La Silicon Valley n’est pas la dernière à vilipender Facebook mais c’est pourtant presque tout le secteur technologique qui prospère sur le trésor que représentent les données personnelles mises en ligne.
Facebook, qui revendique 2 milliards d’utilisateurs dans le monde, est dans la tourmente depuis une semaine, littéralement cloué au pilori pour n’avoir pas su protéger correctement les données confidentielles de millions d’utilisateurs, qui ont fini aux mains de la firme privée britannique, Cambridge Analytica (CA).
Cette polémique lui a déjà fait perdre 14% en Bourse cette semaine et plus de 50 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Vendredi, le patron de Tesla et SpaceX, le très médiatique Elon Musk, a promis de supprimer les pages Facebook des deux entreprises, rejoignant ainsi le mouvement appelant à “effacer Facebook” (#deletefacebook) lancé ces derniers jours notamment via… les réseaux sociaux.
La veille, c’est Brian Acton, cofondateur de l’application de messagerie WhatsApp, qui appelait à quitter le réseau social. “Il est temps de se soucier de la vie privée”, dit celui qui travaille désormais pour Signal, une autre application de messagerie.
Brian Acton, dont la fortune est estimée à plus de 5 milliards de dollars, a vendu WhatsApp en 2014 à… Facebook pour 19 milliards de dollars.
Roger McNamee, un célèbre investisseur de la Silicon Valley et un des premiers actionnaires de Facebook, a lui aussi critiqué le groupe cette semaine, appelant son patron Mark Zuckerberg, mais aussi ceux de Twitter et Google, à aller s’expliquer devant le Congrès.
Avant même la polémique autour de CA, le célèbre investisseur du secteur Peter Thiel –lui-même membre du conseil d’administration de Facebook– a tiré plusieurs fois à boulets rouges sur tout le secteur technologique.
– “Esclave numérique” –
Alors, Facebook est-il la victime expiatoire de tout un secteur qui a, comme le réseau social, bâti son modèle économique sur les données personnelles?
“Le système entier est vulnérable à la manipulation”, lance The Center for Humane Technology, une organisation fondée par d’ex-personnalités de la “tech” (dont Roger McNamee) souhaitant dénoncer ses dérives.
Ce qui est sûr, estiment nombre d’experts, c’est que la problématique va bien au-delà du réseau social, note l’analyste Rob Enderle.
“Tout ce qui les intéresse, c’est les annonceurs publicitaires, et l’utilisateur n’est finalement qu’un esclave numérique. Cette semaine, c’est Facebook mais ça pourrait être d’autres, Google, Twitter ou même Apple”, explique ce spécialiste des groupes technologiques.
Des plate-formes de réservation de voitures comme Uber engrangent aussi des tas de données personnelles, qui peuvent notamment servir aux technologiques de voitures autonomes. Le géant du e-commerce Amazon accumule aussi une montagne de données.
D’où la question de savoir où mèneront ces torrents de critiques et les promesses des groupes technologiques — à commencer par celles de Facebook– dans un monde où la technologie fait partie de la vie quotidienne d’une bonne partie des individus comme des entreprises ou des gouvernements.
“Est-ce qu’ils peuvent aller plus loin pour protéger vos données personnelles? Absolument pas. Car c’est toute leur viabilité financière qui dépend de l’usage de vos données. (…) Sans cela, ils ne gagneraient plus d’argent”, résume Karen North, professeur de sciences numériques à l’Université de Californie du Sud (USC).
L’idée qui se généralise est que les changements doivent venir de l’extérieur car “l’auto-régulation ne fonctionne pas”, note Jennifer Grygiel, spécialiste des réseaux sociaux à l’Université de Syracuse (est).
C’est le but du Règlement européen de protection des données personnelles (RGPD) qui doit entrer en vigueur en mai et qui pourrait compliquer les affaires des groupes technologiques, du moins en Europe.
Aux Etats-Unis, The Center for Humane Technology, entre autres, dit batailler pour que “les gouvernements (mettent) la pression sur les entreprises technologiques”.
Mark Zuckerberg lui-même ne se dit pas totalement fermé à davantage de régulation, même si cela reste assez vague. “Il n’y a pas de raison que le secteur de la publicité sur internet soit soumis à moins d’exigences de transparence que la publicité télé ou imprimée”, a-t-il dit au Wall Street Journal jeudi.