TRIBUNE. L’épreuve de vérification des connaissances (EVC) organisée une fois par an, pour les médecins à diplômes hors Union européenne, dont les Algériens, est l’une des principales portes d’accès à l’exercice de la profession de médecin en France.
Au terme de la procédure d’autorisation d’exercice (PAE), dont l’EVC n’est que la première étape, l’inscription au Tableau de l’Ordre national des médecins français leur donne le droit de plein exercice en France au même titre que les titulaires de diplômes français.
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Pour la session 2021, des milliers de médecins, venus d’environs 24 pays hors Union Européenne, ont pris part à ce concours. La publication le 4 février 2022 des résultats de l’EVC 2021 a relancé de façon virale sur les médias et les réseaux sociaux le débat sur l’exode des médecins algériens.
Et pour cause ! Sur les 1993 postes à pourvoir, 1200 lauréats, soit un taux de 60%, sont Algériens. Le chiffre a de quoi donner le tournis, jamais un tel chiffre n’a été atteint auparavant. Il suscite un ressenti d’être dépossédé de l’une de nos plus précieuses ressources humaines et une colère contre un Etat qui ne peut retenir ses médecins. Aux EVC de ces dernières années, près de la moitié des candidats étaient des Algériens et ils seraient déjà 16 000 à exercer en France.
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Quelles sont les motivations de ces candidats à l’expatriation en France et conséquemment quelles seraient les réponses à y apporter afin d’enrayer et atténuer cette véritable hémorragie ?
Les causes de cette saignée sont multifactorielles et multidimensionnelles. Elles peuvent être sériées en deux grandes rubriques : les causes extrinsèques liées à une politique délibérée d’attractivité de la France pour nos médecins et d’autres intrinsèques nationales répulsives qui poussent nos médecins, contraints et forcés àl’exil.
1- Causes extrinsèques et politique agressive d’attractivité des médecins algériens.
Sur la période considérée de 2008-2018, ce nombre a connu une croissance exponentielle, allant de 1 889 candidats inscrits en 2008, à 6 987 (+269,9%) inscrits en 2018, soit plus du triple (3,7 fois) en dix ans, avec un taux moyen d’évolution annuelle de +14 % par an.
Le nombre de postes ouverts aux EVC était très élevé en 2021, Une augmentation qui serait liée à l’insuffisance des personnels médicaux dans les hôpitaux de l’Hexagone, l’existence de déserts médicaux, signe que le système de formation français ne suffit plus à fournir le nombre de médecins nécessaire.
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Pour pallier le manque de personnel médical, la France fait appel à des médecins étrangers. Le recrutement de médecins dont le diplôme a été obtenu à l’étranger est donc devenu une nécessité pour l’hôpital public afin de pallier le manque de personnel médical.
La France a recours depuis 2007/2008 à la PAE ce qui lui permet de disposer dans des délais relativement courts, en moyenne de 3 à 5 ans, de médecins, alors qu’il faut compter 9 ans pour former un médecin généraliste et 10 à 12 ans pour le spécialiste.
La situation sanitaire actuelle en France liée à la pandémie covid 19 a mis a nu davantage la crise de la démographie médicale. Elle a poussé les autorités françaises à modifier à compter du 1er janvier 2021 la PAE et à la remplacer par une nouvelle procédure d’autorisation d’exercice plus attractive.
Le recrutement direct par les établissements de santé des praticiens lauréats des épreuves annuelles de vérification des connaissances est remplacé par un dispositif d’affectation ministérielle.
Pour chaque spécialité, les lauréats vont choisir, dans l’ordre du classement, le poste dans lequel ils réaliseront leur parcours de consolidation des compétences à l’image des affectations dans le cadre du service civil dans notre pays, l’encadrement en moins. Les lauréats sont assurés d’une affectation et donc un salaire garanti. De plus, la durée de ce parcours a été ramenée de 3 ans à 2 ans.
2 – Facteur intrinsèques nationaux :
Les motivations individuelles, les aspirations professionnelles, les multiples dysfonctionnements que vit le secteur de la santé, les difficultés sociales, économiques et politiques sont autant de mobiles déterminants dans la décision d’expatriation. L’insécurité pendant la décennie noire a contraint des centaines de médecins à l’exil pour s’installer en France
2-1 – Motivations personnelles : A l’instar des Algériens pendant la période coloniale et après l’indépendance les médecins algériens semblent afficher une forte disposition à l’expatriation. Leur destination privilégiée reste majoritairement la France pour des raisons historiques, culturelles, linguistiques.
Comme beaucoup d’Algériens qui choisissent d’émigrer, un grand nombre de médecins sont à la recherche d’une meilleure qualité de vie, de scolarité pour leurs enfants, de sécurité et d’épanouissement pour eux et leurs familles.
.2-2 : Les aspirations au perfectionnement professionnel : Les candidats à la PAE sont en général des médecins qui viennent de terminer leur spécialité. Bien que brillants pour la majorité d’entre eux, ils sont conscients des insuffisances et des lacunes dans leur formation théorique et pratique. Ils éprouvent le besoin et la nécessité de perfectionner et de consolider leurs compétences sous la direction et l’encadrement de staff médicaux hospitaliers performant, car accueillant la formation des internes français. .
2-3 : Dysfonctionnement dans le système de santé : Malgré les efforts consentis et les sommes colossales investies dans le système de santé, les jeunes médecins affectés dans les structures publiques, tout particulièrement lors du service civil, souffrent, des insuffisances dans les conditions de travail, vétusté du bâti, insuffisance des équipements, du consommable.
L’octroi de logement parfois insalubre, la cohabitation forcée des confrères et souvent l’arbitraire de l’administration qui pense en disposer comme bon lui semble dans nombre de cas sont autant de manque de considération et de respect pour les jeunes médecins du secteur public. La limitation des postes budgétaires dans le secteur public contraint nombre de médecins au chômage, faute de pouvoir s’installer dans le privé.
2-4 : Service civil et traitement discriminatoire des médecins.
Au-delà de son obsolescence et son inefficacité reconnues par les pouvoirs publics eux-mêmes, le service civil reste perçu par les médecins spécialistes comme une grande injustice inacceptable et anticonstitutionnelle.
Il introduit une discrimination entre les universitaires algériens, les médecins spécialistes étant les seuls soumis au service civil. Les grèves pacifiques des résidents en 2010 et 2018 pour une revendication légitime de son abrogation ou de profonds amendements ont été sévèrement réprimées.
Nous avons tous en mémoire les images de visages et de blouses ensanglantés des résidents tabassés. Il est à relever que c’est cette génération des résidents des années 2017 qui sont aujourd’hui et pour les années à venir les candidats potentiels à l’expatriation. La promesse exprimée à deux reprises par le Président de la république pour son abrogation ou de profonds amendements est à ce jour restée sans suite.
2 – 5 : Salaire et pouvoir d’achat des médecins en Algérie. Les salaires dans le secteur public d’un jeune médecin généraliste et un maître-assistant sont respectivement autour de 60 000 et 75 000 DA soit l’équivalent de 300 et 370 euros, soit des salaires de misère, les plus bas des pays du Maghreb…
Les expatriés dans la nouvelle PAE de 2021 toucheront autour de 2500 euros pendant une durée variant entre 2 et 4 ans puis autour de 4500 euro par mois, une fois la consolidation des compétences validée. Ces perspectives permettent aux expatriés dès l’âge de 34 – 35 ans en moyenne d’envisager un vrai projet de vie avec acquisition en toute propriété d’un logement, d’un véhicule et de mener une vie décente pour le médecin et sa famille. Ces perspectives sont quasi impossibles pour les médecins du secteur public, en dehors d’une aide parentale conséquente.
L’absence de perfectionnement des compétences, les considérations purement salariales, la dégradation des conditions d’exercice professionnel, socio-économique et politique créent un profond sentiment de malaise de la profession et poussent les médecins, notamment les spécialistes à l’expatriation.
De l’expatriation, à l’immigration puis à la naturalisation
Il est malheureusement attendu que cette expatriation n’est que la première étape qui mènera nos médecins à l’immigration et à moyen terme à la naturalisation d’un certain nombre d’entre-eux avec très peu de chances de voir ces médecins revenir exercer en Algérie.
L’expatriation des médecins résulte de la conjugaison de causes extrinsèques liées à des politiques d’immigration choisie attractives et agressives des pays d’accueil et des causes intrinsèques nationales répulsives.
Initialement dirigée essentiellement vers la France, d’autres pays tels que l’Allemagne et les pays du Golf s’y sont mis de la partie. Les pouvoirs publics se doivent d’y apporter des solutions structurelles profondes, professionnelles, économiques, sociales et politiques. A défaut, l’expatriation des médecins va écrémer de façon chronique une partie de la substantifique moelle que l’Algérie s’échine à former pendant de longues années.
*Président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Blida
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