L’image est expressive. Le nouveau wali d’Alger, désigné depuis seulement quelques jours, se tient devant l’immeuble de 11 étages en construction sur une falaise à Bir Mourad Raïs (Alger), mercredi 17 novembre.
Le talus en tuf a commencé la veille à s’affaisser sous l’effet des fortes pluies qui s’abattent sur la capitale et tout le nord du pays depuis près de deux semaines.
L’éboulement qui s’est produit est peut-être un signe avant-coureur de quelque chose de plus dramatique. Sur la photo diffusée par les services de la wilaya, on voit le wali observer la falaise surmontée d’un immense immeuble en chantier avec l’appréhension d’assister à un effondrement gigantesque.
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Il doit aussi se poser beaucoup de questions, les mêmes qui taraudent l’opinion publique depuis qu’un morceau de la falaise s’est détaché pour finir en bas, dans l’espace qui sert de gare urbaine qui, heureusement, était vide. Comment un tel projet a-t-il pu atteindre un tel taux d’avancement des travaux, passant à travers les mailles du très compliqué dispositif d’autorisation et de contrôle de la construction en vigueur en Algérie ?
La falaise surmonte le centre-ville de Bir Mourad Raïs, sur les hauteurs d’Alger, et la construction a été érigée à ras d’un talus vertical d’une vingtaine de mètres.
En bas, une gare urbaine, le carrefour du centre-ville et la route menant vers Hydra, un axe très fréquenté. À mesure qu’il s’élève, le chantier devient très visible pour ceux qui arpentent le boulevard central de la ville mais sans doute que personne n’y a vu un quelconque danger, ne doutant pas que les différents intervenants dans le processus du contrôle de l’urbanisme pouvaient fermer l’œil sur une construction d’une telle envergure, à fortiori dans un endroit stratégique, si toutes les normes n’avaient pas été respectées.
Jusqu’à ces inhabituelles pluies qui ont peut-être révélé que tout n’est pas parfait dans ce projet. Il appartient aux services techniques spécialisés de déterminer si la structure est sûre ou pas et si elle doit être démolie ou seulement renforcée, mais déjà, il n’échappe à personne qu’il y a un danger réel avec l’effondrement d’une petite partie de la falaise. La preuve, même les autorités locales n’excluent aucune éventualité puisqu’on a songé à fermer la route qui longe la station urbaine et qui mène vers Hydra.
Une affaire de gros sous
Les autorités seront ensuite appelées à déterminer les responsabilités s’il s’avère que les normes et les procédures n’ont pas été respectées. L’affaire doit être prise au sérieux au plus haut niveau car le cas de cette construction, une promotion immobilière, n’est pas isolé. Non loin de là, le siège de la daïra, de l’OPGI et tout le boulevard central sont surplombés par des villas érigées sur une immense falaise en tuf et à ras de talus droits et hauts.
À quelques encablures de là, sur la pénétrante autoroutière qui mène vers la rocade sud, tout près de l’hôpital Drid-Hocine, des habitations construites dans les mêmes conditions menacent de s’effondrer. Là aussi il est question de fermer une partie de la route. À Hydra, un talus de tuf s’est affaissé non loin du siège du journal El Khabar.
Depuis le début des pluies de ce mois de novembre, 9 personnes ont trouvé la mort à Alger, trois dans des inondations et six dans un effondrement et un glissement de terrain distincts à Bologhine et Raïs Hamidou. Il s’agit d’une habitation précaire et d’une construction illicite.
Mais dans le cas de l’immeuble qui est sous la menace d’un effondrement à Bir Mourad Raïs, il s’agit d’un projet qui a eu sans doute le quitus de tous les services concernés de l’État. Étant une promotion immobilière, c’est donc aussi une affaire de gros sous. D’où d’autres questions auxquelles les services concernés devront répondre, et éventuellement la justice. Qui est le promoteur et comment a-t-il obtenu les autorisations nécessaires ? Comment le CTC, monopole public de contrôle des constructions, a-t-il validé les plans de ce projet immobilier ? Aussi, qui sont les acquéreurs des logements et quel sera leur sort ?
Au-delà de cette affaire, les autorités sont appelées à remettre de l‘ordre dans cette immense jungle qu’est devenu le secteur de la promotion immobilière à Alger et dans d’autres villes du pays depuis quelques années, et plus globalement, dans toute la politique et la gestion urbanistiques.
En octobre dernier, le ministre de l’Intérieur a instruit les walis sur le phénomène de la prolifération des promotions immobilières. À Alger, ce sont les villas des quartiers huppés qui sont transformées de plus en plus en bâtiments haut standing, défigurant le paysage urbain et créant une pression sur les infrastructures et services publics existant du fait de l’augmentation exponentielle du nombre d’habitants.
À Bir Mourad Raïs justement, où les appartements sont cédés à prix d’or, les promotions immobilières poussent comme des champignons. Des tours dite haut standing sont érigées sans aucun respect des normes urbanistiques, avec l’exploitation abusive des terrains, l’essentiel étant de vendre des appartements à prix d’or.
À Alger, dans certains quartiers dit huppés, les logements se vendent à plus de 500.000 dinars le m2. Maintenant que l’appât du gain fait peser la menace de drames humains, le gouvernement n’a plus de raison de tergiverser.