à travers ce nouveau dispositif. Nous avons dans notre organigramme, à travers le décret qui est paru cette semaine, six nouvelles directions au niveau du ministère de l’Industrie pharmaceutique, deux administratives et quatre techniques : une sur la régulation, la seconde sur la veille stratégique et la pharmaco-économie qui permet d’évaluer le service médical rendu et les médicaments et d’avoir une fixation des prix avec les dernières normes internationales.

« On ne va pas priver nos malades bien sûr de produits dont ils ont besoin »

La troisième concerne le développement industriel pour accompagner nos producteurs et qui sera aussi sur la recherche et les essais cliniques qui sont un pan entier qui a été négligé ces dernières années et que nous comptons relancer. Enfin, la quatrième direction est celle de la numérisation avec l’objectif d’arriver l’année prochaine à zéro papier et que toutes nos procédures soient numérisées pour permettre aux opérateurs de suivre la progression de leur demande, comme cela se fait dans l’ensemble des pays développés, à travers des sites dédiés. Cela nous permettra aussi, en tant que ministère régulateur du secteur, d’avoir un tableau de bord pour monitorer les stocks et les dispositifs médicaux à la production, à l’importation, chez les distributeurs, dans les hôpitaux ou dans les officines. Cela permettra d’éviter qu’il y ait de la gabegie, non seulement dans le médicament mais aussi dans les équipements médicaux pour lesquels je rappelle qu’il n’y avait pas de programmes d’importation, ou très peu. Donc nous étions dans un secteur qui était très peu régulé et auquel nous allons nous intéresser très fortement.

Il y a eu le lancement de la fabrication des tests de dépistage de Covid-19. Ils sont déjà sur le marché ?

Ce sont les tests anticorps qui sont remboursés dans un certain nombre de pays. Ils sont déjà sur le marché et homologués, il y a des institutions, des sociétés, des cliniques, des laboratoires d’analyses qui les utilisent en Algérie. Ce n’est pas le test de référence, qui est celui de la PCR. Il y a huit ou neuf scénarii qui sont prévus par le comité scientifique qui préconise l’utilisation de ce test dans certaines conditions. Au-delà de ce produit, la semaine passée nous avons inauguré une unité qui va produire de l’enoxaparine, qui est une héparine à bas poids moléculaire. Elle était régulièrement en rupture pour des facteurs exogènes, parce qu’il est compliqué pour les multinationales de fournir l’ensemble du monde. Nous sommes heureux aujourd’hui de pouvoir la fabriquer localement avec la même molécule, donc il n’y aura pas de problème de qualité. C’est une classe thérapeutique qui nous coûtait plus de 60 millions d’euros par an. L’unité qui la produit est 100% algérienne et est tenue par de jeunes cadres universitaires algériens. Cela permettra de répondre à l’impératif de développer la production nationale et de sauvegarder la souveraineté sanitaire du pays. Cette même entreprise produit un autre médicament qui manque dans le monde parce que c’est un produit qui est préconisé par l’OMS pour la lutte contre le Covid. Il y a quelques années on nous expliquait que nos producteurs n’arriveraient pas à maîtriser certaines technologies, aujourd’hui on les maîtrise et nous en sommes bien heureux. Nous allons aussi sur l’oncologie, il y a des projets avec Saidal qui seront annoncés dans les semaines à venir, des projets qui nous permettront, avec ceux d’autres sociétés, d’avancer sur d’autres aires thérapeutiques.

Cet investissement que permet la générosité de notre système de sécurité sociale et la médecine gratuite, ce ne sera pas simplement un fardeau ou un secteur budgétivore, mais ce sera aussi grâce à l’industrie pharmaceutique qui est en plein développement, un levier de croissance pour le pays et une ressource vers l’export que nous comptons doper dès 2021.

L’Algérie suit-elle ce qui se fait dans le monde concernant le vaccin anti-Covid ? Y a-t-il des contacts avec les laboratoires qui ont lancé des tests ?

Oui, j’ai eu quelques contacts, mais je ne suis pas le seul qui gère ça. Avec M. le ministre de la Santé nous faisons partie d’un même comité. Il y a un certain nombre de pistes qui sont suivies et nous le faisons avec attention. Tout à l’heure, j’en ai discuté avec le directeur de l’institut Pasteur d’Algérie. Ce que je peux vous dire en tant que ministre de l’Industrie pharmaceutique, au-delà des pays amis que sont la Russie et la Chine, nous avons un certain nombre de laboratoires internationaux qui sont déjà présents en Algérie qui sont sur ces vaccins. Ce sont des laboratoires avec lesquels nous avons des relations continues sur nombre de sujets. Donc, si ça devait être eux les premiers qui auront l’option sur le vaccin, nous assurerons assez facilement l’approvisionnement. C’est un dossier que nous suivons, que le monde entier suit et qui va évoluer au gré des nouvelles évaluations, des nouvelles recherches. Ce qui est certain, c’est que l’Algérie, au plus haut niveau du pays, s’est engagée à assurer la disponibilité d’un vaccin, efficace bien sûr, et dans les meilleurs délais.

Dans certains pays voisins, comme la Tunisie et le Maroc, il y a eu des publications sur le Covid. Ils ont même lancé des recherches sur le vaccin. Pourquoi pas l’Algérie ?

Pour les publications, il y en a eu en Algérie, une douzaine ou une quinzaine. Elles ont été présentées au comité scientifique dès le mois de mars. Sur les études cliniques des médicaments contre le coronavirus, il y a eu des demandes, que je suis en train d’étudier. Elles ont été retardées et n’ont pas pu être mises en place. Nous venons de prendre nos prérogatives et nous allons tout faire pour permettre aux laboratoires pharmaceutiques algériens de pouvoir les réaliser. Il y a des demandes, au moins deux dont une devrait aboutir dans les jours à venir. Nous faisons les passations avec le ministère de la Santé pour récupérer l’ensemble des documents et nous espérons faire aboutir cette demande dans les prochains jours pour que cette étude clinique puisse être réalisée en Algérie.

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