La constitutionnaliste et membre de l’instance de dialogue et de médiation, Fatiha Benabou, estime dans un entretien ce samedi à TSA Arabi que « le pouvoir ira à la partie qui détient la force si nous ne parvenons pas à organiser les élections présidentielles ».
« L’Algérie vit une situation exceptionnelle, à cheval entre la légitimité constitutionnelle et la légitimité populaire. Je suis de ceux qui ne se sont pas tenus à la lettre de la Constitution dès le début. Lorsque le peuple avait rejeté l’élection du 4 juillet, il y a eu une rupture avec la légitimité constitutionnelle et on ne pouvait pas laisser le pays aller vers l’abîme. J’insiste, si l’élection présidentielle n’a pas lieu, le pouvoir ira à la partie qui détient la force », met-elle en garde.
Qui est cette partie ? « Je ne parle pas de l’institution militaire car celle-ci ne cherche pas le pouvoir. Je ne pense pas qu’elle souhaite être au-devant de la scène même si l’Article 28 de la constitution lui confère ce droit dans le cas où le pays se trouve en danger. L’armée s’est retrouvée contrainte de jouer ce rôle parce que le peuple a refusé les élections. C’est pour cela que nous avons dit que la période de transition est porteuse de dangers et susceptible d’affaiblir le pays. Elle risque de nous mener vers des situations imprévisibles où tout le monde tentera d’imposer son avis », explique-t-elle.
Pour la juriste, la solution est dans l’élection. « Si les Algériens ne veulent pas d’un pouvoir militaire, ils doivent aller voter pour élire un président civil. La loi électorale a changé et il ne reste qu’à mettre en place un climat propice pour l’élection d’un nouveau président avant d’aller vers la révision de la constitution », suggère-t-elle.
A propos des nouveaux textes proposés par l’instance de dialogue, elle estime qu’ils constituent un « acquis » pour l’Algérie. « Les projets de lois élaborés par l’instance de dialogue constituent un acquis pour l’Algérie. C’est la première fois qu’une autorité d’organisation des élections est créée dans notre pays. Je suis juriste et j’ai appelé à la mise en place d’une telle instance lorsque j’étais dans l’opposition en 2014. Aujourd’hui, le texte est une réalité et il est conforme aux standards internationaux », assure la constitutionnaliste.
« Il est vrai que dans le passé, les élections passaient par l’administration et les walis et tous les moyens étaient entre les mains des collectivités locales. Rien ne pouvait garantir la transparence du scrutin. Mais aujourd’hui, nous avons une autorité indépendante d’organisation des élections. Lors de son élaboration, nous avons tenté de prendre en compte les expériences réussies dans le domaine, comme celle de la Tunisie », dit-elle.
Néanmoins, Mme Benabbou refuse de s’engager quant à l’application stricte des dispositions des deux textes qui viennent d’être adoptés par le Parlement, soit la loi électorale et celle portant création de l’autorité d’organisation des élections.
« Le texte de loi c’est la moitié de la réussite. Le reste appartient au peuple qui doit se mobiliser pour défendre son choix. (…) Je suis une juriste et non une femme politique pour garantir l’aspect pratique. Je ne mens pas car j’ai une crédibilité scientifique », dit-elle.
Mme Benabou estime par ailleurs qu’il est encore trop tôt pour parler des garanties et de l’apaisement du climat tant que le corps électoral n’est pas officiellement convoqué.
« Le chef d’état-major (qui a suggéré de convoquer le corps électoral le 15 septembre, ndlr) parle à partir d’une caserne et ce qui m’intéresse c’est d’entendre le chef de l’Etat car je suis une civile. Lorsque Abdelkader Bensalah parlera, on pourra alors évoquer les élections », assure-t-elle.