Depuis quelques jours, l’opposition tente de donner un contenu politique au mouvement de rue contre le 5e mandat. Même s’ils peinent à parler d’une seule voix, les partis et les personnalités opposés au pouvoir du président sortant semblent avoir compris que le « Non au 5e mandat » ne peut pas être un projet politique durable et qu’il a besoin d’être accompagné, voire renforcé, sans toutefois chercher à l’encadrer. « Laissez le mouvement, il faut être avec les jeunes mais le mouvement, pour le moment, n’a pas besoin de porte-parole à mon avis », a souligné ce mardi M. Mustapha Bouchachi dans un entretien à TSA.
Le mouvement de colère, qui s’est accéléré après l’annonce de Bouteflika de se présenter pour un autre mandat le 3 mars courant, prend de l’ampleur avec les marches des étudiants et la grève des avocats. Une nouvelle grande marche est annoncée pour le vendredi 8 mars.
L’opposition a rejoint la rue
Secoué par la protestation populaire, le président sortant, en dépit de sa maladie, entend « gérer » lui-même son départ et choisir, dans la foulée, son successeur puisqu’il a promis « une élection présidentielle anticipée », même s’il n’a pas précisé de date. Bouteflika ne veut pas que l’Histoire retienne qu’il a été chassé par la rue. Il veut au mieux être l’homme de la transition démocratique dans le pays, au pire celui qui a vaincu la rue par des promesses d’ouverture politique.
En Face l’opposition, qui a perdu du terrain depuis l’échec du « processus de Zéralda » en 2014, essaie de rattraper le temps perdu, avec beaucoup de difficultés et de lourdeurs. Au départ, elle n’a pas eu une position commune sur la tenue de la présidentielle elle-même. Le FFS a appelé au boycott et le RCD à la non-participation. Mais, les autres partis, comme Talai’e Al Hurriyet, le MSP et le PT avaient envisagé de prendre part au scrutin du 18 avril avant que le rouleau compresseur populaire du 22 février ne les amène à reconsidérer leur décision et à accompagner la protesta populaire grandissante. Louisa Hanoune, Abderrazak Makri et Ali Benflis ont participé à la marche du 1 mars.
Désormais, l’opposition a rejoint l’action de rue. « 60 % du Madjliss Echoura (Conseil consultatif) a choisi d’écouter la rue », a avoué Makri pour expliquer son retrait de la course à la présidentielle. « La présidentielle aggravera la situation », a estimé Ali Benflis.
Certes, aujourd’hui l’opposition a choisi unanimement de boycotter l’élection présidentielle. C’est déjà un grand pas en avant face au pouvoir. Mais elle n’a toujours pas un projet commun pouvant être considéré comme une alternative politique crédible au projet du pouvoir de reconduire Abdelaziz Bouteflika pour un autre mandat présidentiel. Une absence de projet que le pouvoir va sans doute exploiter pour illustrer sa fameux « il n’y a personne de crédible pour nous remplacer ».
Retour à l’article 102 de la Constitution
En l’absence d’un projet, les propositions se multiplient. Louisa Hanoune, convaincue de l’existence « d’un processus révolutionnaire », propose de créer des « comités révolutionnaires » pour « protéger les manifestation des dérives ». La secrétaire générale du PT relance le projet de la tenue d’une Constituante pour résoudre d’une manière consensuelle la crise politique du pays. « Déclarez l’incapacité du président de la République », a lancé Louisa Hanoune.
Son appel a été repris par l’opposition réuni par Abdallah Djaballah au siège d’El Adala. L’application de l’article 102 de la Constitution, exigée par Jil Jadid, le parti de Soufiane Djillali depuis deux ans, est reprise avec insistance après l’annonce de la présence, qui s’étale dans le temps, du président Bouteflika à Genève pour des soins médicaux. L’article 102 porte sur l’état d’empêchement du président de la République et sur la vacance du pouvoir.
L’idée du report de la présidentielle du 18 avril est également relancée, mais n’obtient pas l’adhésion de toute l’opposition. Dans la rue, les manifestants ne sont pas contre la présidentielle ni contre aucun autre candidat, mais contre le 5ème mandat. Il est vrai qu’en cours de route, la contestation s’est développée en une demande claire pour « le changement du régime », le départ de Bouteflika n’étant qu’un symbole de ce « dégagisme ».
Face à la conscience politique aiguë manifestée par les algériens descendus dans la rue, l’opposition n’a pas d’autres choix que de changer ses méthodes, de rafraîchir son discours, de surmonter ses divisions et de remettre à jour ses logiciels. Sinon, elle sera elle-même dépassée, voire emportée, par le torrent contestataire actuel.