Dans un rapport de terrain auprès de migrants arrêtés par les forces de l’ordre, l’association GADEM de défense des migrants dénonce des « arrestations de masse », des conditions de détention « inhumaines », des « violences verbales et physiques », et des « expulsions et refoulements en dehors de tout cadre légal ». Une situation qui contredit les engagements pris par Rabat depuis 2013
C’est une note sans précédent publiée par le Groupe antiracisme d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM). Dans son rapport d’une trentaine de pages, l’association, témoignages à l’appui, fait état de plusieurs arrestations de masse, notamment à Tanger, de discriminations basées sur l’origine, de rétention administrative cruelle et dégradante et enfin d’expulsions hors de tout cadre juridique.
Un florilège de débordements à caractère raciste des fonctionnaires de police mais aussi d’un dérapage –contrôlé ou non – de la politique migratoire du Maroc qui verse dans l’indignité.
La note, publiée le 11 octobre, intitulée « Expulsions gratuites », second volet d’une enquête de terrain sur la situation des migrants au Maroc, parle notamment d’arrestations dans la rue mais aussi d’irruptions dans les domiciles. Pour celles-ci, deux témoignages confirment que les forces de l’ordre se présentent à chaque fois cagoulés, entrant dans les domiciles des migrants et usant de la force et de coups pour les faire obtempérer. Parmi eux, certains disposant de passeports leur sont déchirés par les forces de l’ordre, comme l’atteste un Camerounais. Pour un autre migrant, du même pays, il a été question d’une arrestation alors que celui-ci était en route pour Rabat afin de renouveler son document délivré par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR).
« L’autre arrestation, le 11 septembre [la personne a été arrêtée une première fois le 7/09/18], ils [les forces de l’ordre] sont tous venus à 8h à la maison […] et pour éviter les représailles, quand ils ont frappé, on a ouvert. C’était une brigade antigang avec les cagoules. […] Deux personnes en cagoule m’ont neutralisé et mis à terre. J’ai commencé à parler et demander ce qui se passait. Deux ont commencé à me frapper au niveau des côtes avec des coups de poings. » (Témoignage de B. Sénégal recueilli le 28/09/18 à Rabat)
L’association GADEM ne manque pas de souligner qu’il s’agit ici d’arrestations arbitraires « de toute personne noire non ressortissant marocain », faisant fi de la régularité ou non de sa situation administrative. Cette pratique, comme l’affirme l’association, aurait pout but de satisfaire des « quotas journaliers fixant un nombre d’arrestations »
Un lieu focalise l’attention du GADEM, le commissariat central de Tanger : « Les personnes qui y sont maintenues ne sont plus déplacées de force sur le territoire marocain, mais expulsées directement vers leur pays d’origine ». Deux autres commissariats semblent également avoir le même but, celui de Beni Makada et celui du quartier d’Al Aouama. A l’intérieur de ces postes de police, des tris sont opérés pour distinguer entre les personnes à déplacer de force vers le sud du territoire, en l’occurrence Tiznit et les personnes qui feront l’objet d’un éloignement du territoire. Les conditions à l’intérieur sont plutôt précaires, selon les témoignages.
« Il y a des blessés et des malades dans le commissariat. Beaucoup toussent, ont de la fièvre. Nous sommes tous constipés, on fait pas la selle. Deux semaines, sans selle. Une personne a fait les selles et le sang est sorti. Ils [les forces de l’ordre] lui ont dit d’envoyer un morceau de bois dans ses fesses pour faire sortir les selles. » (Témoignage de A. Cameroun recueilli le 3/10/18 par téléphone)
« On nous a donné des couvre-lits. En haut, c’est pas une terrasse, c’est du zing. Il fait chaud làbas. Avant-hier [4/10/18], on a coupé l’eau des toilettes, des quatre toilettes. Deux jours. On doit aller chez les policiers ouvrir le robinet. » (Témoignage de J. Sénégal recueilli le 6/10/18 à Rabat) « Nourriture : matin pain, midi pain, soir pain. Et du lait trois fois par jour. » (Témoignage de J. Sénégal recueilli le 6/10/18 à Rabat)
« On nous donne du pain et du lait, rien d’autre. Ça fait trois jours que je ne mange rien. » (Témoignage de A. Cameroun recueilli le 3/10/18 par téléphone)
A part la déportation vers Tiznit, il est également question de refoulement vers le pays d’origine et de reconduite vers les frontières. C’est sur la légalité de cet éloignement que l’association qui pose problème selon l’association, le présentant comme « hors de tout cadre juridique ».
Rappelant ce que disent les textes législatifs et réglementaires, le GADEM précise que toute décision de reconduite à la frontière ou d’expulsion doit être prise par le ministère de l’Intérieur et être notifiée par écrit, motivée et communiquée à la personne concernée. Or, dans le cas des migrants subsahariens, aucun examen individuel n’a été réalisé. « Ces mesures d’éloignement du territoire sont prises à la suite d’arrestations massives et indiscriminées opérées à Tanger jusque tout début octobre 2018 », en rappelant la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui prévient de toute expulsion collective.
« Ils sont menottés et mis dans les cargos [bus] direct pour l’aéroport de Casablanca » (Témoignage de A.A. Cameroun recueilli le 4/10/18 par téléphone) « Puis le jeudi [27 septembre 2018], j’ai été envoyé à l’aéroport dans un bus. Il y avait aussi cinq Guinéens et trois Ivoiriens. » (Témoignage de C. Cameroun recueilli le 3/10/18)
« Ils [les forces de l’ordre] m’ont […] mis dans le bus et en route pour l’aéroport. Avec nous, dans le bus, il y avait des Guinéens, des Sénégalais, des Camerounais, au moins, mais y avait d’autres nationalités. Il y avait sept policiers avec nous et le chauffeur. » (Témoignage de B. Côte d’Ivoire recueilli par téléphone le 02/10/18)
Concernant les expulsions, le GADEM affirme qu’elles sont opérées sur des vols commerciaux. Citant différents témoignages, l’association précise que les migrants sont séparés par petits groupes dans chaque avion et les menottes leur sont enlevées afin de ne pas attirer l’attention des autres passagers.
« [Dans le bus pour aller à l’aéroport international Mohammed V de Casablanca] On était 5 ivoiriens. […] On était pas en groupe dans l’avion. Ils nous ont dispersés. 2 personnes, 2 personnes par vol. » (Témoignage de K. Côte d’Ivoire recueilli par téléphone le 6/10/18)
Forcés de monter dans l’avion, souvent les autorités ne laissent aucun téléphone ni aucun moyen pour les personnes expulsées de contacter leurs familles une fois arrivées à leur pays d’origine. Transportés par la compagnie nationale (RAM), comme l’attestent certaines photos, les expulsés sans tout de suite livrés à eux-mêmes à leur arrivée au pays.
« Je suis arrivé à l’aéroport, ils m’ont forcé d’entrer dans le vol. Quand je suis entré dans le vol, je n’avais rien sur moi comme téléphone, étant donné qu’on a pris mon téléphone. J’avais même pas d’argent pour dire que je vais arriver à l’aéroport, pour payer le transport pour arriver chez moi. Ils m’ont dit que nous, parce que nous étions le jour, 3, ils ont dit que non on va voyager comme ça sans un sous pour payer le transport dans nos pays. Nous on a dit « non, non on va pas voyager dans ses conditions » parce qu’on a même pas pour arriver dans nos pays. On va commencer à demander l’argent juste pour payer le transport. » (Témoignage de T. Camerounais recueilli le 4/10/18)
« Et ils [les forces de l’ordre] m’ont promis, ils m’ont promis la prison. […] Et que si je ne rentre pas au pays, ils me promettent même de faire les mauvaises choses. (Témoignage de M. Cameroun, recueilli le 9/10/18 par téléphone)
« J’ai refusé de voyager. Et moi je leur avais dit depuis que moi, je n’ai pas la famille au Cameroun pour dire que non je vais voyager. Que ma maman ne vit plus, mon papa ne vit plus. Ils n’ont pas voulu m’écouter, ils se sont foutus de moi. Ils ont dit que non ils vont me jeter au Cameroun comme ça sans même un seul franc, sans même un sou, pour payer le transport, pour aller nulle part. » (Témoignage de T. Camerounais recueilli le 4/10/18)
Comme l’indique la note du GADEM, ces expulsions ont lieu avec la collaboration des autorités consulaires des pays d’origine. A cet effet, un bureau a été installé près du grand stade de Tanger et où les représentants des autorités consulaires peuvent s’y déplacer afin d’y auditionner les personnes menacées d’expulsion. Le rapport fait également état de plusieurs cas de violences portées par les forces de l’ordre à l’encontre des migrants subsahariens, dont notamment certaines durant une manifestation.
En guise de conclusion, le GADEM appelle à mettre fin aux détentions illégales des personnes arrêtées, à l’ouverture d’enquêtes « sur les allégations de traitement cruels, inhumains et dégradants dont ont été victimes des personnes étrangères et de suspendre les expulsions collectives hors de tout cadre juridique facilitées par les chancelleries ». L’association recommande également « l’ouverture d’un débat et ouvert sur les objectifs et les finalités de la nouvelle politique migratoire du Maroc, à la lumière des événements récents et de prévenir les débordements racistes des fonctionnaires, notamment lors des arrestations en masse », peut-on lire sur la note.
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