Le Directeur général exécutif du groupe Cevital, Saïd Benikène, répond dans cet entretien au PDG du port de Bejaia. Il confirme la propriété pleine et entière de Cevital d’un terrain en dehors du port, rejette les arguments de la direction du port et fait part de son optimisme de voir cette affaire réglée dans les plus brefs délais.
La polémique enfle depuis quelques jours à propos du terrain destiné à l’usine de trituration de grains de Béjaïa…
Je dois dire que je suis très heureux d’avoir l’occasion de remettre les choses à leur endroit.
Nous vous avons déjà transmis une copie d’un livret foncier qui démontre d’une manière irréfutable que Cevital a acquis, le 28 mai 2017, une assiette de terrain d’un hectare cent située dans l’arrière-port, donc en dehors du périmètre du port et des prérogatives de son PDG. Nous vous remettons aujourd’hui un autre document, l’acte de propriété.
Ces deux éléments sont la preuve irréfutable que Cevital possède ce terrain. Vous pouvez, si vous le souhaitez, les publier dans leur intégralité. Nous invitons d’ailleurs l’ensemble de la presse à en faire de même et à venir à Béjaïa pour s’assurer physiquement que ce terrain existe.
Ce terrain a été visité par des élus locaux ainsi que tous les membres de la société civile qui se sont mobilisés dans le cadre de ce projet, en particulier les Comités de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques. Leur engagement inlassable a permis de faire vivre ce projet, malgré l’acharnement du PDG du port à empêcher sa réalisation.
Celui-ci a usé de tous les subterfuges possibles et imaginables pour refuser le déchargement de nos équipements depuis plus d’un an.
Initialement, il nous a opposé des articles du décret exécutif 02/01 du 06 janvier 2002 qui fixe les prérogatives des directeurs des ports dans les enceintes portuaires. Il m’a écrit pour me dire que c’est conformément aux articles 18 et 73 du même décret qu’il ne peut pas laisser décharger les équipements. En fait, l’article 18 définit ce qu’est une opération de transit et ne donne aucun droit au directeur du port d’autoriser ou d’interdire un déchargement. Quant à l’article 73, il définit les informations à caractère logistique que vous devez communiquer au port pour faciliter le déchargement de marchandises.
Par la suite, nous avons eu de nombreux échanges de courriers dans lesquels nous lui avons demandé de nous indiquer le texte précis qui lui permet de refuser le déchargement de nos équipements et qui lui donne cette prérogative. Nous n’avons jamais obtenu de réponse, le texte n’existant pas.
Le port de Bejaia est un prestataire de service portuaire avec lequel nous avons une relation commerciale. Cette relation consiste à décharger nos équipements du bateau vers le quai, prestation que nous payons.
Une fois ces équipement déchargés et sortis du port, le PDG du port n’est plus concerné par cette marchandise. S’il y a une problématique quelconque, il existe des services compétents de l’Etat pour vérifier et décider si telle ou telle marchandise doit ou pas entrer sur le territoire algérien. Ces mêmes services ont l’autorité de saisir tout type de marchandise, au lieu de la refouler.
Pour clore définitivement cette polémique inutile sur le terrain, j’invite tous nos concitoyens à consulter les réactions des autorités locales de Bejaia, auxquels le PDG du port s’est référé pour justifier ses déclarations trompeuses. Elles viennent de lui apporter sur les colonnes de « Liberté » un démenti cinglant, en confirmant que Cevital possède bel et bien un terrain à vocation industrielle, situé en dehors du port.
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Le terrain est donc à l’extérieur de l’enceinte portuaire, mais n’y a-t-il pas risque de nuisance ?
Nous avons fait toutes les études possibles et imaginables, et il n’y aucun problème de nuisance quelconque vis-à-vis de la route ou du port. Cevital est une entreprise sérieuse. Avant de nous lancer dans un projet quelconque, nous nous assurons bien évidemment que le terrain convient et que toutes les conditions légales et techniques nécessaires à sa réalisation sont réunies.
Le PDG du port parle de la nécessité d’obtenir des autorisations. Qu’en est-il ?
En effet, il parle maintenant d’autorisations. Je le dis haut et fort : il n’y a aucune autorisation à obtenir pour importer des équipements industriels en Algérie. Le groupe Cevital a acheté cette usine et l’a payée intégralement sur ses fonds propres, il en est donc le propriétaire légal et la direction du port de Béjaïa n’a aucune raison légale de bloquer son déchargement.
La direction du port a même prétendu qu’une fois les équipements déchargés, Cevital les laisserait dans le port…
C’est tout simplement ahurissant. Quel intérêt aurait Cevital à laisser sa marchandise dans le port ?
Nous nous sommes d’ailleurs engagés par écrit le 15 mai 2017 à sortir cette cargaison dès son déchargement. Nous avons également informé le PDG du port de Béjaïa que nous avions acheté un terrain en dehors de l’enceinte portuaire.
Les arguments qui sont avancés sont donc mensongers. Ils ne sont qu’une manœuvre destinée à couvrir un véritable crime économique, dont la victime n’est pas seulement Bejaia, mais toute l’économie de notre pays.
L’importation d’équipements industriels ne nécessite aucune autorisation préalable. Pour réaliser un investissement, Il faut obtenir l’autorisation du Conseil National de l’Investissement (CNI) si le montant du projet dépasse 5 milliards de dinars. Ce qui n’est pas le cas de notre projet. Hormis le permis de construire, nous n’avons aucune autorisation à demander. Donc il s’agit de faux arguments pour justifier un crime économique. Moi-même je suis assez surpris du silence des pouvoirs publics, j’ai écrit aux différents ministres de l’Industrie et des Transports ainsi qu’aux trois Premiers ministres qui se sont succédé depuis mars 2017 et je n’ai obtenu aucune réponse. Nous avons expliqué notre projet en termes d’impact positif pour l’Algérie, expliqué la situation d’un point de vue légal et économique, mais nous n’avons jamais reçu de réponse.
Pourquoi ne pas installer l’usine dans un autre port et avez-vous reçu des propositions dans ce sens ?
La réponse à la deuxième partie de la question est non. Maintenant, pourquoi nous n’installons pas notre projet ailleurs ? Je vais répondre pas deux arguments. Le premier est d’ordre industriel et économique. Par souci de compétitivité, l’usine de trituration doit être à proximité de nos unités de raffinage qui sont à Bejaia. Le coût logistique est très important dans ce genre d’industrie.
L’autre argument est d’ordre juridique. Pour quelle raison le responsable du port de Béjaïa déciderait de l’endroit où Cevital installerait son usine ? Cette question ne le regarde pas.
La seule chose qui importe aujourd’hui aux Algériens est de savoir si nous avons besoin de créer des emplois, de développer notre tissu industriel et d’encourager les exportations hors-hydrocarbures. Si la réponse est oui, ces blocages incompréhensibles doivent immédiatement cesser.
Je suis cependant d’accord avec lui sur un seul point, lorsqu’il dit que nous sommes dans une République qui a des lois. Je lui dis : oui monsieur, ce sont ces mêmes lois de la République que nous vous demandons aujourd’hui de respecter et d’appliquer.
Pour notre part, nous respectons le PDG du port. Il est un partenaire important pour nous. Mais il doit appliquer la loi, faire son travail et éviter de s’arroger des droits qui ne sont pas les siens !
Toutes ces péripéties ont sans doute un coût. À combien l’estimez-vous ?
Après le refus de les décharger, nous avons stocké les équipements dans trois endroits. À Anvers, en Belgique, à Fosse-sur-Mer (Marseille) et à Malte. Tout cela coûte une fortune. Je n’ai pas le chiffre exact, mais nous devrions être à 2.5, 3 millions d’euros de frais supplémentaires, si ce n’est davantage.
Et puis, sans cette histoire de blocage, nous aurions probablement fini le montage de l’usine en mars 2018.
On parle de prémices de dénouement suite à une visite de la DIM de Béjaïa au siège de l’entreprise…
Effectivement, nous avons reçu la visite des cadres de la direction de l’industrie et des mines de la wilaya de Béjaïa, nous leur avons communiqué tous les éléments concernant le dossier de l’usine de trituration. À ma connaissance, ils ont ensuite rendu visite au directeur du port, probablement dans une optique de compréhension du sujet.
Si cette démarche permet un dénouement du dossier, nous ne pouvons qu’applaudir. C’est la première fois que cela arrive.
Toute action qui permettrait de sortir de cette impasse et d’éviter ce crime économique contre l’Algérie, contre la population algérienne et contre la population de Béjaïa qui attend cette usine et les postes d’emploi qui seront créés, est la bienvenue. C’est d’autant plus important que le président de la République a lui-même lancé deux appels les 1er et 19 mai de l’année passée, aux investisseurs, industriels et opérateurs économiques pour investir dans l’économie productive, participer à l’effort de redressement de l’industrie algérienne, participer à l’effort d’exportation hors-hydrocarbures et diversifier notre économie. Dans ce contexte-là, si un tel projet se voit bloqué sans aucune réaction des pouvoirs publics, je trouve cela assez incroyable !! C’est un très mauvais signal aux investisseurs algériens et internationaux. Pour résumer, le message est : n’investissez pas en usines, parce que demain vous pourrez subir la même situation.
Je saisis cette occasion qui m’est donnée pour en appeler au président de la République et lui demander d’intervenir pour mettre un terme à cette aberration qui n’a que trop duré. Il y va de la diversification de notre économie et de l’avenir de notre jeunesse, frappée de plein fouet par le chômage.
Êtes-vous optimiste pour la suite des choses ?
Nous sommes optimistes. Cevital s’est construit sur la persévérance. Depuis 1998, le groupe réinvestit chaque année 99% de son résultat. Quand vous investissez dans votre pays dans l’économie productive, vous ne pouvez pas être pessimiste. Nous sommes persévérants et optimistes pour notre pays, pour Cevital, non seulement en raison de la visite des cadres de la DMI de Béjaïa, que je remercie d’ailleurs au passage, mais aussi pour l’ensemble de la mobilisation populaire autour de ce projet. En Tout cas, nous avons gagné la bataille de l’opinion. Nous avons confiance dans l’intelligence, dans la vision et dans le sens de l’État et de nos institutions pour que cette affaire se règle sans avoir besoin d’aller au-delà de ce qui a été fait jusqu’à présent. D’autant plus que cette affaire n’est pas très compliquée, il suffit juste d’appliquer les lois en vigueur pour la régler.
Quel est l’intérêt du projet pour Cevital, pour Béjaïa, pour l’Algérie ?
Le projet se fera en deux phases. Dans une première étape, nous importerons les graines de Soja, de colza et de tournesol que nous traiterons dans notre usine. Cela s’appelle une intégration amont de notre activité industrielle. Aujourd’hui, comme tous les acteurs dans le domaine de l’huile en Algérie, nous importons des huiles brutes que nous raffinons. Cet investissement dans la trituration vise à ramener une partie de la valeur ajoutée chez nous. Nous importons les graines, nous triturons, nous produisons nos huiles brutes pour alimenter nos raffineries, tout en produisant les tourteaux de soja, base de la fabrication des aliments de bétail, qui constitue un enjeu considérable pour notre pays.
L’Algérie importe 1.5 million de tonnes de tourteaux de soja par an. Avec notre usine, nous serons en mesure de couvrir une partie de ce besoin.
Nous produirons 2.5 millions de tonnes de tourteaux. Une partie viendra en complément à la production des opérateurs existants pour couvrir les besoins du marché national. L’autre, plus importante, sera destinée à l’exportation.
Il faut savoir que l’Europe importe chaque années 34 millions de tonnes de tourteaux de zones très éloignées, avec des coûts logistiques très élevés. Nous sommes juste en face, et compte tenu de notre maîtrise des coûts logistiques, nous pouvons nous imposer avec des prix très compétitifs en Europe. Si nous exportons 2 millions de tonnes à 500 ou 600 dollars la tonne, c’est 1 à 1.2 milliard de dollars d’exportation, sur un seul produit, un seul opérateur.
La phase numéro deux consiste à faire produire les graines oléagineuses directement en Algérie par nos agriculteurs. Aujourd’hui, les grands céréaliculteurs algériens laissent leurs terres une année sur deux en jachère. Nous souhaitons utiliser ces terres laissées en jachères. Ainsi, les agriculteurs cultiveront pour nous les graines oléagineuses que nous leur achèterons par la suite. Il y a un double avantage, d’abord la terre produira tous les ans et puis, les graines oléagineuses enrichiront les sols en azote, permettant une meilleure récolte de céréales l’année suivante. C’est un cercle vertueux dans lequel nous faisons d’une contrainte une opportunité.
Sur le plan de l’emploi dont nos régions ont grand besoin pour se développer, notre projet permettra la création de 1.000 à 1.500 emplois directs, 2.000 emplois indirects. Sans compter plus de 100.000 emplois dans le secteur de l’agriculture, avec l’exploitation d’environ 3 millions d’hectares.