Yacine Oualid, 26 ans, est ministre délégué chargé des start-up au sein du gouvernement de Abdelaziz Djerad. Dans cet entretien à TSA, il revient sur son parcours et livre des détails sur son plan d’action pour booster les start-up en Algérie.
Qui est Yacine Oualid ?
Je suis un jeune Algérien, entrepreneur, startupeur. Diplômé de l’université algérienne, j’ai un doctorat en médecine. J’ai fait l’université de Sidi Belabbes. Contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas fait l’université de Boumerdes. À un moment donné, mon parcours s’est dévié de ma formation. J’ai été fondateur ou cofondateur de différentes entreprises dans des secteurs de l’informatique (cloud, sécurité informatique, digital marketing) durant ma formation universitaire.
Je suis un informaticien autodidacte. J’ai quelques casquettes d’expert en cyber-sécurité et en digital marketing. J’ai lancé quelques sociétés en Algérie et à l’étranger aussi dont les principaux métiers s’articulent autour du cloud, de la sécurité informatique et des solutions de gestion pour entreprises.
Qu’entendez-vous par expert ?
Ça veut dire que j’ai été consultant chez de grands groupes en Algérie dans différents domaines où je me suis spécialisé, j’ai été souvent invité en tant que speaker ou formateur aussi. Je n’ai pas eu une formation en informatique, étant autodidacte, mais je me suis retrouvé à un moment donné dans le domaine. C’était avant mon baccalauréat. J’avais 16/17 ans, maintenant j’en ai 26. J’ai lancé ma première entreprise à l’âge de 19 ou 20 ans, et j’ai lancé un certain nombre de business durant mon parcours universitaire, qui sont devenus populaires par la suite. Je me suis aussi lancé dans le domaine de l’entreprenariat en dehors du pays, pour la simple raison que l’écosystème algérien n’était pas favorable à ça, et j’occupe maintenant ce poste de ministre délégué pour essayer de pallier à ça.
Pourquoi avez-vous accepté de rejoindre le gouvernement ?
Parce que je considère que c’est une opportunité historique. Pour une fois, on a un gouvernement qui a accepté de recourir à des compétences jeunes. J’aurais très bien pu rester dans le monde entrepreneurial où je m’en sortais très bien, mais j’ai considéré qu’à ce moment de ma vie, je pouvais avoir plus d’apport pour la société en étant dans la politique et non dans l’entreprenariat.
Je considère que c’est une chance car je n’ai jamais été dans la politique et je suis dans un secteur où tout est à faire. J’ai été très critique envers les précédents gouvernements, je suis même sorti le 22 février. Je considère que ce gouvernement donne la chance à des jeunes d’essayer de participer eux-mêmes à trouver des solutions et faire évoluer l’économie nationale. Je pense que c’était une opportunité à ne pas rater.
Comment avez-vous été approché pour rejoindre ce gouvernement ?
J’ai été depuis des années impliqué dans l’écosystème start-up en Algérie. J’ai moi-même eu beaucoup de problèmes, des blocages à différents niveaux. Je pense que c’est un point en commun entre pas mal de membres du gouvernement. On a tous été parfois dans des situations de désespoir avec les précédents gouvernements. Là, on a la chance d’essayer de corriger la situation. Très modestement, je pense aussi que du point de vue technique, c’est quelque chose qui m’a passionné depuis des années. C’est un gouvernement de technocrates et mon apport de technicien sera d’une certaine valeur pour le gouvernement.
Quel est votre rôle au sein du gouvernement ?
Pour clarifier un peu les choses, c’est un nouveau ministère : le ministère des petites et moyennes entreprises, des start-up et de l’économie de la connaissance. Il y a trois ministres dans ce ministère, et moi je suis chargé de la start-up. Le ministère est un peu plus global, touchant à la PME et à la très petite entreprise (TPE) de manière générale, et mon travail s’accentue autour de la startup.
Mon rôle pour commencer sera d’abord de définir la start-up. En Algérie, on s’est souvent trompé sur la définition de la start-up, qu’on confond avec l’entreprise dans le domaine informatique. Il y a plein d’idées reçues autour de la start-up de la part des anciens gouvernements.
Qu’est-ce qu’une start-up ?
Une start-up est une entreprise dont le business model s’articule autour d’une idée innovante. C’est une entreprise qui dès les premiers jours d’existence se comporte comme une grande entreprise, avec un produit qui est innovant et qui peut s’adresser à un marché peu importe sa taille
Une startup est généralement une petite entreprise avec une croissance à la verticale. Après, on a différentes définitions selon les pays et les personnes, mais les critères les plus importants restent l’innovation et la scalability (évolutivité, ndlr), à savoir la possibilité de faire grandir la taille du marché à volonté.
Quel rôle prévoit de jouer le gouvernement dans le secteur des start-up en Algérie ?
Il y a plusieurs contraintes qui font qu’en Algérie il y a des startup qui n’arrivent pas à être créées. Des Algériens vont à l’étranger pour pouvoir lancer des startup dans des domaines d’innovation, et cela est notamment dû aux modes de financement localement qui ne sont pas adaptés aux startup. Il faut savoir que les startup sont des entreprises qui ont un taux d’échec qui avoisine les 80%. Avec un taux d’échec aussi important, le financement est différent de l’entreprise ordinaire. La startup algérienne peine à trouver du financement, n’a pas de cadre juridique qui favorise son activité et les jeunes algériens ont par conséquent plus de facilités à lancer des startup en dehors du pays qu’en Algérie.
Le plan d’action du gouvernement contient plusieurs points dans le volet des startup. Quelle est la priorité du gouvernement dans ce domaine ?
Nous prévoyons la création d’un fonds pour les startup. C’est un fonds qui va injecter des sommes dans des activités ou des idées de projet qui sont risquées, et tolérera beaucoup plus de risques qu’une banque.
Avant ça, on doit donner le cadre juridique des startup, les définir. On va donc labelliser les startup, et se lancer dans une activité de recensement des startup. Une fois que la loi sera votée, les startup pourront soumettre des dossiers pour avoir le label startup. Une startup labellisée pourra bénéficier d’un certain nombre de facilités d’ordre fiscal (exonérations fiscales et parafiscales), de facilités par rapport à l’exportation de services. Les startup bénéficieront de comptes bancaires en devises et de facilités pour exporter leurs services.
On prévoit également une prise en charge de l’État des frais d’enregistrement de brevets que ce soit au niveau national ou international pour les startup. On prévoit en outre une plateforme où toutes les startup seront répertoriées. On prévoit aussi de faciliter l’accès aux marchés publics. Nous sommes également en train de préparer des textes de loi en rapport avec le crowdfunding (financement participatif), qui n’a pas encore de cadre juridique dans notre pays.
En Algérie, il y a aussi pratiquement une impossibilité d’effectuer une levée de fonds à cause des formes juridiques inadaptées aux startup, que ce soit la SARL ou la SPA. Nous allons donc travailler sur une nouvelle forme juridique qui sera plus flexible que la SARL et moins contraignante que la SPA qui va permettre aux startup de pouvoir faire des levées de fonds et de pouvoir entrer en bourse plus facilement.
Les modes de financement des startup de par le monde ne reposent pas sur la dette mais principalement sur les investissements en capitaux propre ou equity. D’un côté, il n’y a rien de pire pour une startup que de commencer son activité avec une dette car le taux d’échec est très élevé, et d’un autre, les banques ne permettent pas de financer des entreprises dont l’activité est souvent méconnue et risquée sur le point de vue financier, cela va de même pour les mécanismes de financement actuellement utilisés en Algérie tel que l’ANSEJ.
Le financement repose essentiellement sur les investissements en capitaux, et ce via des investisseurs privés (ou business angels) ou bien par les capitaux risques (ou venture capital) qui investissent très tôt dans la vie d’une startup en espérant en tirer une plus-value plus tard, le projet de loi que nous préparons vise aussi à encourager les investisseurs à investir leur argent sur des startup et ce en proposant différents avantages fiscaux, ce nouveau cadre légal permettra aussi aux startup de faire plus facilement des levers de fonds sans être diluées.
Nous œuvrerons aussi à faciliter l’accès à l’e-payement pour les startup, ainsi qu’aux autorisations d’exercer certaines activités et aux homologations.
Enfin nous allons travailler en collaboration avec le ministère du Travail sur la création d’un cadre juridique pour les Freelancers ou travailleurs libres, ce qui permettra notamment aux startup de mutualiser la ressource humaine.
Comment le « label startup » sera-t-il défini ?
Il y aura des critères objectifs et des critères subjectifs, avec un comité qui va statuer. Les critères objectifs seront la taille, le nombre d’employés, le chiffre d’affaires et les actionnaires, puisqu’au moins 50% de la startup doit être détenue par des personnes physiques. Après il y a les deux critères les plus importants qui sont l’innovation et la scalibility. Ce sont des critères un peu subjectifs et il y aura donc un comité qui va statuer et dire si un projet est innovant ou pas.
Qui est ce comité qui va statuer ?
Il va être créé bientôt. Il permettra d’identifier avec une certaine flexibilité ce qui est innovant ou pas. On va établir un « Algerian Startup Innovation Index », une note qui permettra de différencier entre les startup peu et très innovantes. Composé d’experts, d’universitaires, de scientifiques, etc.
Quelle est votre réponse aux craintes d’insérer plus de bureaucratie dans le monde des startup ?
Quand on parle des startup, on parle d’entreprises qui représentent peut-être 2% des sociétés créées. Une startup est une entreprise innovante, donc on n’est pas dans le cadre de la création d’un Ansej bis. Ce qui nous intéresse réellement, c’est d’avoir réellement des champions, des Uber et des WhatsApp algériens, pas forcément de produire en masse des entreprises.
Quels délais vous donnez-vous pour mettre à exécution ces plans ?
On travaille sur deux axes. D’un côté on a des « quicks wins » (victoires rapides, ndlr) où on essaie de régler rapidement des problèmes auxquels beaucoup de startup font face. On parle par exemple d’exportation de services, de rapatriement de devises. Il y a beaucoup de startup en Algérie qui pourraient exporter des services et ramener de la devise dans le pays mais qui n’arrivent pas à le faire parce que les procédures de rapatriement de devises en Algérie sont souvent très compliquées. On travaille dans ce cadre avec le ministère des Finances et d’autres organismes.
Il faut comprendre que notre ministère est transversal. Pour la question du crowdfunding par exemple, on est parti voir le ministère de la Solidarité, on a parlé avec le ministère de la Culture… Le financement participatif n’intéresse pas seulement que les startup, il permet aussi de financer des projets artistiques, à but non lucratif, etc.
D’un autre côté, il y a des actions qui nécessiteront des textes de loi qui seront votées et prendront plus de temps. Pour le statut juridique de la startup, on se donne maximum six mois. Pour le fonds, il est déjà en cours. Je pense que ça ne va pas tarder.
Comment un fonds pour les startup peut-il exister sans qu’il n’y ait un statut juridique pour les startup ?
Nous avons différents chantiers en cours. L’Algérie a accumulé beaucoup de retard, donc on ne peut pas finir une tâche avant de commencer une autre. Nous sommes obligés de lancer plusieurs chantiers en même temps. Il y a certains chantiers qu’on peut lancer rapidement et il y en a d’autres qui nécessitent des textes de loi, ce qui va prendre un peu plus de temps même si on essaie d’avancer aussi rapidement que possible.
Ainsi dès sa création ce fonds permettra d’ores et déjà de financer des startup et ce avant que les lois ne soient discutées.