Politique

Face à la contestation qui ne faiblit pas, le pouvoir en mal de solutions

Les annonces de Bouteflika destinées à contenir la colère populaire ont semble-t-il produit l’effet contraire. Depuis lundi soir, sur les réseaux sociaux et dans la rue, les Algériens parlent d’une énième manœuvre destinée à sauver ce qui reste du système, voire d’arnaque parfaite pour permettre à Bouteflika de rester au pouvoir sans passer par l’épreuve -insurmontable dans l’état où il est- des obligations protocolaires constitutionnelles.

Hier mardi, les rues d’Alger et d’autres villes ont vibré au rythme de nouveaux slogans dictés par l’évolution de la situation : « ni report ni prolongement », « non au viol de la constitution ».

Le mot est donné pour une autre grande journée de mobilisation. Ce vendredi 15 mars sera un sérieux test et pour la rue et pour le pouvoir. Une quatrième journée de forte mobilisation à travers le pays ne laissera pas beaucoup de marge de manœuvre pour le système en place qui en manque déjà terriblement.

Les mesures annoncées jusque-là démontrent clairement que le pouvoir est en mal de solutions devant la crise qui prend une ampleur inattendue. Cela s’illustre déjà par le prolongement du mandat présidentiel sans aucune assise juridique.

Au-delà du 28 avril, Bouteflika, s’il reste toujours en place, sera un président illégitime. Qui l’aurait pensé ? En 1994, il avait refusé le poste de chef de l’État que lui offraient les militaires sur un plateau, exigeant d’être élu président de la République, sinon rien. En 1999, le jour même de l’élection présidentielle à laquelle il était seul en lice après le retrait des autres candidats, il aurait menacé de rentrer chez lui si la victoire qui lui était promise n’était pas annoncée avec une très forte majorité.

Il se dit même que son insistance à aller vers le référendum pour faire avaliser la loi sur la concorde civile en 1999, puis celle sur la réconciliation nationale en 2005, fut dictée par son souci de combler son déficit de légitimité et de se défaire de l’image de président « mal élu » que lui collaient ses opposants.

Ne pas être « un trois quart de président » suppose une forte légitimité. C’est ainsi qu’on connaît Bouteflika. Que s’est-il passé pour qu’il se résigne aujourd’hui à entrer de plain-pied dans l’illégitimité, sans même l’avis du Conseil constitutionnel qui lui est entièrement acquis ?

Même les généraux qui avaient interrompu le processus électoral en 1992 ne s’étaient pas moqués des formes en procédant à un subtil habillage juridique de leur coup de force. La réponse est simple, Bouteflika est le système n’ont plus de solution. C’est sans doute la résultante de vingt ans de règne durant lesquels Bouteflika a tenu à faire le vide autour de lui.

« Il a tellement veillé à ce que rien ne pousse autour de lui qu’il n’a, aujourd’hui, même pas de remplaçant pour lui succéder », résumait Saïd Sadi il y a quelques jours sur les colonnes d’un journal français. Le constat du fondateur du RCD est d’une infinie justesse.

Le cinquième mandat, qui vaut aujourd’hui au système d’être fortement secoué, c’est d’abord la volonté de Bouteflika qui a toujours rêvé de funérailles semblables à celles de Boumediene, mais aussi un choix par défaut des décideurs, incapables de se mettre d’accord sur un successeur. Toutes les têtes qui émergeaient ont été coupées et le pouvoir, devant parer à l’urgence, ne trouve pas grand monde à rappeler.

Ramtane Lamamra, brillant diplomate jouissant encore d’un minimum de crédibilité, a accepté de reprendre du service, mais le système Bouteflika ne lui offre qu’une place de second couteau. Pour remplacer Ouyahia, on a préféré Nouredine Bedoui, ministre de l’Intérieur depuis 2015 et fidèle parmi les fidèles du président. La logique de clan prime même dans ces moments difficiles.

Même pour la conférence nationale présentée comme une énorme concession faite à la rue, on a choisi pour la présider un octogénaire connu pour sa proximité avec Bouteflika. Lakhdar Brahimi n’est pas une erreur de casting, c’est un autre choix par défaut. Il y a à peine dix jours, au lendemain d’une belle marche d’étudiants dans les rues d’Alger, deux autres octogénaires, Djamel Ould Abbas et Salah Goudjil, étaient nommés vice-présidents du Sénat.

Le système est incapable de se régénérer et certains y voient un signe de sa fin proche.

« Le régime algérien ne réalise pas qu’en formulant des concessions tardives et insuffisantes, il a déjà perdu la partie. Il paie aujourd’hui son refus de laisser émerger des figures susceptibles de rénover le système », écrit ce mardi Le Monde dans son éditorial.

« En plein désarroi, le régime algérien n’a toujours pas compris, ou ne veut pas comprendre. Il entend prolonger le quatrième mandat du président, en dehors de toutes dispositions constitutionnelles, sans même fixer de date à son départ, car il veut encore contrôler la transition de bout en bout. Sauver ce qui peut être sauvé », estime le quotidien français.

Ce souci de vouloir tout contrôler est une autre tare du régime algérien depuis l’indépendance. Sous Bouteflika, rien n’a échappé au verrouillage : aucun espace de liberté, aucune élection, aucun média, aucun parti, aucune organisation. Le système s’est complu dans son autoritarisme et n’a rien vu venir. Il se dit même que les manifestations actuelles ont été prévues par les services de sécurité il y a plusieurs années, mais leurs rapports n’ont jamais été pris en compte à cause encore de cette logique de clans qui a réduit l’État algérien à un ensemble hétéroclite d’institutions qui se tirent dans les pieds et qui complotent les unes contre les autres.

Cette sédimentation d’erreurs, de tares et d’incuries ne pouvait mener qu’à cette impasse historique de laquelle le pouvoir algérien et Bouteflika risquent de ne pas sortir.

 

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