Du stade d’importateur à celui d’exportateur : l’Algérie a changé de statut en quelques années pour devenir l’un des plus importants fournisseurs de ciment à l’Union européenne (UE), mais elle peine à franchir un nouveau cap.
Grâce à d’importants investissements dans la production, effectués dans les années 2010 pour répondre à une forte demande interne, soutenus par des investissements publics massifs dans les infrastructures de base et le bâtiment, l’Algérie est non seulement devenue autosuffisante en ciment, mais elle est désormais un acteur important sur le marché mondial du ciment.
Selon Business France, l’Algérie a fourni « 11 % des importations des ciments hydrauliques de l’UE en 2021. »
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En quantité, l’Algérie a exporté 1,05 tonne de ciments hydrauliques l’année passée vers l’Union européenne, ce qui la place à la « deuxième place au classement des pays fournisseurs, derrière la Turquie », selon la même source.
La Turquie possédait 44 % des parts du marché européen du ciment en 2021, contre 10 % pour l’Ukraine et 3 % pour le Maroc ainsi que la Tunisie (3 %).
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Si le volume d’un peu plus de million de tonnes paraît modeste par rapport aux capacités de production installées en Algérie qui sont de 42 millions de tonnes par an, il faut le comparer avec les quantités que le pays exportait auparavant pour mesurer le bond réalisé par les cimentiers algériens sur le marché européen.
L’Algérie victime de la faiblesse de sa logistique
« Alors que les quantités qui y étaient exportées n’avaient jamais dépassé jusque-là les 17 320 tonnes, les cimentiers algériens ont fait une percée sur le marché européen à partir de l’année 2019, où ils ont pu y placer plus de 288 000 tonnes », indique Business France.
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Importatrice de ciment jusqu’à 2017, l’Algérie a changé de statut pour devenir exportatrice de ce matériau de construction, en autorisant des investissements massifs dans ce domaine, notamment avec le groupe public Gica et le groupe français Lafarge, qui a été ensuite racheté par le suisse Holcim, ainsi que des privés algériens.
Dans le ciment, le changement de statut de l’Algérie s’est opéré en novembre 2017, avec la levée de l’interdiction d’exporter ce matériau de construction. Moins d’un mois après, Lafarge Algérie, l’un des deux plus grands acteurs sur le marché algérien, réalisait sa première opération d’exportation de 17.000 tonnes de ciment vers la Gambie.
En 2018, avec la crise économique qui sévissait en Algérie en raison de la baisse des prix du pétrole, les cimentiers algériens ont commencé à prospecter massivement les marchés étrangers pour trouver des débouchées à leur ciment et clinker.
De 23 millions de tonnes de consommation en 2016, dont cinq millions de tonnes étaient importées, le marché algérien est passé à 17 millions de tonnes de ciment par an.
La surcapacité dépasse les 23 millions de tonnes et l’export paraissait comme l’unique solution pour écouler ce que le marché algérien n’arrivait plus à absorber. Mais le chemin de la conquête des marchés extérieurs est parsemé d’obstacles, même si en dépit des retards de ses ports, l’Algérie s’est vite imposée comme un acteur important sur le marché mondial du ciment.
« En quatre ans, l’Algérie est devenue premier exportateur de ciment et clinker en Afrique et 2e en Méditerranée derrière la Turquie. Nous avons détrôné des pays comme l’Espagne et la Grèce », souligne Aouchiche, directeur des exportations et des relations publiques de Lafarge Algérie.
De seulement 17.000 tonnes en 2017, l’Algérie a exporté 6,2 millions de tonnes de clinker et de ciment en 2021 et va terminer l’année 2022 à 10 millions de tonnes. En 2021, la part du ciment dans les exportations algériennes était de 100.000 tonnes, une quantité qui devrait atteindre 700.000 tonnes en 2022, réalisés par Lafarge Algérie.
Sur 10 millions qui seront exportés en 2022, la part de Lafarge Algérie est de 3,5 millions de tonnes à l’export. Le groupe public Gica devrait exporter la même quantité. Le reste, c’est-à-dire trois millions de tonnes, sera réalisé par des opérateurs privés algériens, selon les prévisions d’un proche du dossier.
« On est loin d’exporter ce que demande le marché. L’Algérie peut exporter 15 millions de tonnes par an », selon M. Aouchiche, mais à condition de moderniser la logistique.
L’Algérie, en dépit de ses immenses capacités industrielles installées et de ses avantages comparatifs comme l’énergie bon marché et la position géographique, n’a pas les armes nécessaires pour franchir un nouveau cap et rivaliser avec de grandes puissances du marché mondial du ciment comme la Turquie. Pour M. Aouchiche, l’Algérie est confrontée à trois « grands obstacles ».
Le premier obstacle est lié à une logistique portuaire dépassée et mal adaptée aux exportations de ciment. Les ports algériens ne disposent pas de silos de stockage de ciment, indispensables pour réduire le temps de chargement des navires et donc faire l’économie des surestaries. Ajouter à cette contrainte, l’Algérie ne dispose pas de ports avec des tirants d’eau importants pour accueillir de gros navires, capables de transporter d’importantes quantités de ciment et de clinker.
L’avantage du gaz bon marché dont bénéficient les cimentiers algériens dans un contexte mondial marqué par la hausse du prix de cette énergie est « affaibli par le manque d’efficacité logistique » des ports du pays.
Ce qu’ils gagnent en énergie, les cimentiers algériens le perdent en frais de logistique, en raison des temps de chargement des navires plus élevés en Algérie qu’en Turquie et des moyens de transport des usines aux ports archaïques.
« Le temps de chargement d’un navire de 40.000 tonnes ne doit pas dépasser six jours. En Algérie, on charge 3.000 à 3.500 tonnes par jour alors que les Turcs sont à 8.000 – 10.000 tonnes par jour », compare M. Aouchiche.
« Il faut industrialiser la logistique, c’est ce concept qu’il faut intégrer », plaide M. Aouchiche.
Le deuxième obstacle est l’éloignement des cimenteries des ports. L’Algérie a conçu une industrie de ciment tournée davantage vers la demande interne qu’à l’export.
L’Algérie peut exporter 15 millions de tonnes de ciment
Les cimenteries sont excentrées par rapport aux ports en moyenne de 200 à 300 km, remarque M. Aouchiche. Un élément qui rogne sur les marges bénéficiaires des cimentiers. Les coûts de transport élevés impactent en effet la rentabilité des opérations d’exportations et affaiblit la position des cimentiers algériens sur le marché mondial.
Pour transporter leur ciment des usines aux ports, les industriels ont recours aux camions, faute d’un fret ferroviaire développé. Cela demande un « parc camion énorme », remarque M. Aouchiche qui insiste sur la nécessité de doter les ports de silos de stockage pour « réduire les coûts logistiques » des exportations.
Autre inconvénient de la faiblesse de la logistique : l’Algérie exporte plus de clinker, c’est-à-produire le produit semi-fini, que du ciment, qui est un produit fini dont la valeur ajoutée est meilleure.
« On exporte davantage de clinker que de ciment alors que le marché mondial est demandé à 60 % de ciment », explique M. Aouchiche.
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La troisième et dernière contrainte est liée aux moyens d’acheminement du ciment des cimenteries aux ports pour l’exportation.
« Le meilleur moyen d’acheminer le ciment, c’est le rail. Les ports et la plupart des usines sont connectées au rail, mais on ne l’utilise pas assez, faute de silos. Pour le ciment, nous utilisons le camion-citerne, mais les capacités de transport ne sont pas suffisantes et le parc commence à vieillir. Pour le clinker, nous utilisons de simples camions à bennes qui sont disponibles », détaille le directeur des exportations et des relations publiques de Lafarge Algérie.
La situation du secteur du ciment illustre les difficultés de l’Algérie à développer ses exportations hors hydrocarbures alors que le pays s’est fixé comme objectif d’atteindre 30 milliards de dollars d’exportations hors pétrole et gaz à l’horizon 2030.