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Exploration de Mars : entretien avec le Pr Nourredine Melikechi

Exploration de Mars : entretien avec le Pr Nourredine Melikechi

Pr Nourredine Melikechi, physicien algérien à la Nasa

Le Pr Nourredine Melikechi, physicien algérien à la Nasa, revient sur les objectifs derrière l’exploration de Mars, et l’envoi par la Chine d’un rover sur la planète rouge. Il explique en détails les défis technologiques d’envoyer des engins sur Mars, et les difficultés d’organiser une mission humaine sur la planète rouge.

Il est admis qu’atterrir sur Mars est une opération à risques. D’après vous, quels sont les défis majeurs auxquels le rover Zhurong est sujet lors de l’atterrissage ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

En effet, atterrir avec succès, en toute sécurité sur la surface de Mars est techniquement une opération complexe. Les différentes phases, à savoir l’entrée, la descente et l’atterrissage -phases désignées par l’acronyme anglais « EDL » pour Entry, Descent and Landing – sont de très courtes durées.

Elles sont certainement les plus difficiles de toute mission de ce type. L’objectif est d’atterrir sans endommager ni le rover, ni les instruments embarqués à bord du rover. Cette phase, EDL, a lieu après un voyage d’environ 300 millions de kilomètres.

Le rover chinois Zhurong, tout comme les rover qui l’ont précédé, est, au cours de son parcours, soumis à des stress de toutes sortes. Un autre défi clé est celui relatif à la navigation.

Atteindre l’atmosphère martienne et atterrir dans une zone spécifiée, nécessitent un système de navigation très précis avec des paramètres de contrôle permettant, le cas échéant de corriger ce qui doit l’être, et d’atteindre la cible.

Des écarts d’appréciation, même infinitésimaux, peuvent avoir des conséquences désastreuses, notamment sur la trajectoire du rover. Le rover Zhurong entre dans l’atmosphère martienne à une vitesse d’environ 20.000 kilomètres par heure.

Cela nécessite des protections de divers types, contre la surchauffe par exemple, résultant de son interaction avec l’atmosphère martienne. Dans un délai, relativement court, disons moins de 10 minutes, le rover doit ralentir avant de toucher le sol martien.

Ces opérations sont réalisées dans des délais plus courts que le temps nécessaire aux ondes radio d’arriver sur Terre. Cela rend le contrôle de ces opérations difficile. Il s’agit là d’un vrai défi technologique pour l’ensemble des ingénieurs et scientifiques.

Un atterrissage sur Mars passe par une entrée dans l’atmosphère de la planète à une vitesse très élevée. Cette entrée est suivie d’un ralentissement du vaisseau spatial au fur et à mesure qu’il approche la zone cible. L’aéro-freinage est un système qui ralentit considérablement le vaisseau spatial, mais pour ce genre de mission, ça semble très compliqué.

Quel est votre avis sur ce sujet et comment lors des précédentes missions martiennes telles que Perseverance ou Curiosity, ces opérations ont-elles été gérées ?

Les défis pour tous les engins spatiaux conçus pour atterrir sur Mars sont globalement les mêmes. Les différences sont surtout liées aux particularités de la conception de chaque engin et du site d’atterrissage cible.

Tout comme pour le rover Zhurong, pour Curiosity et pour Perseverance, tout atterrissage sur Mars nécessite des solutions technologiques innovantes. Les vaisseaux devaient être protégés contre divers risques, comme évoqué plus haut.

À titre d’exemple, la température à la surface extérieure du bouclier thermique dépasse les 1300 degrés Celsius lorsque le vaisseau spatial pénètre dans l’atmosphère martienne. Les solutions consistaient en l’utilisation de nouvelles technologies, notamment du bouclier thermique et du Skycrane, le système de grues maintenues à une certaine distance du sol par des fusées rétro-propulsives, système qui a permis au rover Perseverance de se poser en douceur à la surface de Mars. Je peux dire que c’était un énorme succès pour la NASA, pour la science, pour la technologie, et pour l’humanité.

La Chine envisage de faire atterrir sa sonde Mars Tianwen-1 sur Utopia Planitia, une plaine rocailleuse sur la planète rouge. Il s’agit du même site d’atterrissage que celui choisi par les Américains pour Viking 2 en 1976. À votre avis, pourquoi pour le rover Zhurong a-t-on choisi d’atterrir à Utopia Planitia ? Quelle valeur scientifique cette zone aura-t-elle pour l’exploration ?

La zone Utopia Planitia de Mars a probablement été choisie car considérée comme ayant le potentiel le plus élevé pour atteindre les objectifs scientifiques de la mission Tianwen-1 Mars, objectifs définis par nos collègues en Chine.

Globalement, ces objectifs intègrent la caractérisation de la géologie locale, de l’environnement et de l’atmosphère du site d’atterrissage, de l’identification du type de roches et sols présents à sa surface et la recherche de signes d’existence passée et actuelle de l’eau.

Il va sans dire, que ce sont des objectifs scientifiques très importants. Ces objectifs sont susceptibles de générer de nouvelles informations et pour certaines compléteront celles obtenues des autres missions d’exploration de Mars.

De plus, l’exploration de différentes régions de la planète Mars par différentes équipes scientifiques utilisant des instruments quelque peu différents a le potentiel de produire de nouvelles découvertes.

Un autre facteur qui a probablement contribué à la sélection de la région Utopia Planetia de Mars est que sa surface a été évaluée. En effet, cette zone est relativement plane et sans aspérités considérables du relief et de plus probablement anciennement recouverte de coulées de boues.

Le choix de la région d’Utopia Planitia de Mars couplé aux instruments analytiques embarqués à bord du rover Zhurong en font une mission d’exploration spatiale passionnante et prometteuse.

Le potentiel de la mission est énorme tant scientifiquement que technologiquement. De telles missions sont rares, celle du rover Zhurong fournira des informations nouvelles et importantes de la surface et du sous-sol de la région explorée, Utopia Planitia.

Je m’attends à ce que la combinaison des informations qui seront recueillies par le rover Zhurong avec les informations fournies par d’autres programmes d’exploration spatiale de Mars donnera un aperçu beaucoup plus global de Mars, de son environnement, de son atmosphère et de son potentiel d’habitabilité. La synergie entre les équipes apportera un plus considérable pour la science.

La Chine deviendra le troisième pays après les États-Unis et l’ex-Union soviétique à poser un rover sur Mars. Au-delà de cet aspect, quelle autre signification pourrait avoir cet évènement en cas de succès de la mission chinoise ?

Tout d’abord, permettez-moi de souhaiter à la Chine en général et à mes collègues chinois en particulier le succès total dans cette mission au moyen du rover Zhurong. Ce serait un succès fabuleux, excitant et le bienvenu non seulement pour la Chine, mais pour toute l’humanité et pour la science.

Le fait que la Chine tente de faire atterrir le rover Zhurong sur Mars est déjà un énorme succès, le rover Zhurong étant en orbite autour de Mars et se préparant de procéder à l’étape suivante de l’atterrissage.

Comme la science ne connaît pas de frontière, je ne serais pas surpris du succès de cette opération. Après le succès des dernières missions de la NASA, le succès du rover Zhurong pourrait donner de nouvelles visions et ambitions à d’autres pays qui investiront alors davantage dans l’enseignement et la recherche scientifiques, avec peut-être l’objectif d’aller visiter un jour, à leur tour, Mars ou d’autres planètes.

J’espère, en tous cas, que cette mission facilitera les partenariats scientifiques internationaux dans de nombreux domaines. Dans cette perspective les scientifiques du monde seraient amenés à coopérer et à travailler ensemble pour la recherche de solutions aux grands problèmes de ce monde : les pandémies, le changement climatique, la désertification, mais aussi la pauvreté et la malnutrition. Ensemble, nous pouvons faire mieux, plus efficacement et avec plus d’impact.

Les premiers mois de cette année 2021, l’atmosphère martienne a été approchée par plusieurs visiteurs venant de la Terre. En février, la sonde Hope de l’Agence spatiale des Émirats arabes unis et la sonde chinoise Tianwen-1 sont entrées en orbite autour de Mars. Le 19 février, la NASA a fait atterrir le rover Perservance transportant entre autres l’hélicoptère Ingenuity. Quelles sont les différences entre les missions martiennes depuis Tiangong-1 ?

Le fait que plusieurs équipes à travers le monde ciblent la planète Mars, c’est notamment pour profiter mutuellement des expériences, des leçons et des acquis des uns et des autres dans tous les domaines : connaissance de la planète, navigation, robotique, contrôle et bien plus.

Un des objectifs recherchés par les missions martiennes de la NASA, par exemple, est de trouver une réponse à une question fondamentale : sommes-nous seuls dans le cosmos ? La NASA a mené des missions vers Mars complémentaires les unes aux autres.

Ça a commencé par le survol de la planète par Mariner dans les années 1960, jusqu’à plus récemment l’atterrissage de Curiosity en 2012 et Perseverance cette année-ci. En termes d’objectifs scientifiques, les missions Mars 2020 et Tianwen-1 ont des points communs, bien que les deux rover explorent des régions différentes de Mars.

Les instruments embarqués sont différents, les données seront certainement complémentaires. Quant à Hope, j’ai eu le privilège de visiter le Centre spatial Mohamed Bin Rashid à Dubaï et d’apprécier l’excellent travail fait sur place.

J’en profite pour féliciter les ingénieurs émiratis d’avoir mis avec succès Hope en orbite autour de Mars. Il s’agit d’une réalisation majeure susceptible d’ouvrir de nouvelles opportunités scientifiques et technologiques pour les Émirats arabes unis, … et je l‘espère pour d’autres.

Hope inspirera plusieurs générations aux Émirats arabes unis et dans la région. Disons que, directement ou indirectement, les missions martiennes se complètent et chacune d’elles apporte un ensemble de données. Mises en commun, ces données augmentent notre capital des connaissances.

Les rover des trois missions auront beaucoup à faire sur la planète rouge. Pouvez-vous nous parler de ce qui en sortira au profit des humains ?

Oui, tout à fait, il y a clairement beaucoup à faire pour chacune des missions. Pour moi, le plus excitant est la recherche des signes de vie passée et le potentiel d’habitabilité humaine. Mars étant notre planète voisine, elle est un candidat potentiel.

Son sol contient de l’eau, son atmosphère est à 96 % de dioxyde de carbone avec très peu d’oxygène (environ 0,1 %). En un jour martien, la variation de température à la surface de Mars entre la nuit et le jour est de l’ordre de 100 degrés.

Contrairement à la Terre, Mars n’a pas de magnétosphère protectrice. Cette absence de protection, combinée à la fine couche de son atmosphère, signifie que la surface de Mars est exposée à un rayonnement cosmique et vent solaire de niveaux beaucoup plus importants que la surface de la Terre. En termes d’habitabilité humaine, il s’agit donc de défis majeurs.

Cela dit, les défis sont aussi des opportunités pour le développement de nouvelles technologies. À ma connaissance, l’éventualité d’emmener des humains sur Mars durant cette ou même la prochaine décennie n’est pas évidente.

Cela dit, avec les progrès de la robotique, nous sommes plutôt susceptibles de voir encore pendant assez longtemps des robots à la surface de Mars que de voir des humains s’y promener.

Pour ce qui en sortira, il est généralement admis que les missions spatiales génèrent des « gains » massifs de connaissances, incitent les jeunes à s’intéresser aux sciences et technologies, à découvrir, à créer et à innover, et offrent de nouvelles perspectives pour le développement dans de nombreux domaines. Je dirais aussi que lorsqu’on se fixe un objectif, aussi lointain soit-il, c’est bien de l’atteindre, mais le chemin qui nous y mène n’en est pas moins intéressant, ni moins passionnant.

Note :

*Quelques jours après cette interview organisée par une Agence de Presse Chinoise, le 22 mai 2021, le rover Zhurong a été débarqué sur le sol Mars avec succès. Bravo à nos collègues de Chine ! Cet entretien a été accordé au journal chinois Beijing Youth Daily. TSA le reproduit avec l’autorisation du Pr Nourredine Melikechi.

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