Pour de nombreux observateurs, en matière d’importation de blé, l’Algérie est la terre de prédilection de la filière céréales française. Cet adage ne semble plus d’actualité en raison de la concurrence du blé russe.
Les blés de la mer Noire et en particulier le blé russe, intéressent aujourd’hui l’Algérie. « Nous avons été satisfaits des blés importés de Russie », vient d’indiquer Nasreddine Messaoudi, secrétaire général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC). Entre la France et la Russie, la concurrence est sévère sur le juteux marché algérien des céréales.
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C’est le 16 novembre, à l’occasion du Global Grain qui se déroulait à Genève, que le représentant du monopole algérien des céréales s’est félicité des qualités du blé russe. Que ce soit pour le taux de protéines, la force boulangère ou le poids spécifique « souvent supérieurs aux origines européennes ».
Les blés de la mer Noire, riches en protéines
Les blés de la mer Noire et en particulier les blés russes présentent la particularité d’être riches en protéines, jusqu’à 12,5 % en moyenne avec des pointes à 14 %. Un critère qualitatif essentiel pour la confection de pain.
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Cette particularité est liée à la fertilité des sols, les chernozems ; des terres noires avec un fort taux de matière organique.
Autre atout de l’agriculture russe : la disponibilité en engrais azotés. Car, c’est avec les engrais azotés apportés en culture que le blé produit plus de protéines. Des engrais qui demandent cependant de fortes quantités de gaz pour être produits industriellement. Un gaz dont, contrairement à la France, la Russie dispose en quantités abondantes.
Des blés français en quête de protéines
Côté français, la teneur en protéines est en baisse. Cette année, à peine 42 % des blés tendres récoltés se situent au-dessus de 11,5 % de protéines contre 80 % en 2021.
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La cause ? Un meilleur rendement qui a fait que les grains se sont surtout gorgés d’amidon. Pour la filière française qui publie ces chiffres, il y a une autre cause : la hausse du prix des engrais azotés.
Au mois d’août, sous le titre “Les prix continuent de grimper”, Terre-net Média publiait le témoignage d’agriculteurs français : « J’ai acheté mon engrais à 600 euros, j’ai l’impression d’avoir fait une affaire. Pour rappel, je l’avais acheté 150 euros en 2020 et 300 euros en 2021. À ce rythme, l’an prochain je l’achète à 1 200 ? »
Selon des analystes, les agriculteurs français font face à la hausse des prix des engrais azotés, “catalysés aussi par les augmentations des tarifs de l’urée venue du Maghreb et du Moyen-Orient et par la remontée des coûts du fret.” Rappelons-le : sans azote, pas de blé riche en protéines.
Les agriculteurs français font également face aux mesures environnementales réduisant l’emploi d’engrais azotés, accusés d’être à l’origine de la pollution des nappes phréatiques par les nitrates.
Blés français, sensibles à la germination sur pied
Si les blés français bénéficient d’une proximité géographique avec l’Algérie, ils sont cependant sensibles aux pluies tardives. Des pluies qui peuvent être à l’origine de germination des grains sur épi.
Cette germination est parfois invisible à l’œil nu, mais un test de laboratoire peut la détecter : le test de Hagberg. Un test exprimé en temps de chute et donc en secondes.
Le cahier des charges de l’Office algérien des céréales (OAIC) indique que ce paramètre ne doit pas être inférieur à 240 secondes. Moins le temps de chute est élevé, moins la farine a de consistance car le blé est germé.
Si en 2022, 96 % des blés tendres français présentaient un test inférieur à 240 secondes, ce taux était seulement de 52 % de la récolte de l’année précédente.
La cause : “Des pluies estivales particulièrement fréquentes et généralisées sur l’ensemble du territoire”, selon FranceAgriMer et Arvalis. Des pluies avant récolte qui auront provoqué un début de germination. Or, une farine issue de blé germé ne permet pas de faire du bon pain.
Plus grave, si on peut faire des coupages entre blés de niveaux différents en protéines, cela est impossible avec des blés germés. Ils sont pratiquement irrécupérables pour la panification.
France-Russie, un match serré
En juillet 2021, le site spécialisé Agflow parlait des blés russes avec des tests de Hagberg de 350 secondes et des blés ukrainiens jusqu’à 450 secondes. De quoi faire la joie des boulangers.
Les blés russes présentent cependant deux points faibles. Le premier concerne leur attaque par des insectes : la punaise du blé. La qualité de la farine s’en trouve amoindrie. Le cahier des charges de l’OAIC a longtemps indiqué un taux-limite de grains punaisés de 1 %. Ce qui excluait les blés russes. Mais à la mi-novembre 2021, ce taux a été ramené à 0,5 %.
A ce propos, Nasreddine Messaoudi a paru optimiste : « Il y a eu des progrès. Nous avons des valeurs comprises entre 0,3 % et 0,4 %. » L’obstacle est donc levé.
Reste les wagons de chemins de fer. Dans son numéro du 7 novembre, Le Western Producer, une publication canadienne, rapportait les analyses du cabinet de conseil Sovecon, axé sur la Russie : “Le manque de wagons céréaliers reste un gros problème pour les exportations et la demande de camions est extrêmement élevée, en particulier pour la route Terre noire-Rostov/Azov.”
Associer importation à transfert de technologie ?
Que ce soit en Algérie, au Maroc ou en Egypte, les traditionnelles positions commerciales de la filière céréales française sont remises en cause. De son côté l’OAIC mène une politique prudente. A Genève, son représentant a observé que l’Algérie diversifiait ses sources d’approvisionnements « auprès de 18 pays », ajoutant que « toutes les origines importées, incluant européennes (et françaises) ont donné satisfaction ».
Des importations provenant de 18 pays différents, dont la Lituanie. Une origine qui, l’année dernière, n’avait pas laissé insensible le premier ministre : « À cause de beaucoup de facteurs, nous importons du blé d’un pays dont la surface est de 1 % celle de l’Algérie, qui est la Lituanie, que s’est-il passé ? »
Les achats de l’OAIC pourraient être associés à une demande de transfert de technologie, notamment sous forme d’échanges entre céréaliers algériens, français, russes ou lituaniens.