Le ministre des Affaires religieuses, Youcef Belmehdi, a annoncé mardi la suspension de la prière hebdomadaire du vendredi et la fermeture des mosquées avec le maintien de l’appel à la prière (El Adhan), comme mesures préventives contre la propagation du Coronavirus. Comment qualifiez-vous cette décision ?
Kamel Chekkat, chercheur en théologie, animateur d’émissions religieuses, membre fondateur de la Ligue des oulémas du Sahel, et auteur. Sur le plan canonique c’est une décision opportune, dans la mesure où elle intervient à un moment crucial où il faut préserver la vie. La préservation de la vie fait partie des cinq vocations majeures de la Révélation coranique : la préservation de la foi, la préservation de la vie, la préservation de la raison, des biens matériels et de la dignité. Cette préservation de la vie donne même par moments lieu à une levée temporaire de ce qui est en temps normal interdit : tel que le fait d’avoir recours en termes de nourriture à un produit prohibé.
Que disent les textes religieux sur les cas d’épidémies ?
Cette idée de confinement pour parer à la propagation d’une épidémie, elle est déjà connue. Il y a une anecdote qui fait cas d’école en Islam : (le calife) Omar Ibn El Khettab, en l’an 17 de l’Hégire, est allé inspecter les armées (musulmanes) qui étaient dans la région du Cham. Arrivé aux abords de cette région, on lui fait savoir que la peste s’y était déclarée. Le calife a consulté les exilés (el mouhadjirine), il a ensuite consulté les supporters (Ansar) et les notables mecquois qui s’étaient convertis l’année même de la conquête. Les avis étaient mitigés. C’est alors qu’un grand compagnon, Abderrahmane Ibn Aouf, arrive et dit je détiens en cela une science et déclare que le prophète -que le Salut soit sur lui (QSSSL)- a dit : « Quand vous entendez dire que la peste s’est déclarée (dans une région) n’y entrez pas et si vous y êtes alors que l’épidémie s’y est propagée, n’en sortez pas ». Donc, ces mesures de confinement sont connues. Cela démontre que la préservation de la vie prévaut sur tout. Dans l’histoire de l’Islam, il y a eu des malades à qui l’on interdisait l’accès à la mosquée.
Quand on sait qu’il y a des hadiths qui disent que si quelqu’un a mangé de l’oignon ou de l’ail, qu’il s’abstienne de s’approcher des lieux de prière, que dire de celui qui est malade ! On dit toujours que celui qui est enrhumé ne vienne pas à la mosquée, il n’en a pas le droit. Par conséquent, la décision du ministère est en phase avec les vocations majeures de la Révélation coranique. Elle s’appuie sur une argumentation solide qui trouve son fondement dans les textes fondateurs.
Pourtant certaines voix n’ont pas apprécié cette décision. Qu’en dites-vous ?
Hier, j’ai reçu des photos de citoyens qui ont fait la prière en dehors de la mosquée en réponse à l’interdiction de prier à l’intérieur. Ils doivent savoir que même de cette façon, cela n’est pas licite. Le problème n’est pas dans la mosquée elle-même mais dans les rassemblements. Certains sont dans la contestation tout azimut, c’est là que réside le problème. Normalement, il y a une règle, à savoir : c’est par l’autorité que se dissipe la divergence. Quand l’autorité a décrété quelque chose, normalement on devrait tous aller vers le consensus, l’apaisement et la réconciliation.
Le gouvernement a pris du temps à prendre la décision de la fermeture, n’est-ce pas ?
On n’a pas pris du temps. Le ministère des Affaires religieuses a demandé il y a quelques jours de cela l’avis des spécialistes de la santé publique. À un moment donné, un certain nombre de mesures ont été prises, mais lorsque les spécialistes ont expliqué que la situation pouvait vraiment dégénérer, (le ministère) est passé hier à la vitesse supérieure. Il faut savoir qu’une cellule de crise a été installée au ministère des Affaires religieuses, qui travaille étroitement avec les services du ministère de la santé. Je me suis entretenu avec des membres de ladite cellule qui m’ont dit s’ils (les services du ministère de la Santé, Ndlr) nous disent de fermer on fermera. En fait, c’est le ministère de la Santé qui devait prendre cette décision.