Confrontée à une fonte vertigineuse de ses réserves de changes, accentuant le malaise d’une économie moribonde, l’Algérie fait le pari de l’exportation. Officiellement, l’objectif est d’atteindre 4 à 5 milliards d’exportations hors hydrocarbures en 2021. La barre a été fixée par le président Abdelmadjid Tebboune l’été dernier.
Pour atteindre cet objectif, de nombreux obstacles qui barrent la route des marchés extérieurs aux exportateurs algériens doivent être levés, avec en premier lieu la réglementation des changes qualifiée de « répressive » en raison entre autres de la disposition qui criminalise le retard du rapatriement des sommes issues de l’exportation.
Les exportateurs ont beau jouer la carte de la « bonne foi » et même la garantie crédit à l’export Cagex, la loi prévoit des peines entre 7 et 9 ans d’emprisonnement contre tout exportateur qui ne rapatrie pas ses devises dans un délai d’une année.
Un projet de révision de la réglementation des changes est en cours d’élaboration. Est-ce la fin du calvaire des exportateurs ? Ce n’est en tout cas pas l’avis du directeur général de la Compagnie algérienne d’assurance de garantie des exportations (Cagex), Djilali Tariket.
« J’ai pris connaissance du nouveau dispositif. Personnellement, je ne vois pas de grande différence. Le dispositif est pratiquement maintenu dans sa globalité. En sanctionnant le non-rapatriement des créances de l’étranger, de peines privatives de libertés mais également de sanctions de commerce extérieur nos clients, les exportateurs se plaignent justement du dispositif qui est répressif à leur égard », déplore M. Tariket dans un entretien à la Radio algérienne, ce lundi 12 avril.
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Le responsable explique que le dispositif en cours fait une confusion entre les créances et les capitaux investis à l’étranger, « comme s’il s’agissait de deux concepts identiques ». Or, explique-t-il, les deux concepts sont différents.
« Quand une entreprise algérienne investit à l’étranger, elle est tenue de rapatrier les dividendes (bénéfices réalisés à l’étranger). S’il n’y a pas de rapatriement, là c’est effectivement la partie algérienne qui a fauté et elle mérite d’être sanctionnée. Mais, dans le cadre des créances nées sur l’étranger (une exportation), le dispositif sanctionne l’exportateur algérien pour n’avoir pas été payé par son client étranger ».
Une sanction jugée à tort par le patron de la Cagex, pour la simple raison, appuie-t-il, que cet exportateur n’est pas fautif dans l’opération. « Il a pris le risque d’exporter mais il est tombé sur un acheteur étranger qui peut être malhonnête ou qui n’a pas les moyens après un délai de paiement accordé, d’honorer ses factures. À ce moment-là et au lieu que le dispositif s’attelle à récupérer les créances nées sur l’étranger, à viser le client étranger du fait que c’est lui le fautif, il (le dispositif) s’oriente vers l’exportateur algérien sommé de rapatrier ses créances au risque d’être sanctionné », déplore-t-il.
Ce qui, de l’aveu de M. Tariket, revient à sanctionner doublement l’exportateur. « Ayant tout perdu, on lui dit qu’il va être sanctionné pour avoir enfreint le dispositif qui l’obligeait de rapatrier ses créances nées sur l’étranger. C’est un paradoxe qui reste à clarifier. Et je peux dire que dans la quasi totalité des cas, l’exportateur algérien peut ne pas être fautif. La faute est à mettre sur le compte du client étranger. C’est lui qui n’a pas payé ses factures », a martelé le responsable. « Et l’on se retrouve dans une situation où l’on passe d’un conflit algéro-étranger à un conflit algéro-algérien. Chose qui n’est pas normale », grince-t-il.
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« Peut-on réprimer un exportateur de bonne foi ? »
Le constat déjà posé par les exportateurs algériens a été réitéré par le DG de la Cagex : « La bonne foi d’un opérateur n’est pas prise en considération. « Le dispositif me paraît de nature exceptionnelle par rapport au droit pénal commun qui dispose qu’on ne peut sanctionner une personne que s’il a une intention coupable, frauduleuse ou autre. Le fait qu’on dise que la bonne foi d’un exportateur n’est pas prise en considération, cela me paraît totalement inédit », observe Tariket qui illustre son postulat à partir de cas concrets.
Comme par exemple lorsqu’un exportateur a affaire à un client qui, au moment de l’exportation apparaît totalement solvable, les délais de paiement pouvant aller jusqu’à une année. Mais ce délai passé, il peut arriver que le client en question ait eu des difficultés à honorer ses créances soit pour cause d’une faillite ou autre.
« Comment, dans ce cas, peut-on réprimer un exportateur qui lui a été effectivement de bonne foi ? La question reste posée », lance-t-il. Et d’enchaîner sur le fait que tous les exportateurs sont de bonne foi « jusqu’à preuve du contraire ». « C’est de cette façon qu’on pourrait créer cette confiance entre les pouvoirs publics (réglementation) et les opérateurs économiques », conditionne M. Tariket qui préconise d’adapter les lois économiques et commerciales pour qu’elles soient incitatives plutôt que répressives. « Le principe de bonne foi est universel et il doit être pris en considération », rappelle-t-il.
Quid de la garantie Cagex ?
La Cagex est un organisme d’assurance créé par l’État pour protéger les exportateurs (prévention, recouvrement, indemnisation), mais la réglementation de changes n’en tient pas compte, au grand dam des exportateurs ainsi que de cet organisme assureur.
« La réglementation doit tenir compte de l’assurance Cagex », plaide M. Tariket qui explique comment l’Algérie peut améliorer sa réglementation des changes pour favoriser les exportations.
« D’abord, c’est un dispositif (assurance Cagex) de prévention et non pas de sanction. La Cagex travaille sur des données internationales lui permettant de se renseigner sur les acheteurs étrangers où qu’ils soient. Elle peut conclure si une opération peut être réalisée. En même temps, l’assurance Cagex donne cette sécurité de remboursement à l’exportateur qui n’a pas pu rapatrier ses créances. En même temps, la Cagex a un rôle très important dans le recouvrement des créances grâce à ses partenaires et des relations à l’international qui lui permettent de récupérer les créances impayées où qu’elles soient dans le monde », énumère-t-il.
Le patron de la Cagex prône une démarche réglementaire de facilitation. « On a besoin de créer une ambiance de travail tout à fait loyale permettant aux opérateurs de prendre le dessus sur la peur et aller investir et vendre à l’étranger », développe le DG de la Cagex qui fait part du sentiment de découragement qui s’est emparé des exportateurs algériens avec cette épée de Damoclès qui est suspendue au-dessus de leurs têtes.
« Aujourd’hui, nos clients sont découragés d’aller vers l’export si, in fine, ils savent que s’ils perdent dans l’opération et ne parviennent pas à récupérer leur argent, ils risquent la prison. Cela me parait, à mon avis aussi, totalement paradoxal », s’emporte le responsable tout en appelant à laisser faire les entreprises exportatrices « pour créer cette richesse importante pour l’économie nationale et pour notre pays qui en a grandement besoin ».
Pour tenir le pari de l’exportation, l’urgence est de réformer la loi sur la réglementation des changes dans un sens beaucoup moins répressif.
« On a besoin de multiplier par dix les exportations. Malheureusement, ce n’est pas avec un tel dispositif que demain il y aura de plus en plus d’exportateurs », prévient Tariket. Si des dispositifs ont été initiés en faveur des exportateurs notamment en faveur des start-up et les PME qui s’orientent vers l’exportation, le DG de la Cagex appelle à leur généralisation aux exportateurs qui ont des ambitions à l’international.