Société

Feux de forêt en Algérie : quelles leçons des drames passés ?

L’Algérie est à nouveau endeuillée par les feux de forêt. Deux ans après le drame de l’été 2021, une autre tragédie frappe le pays. Elle s’est produite en ce début de semaine de la fin de ce mois de juillet, sans doute l’un des plus chauds jamais connus en Algérie.

Selon un bilan dressé par le ministère de l’Intérieur lundi en fin de journée, 34 personnes ont été tuées dans les incendies qui ravagent les forêts de plusieurs wilayas. Le plus lourd a été enregistré à Bejaia : 22 morts dont 10 militaires et 194 blessés.

À ce bilan macabre s’ajoutent des maisons brûlées et des centaines d’hectares de couvert végétal ravagées.

À peine un peu plus d’un mois depuis l’arrivée de l’été, le bilan des incendies de forêts, provoqués en grande partie probablement par la canicule qui sévit depuis quelques jours en Algérie, est déjà désastreux.

Loin d’être exhaustif, ce triste bilan est appelé à être revu à la hausse une fois les incendies éteints et maitrisés. En tout, ce sont 97 départs de feu de forêt ayant touché 16 wilayas du pays qui ont été enregistrés, selon un premier bilan du ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire.

Face au sinistre, pas moins de 8000 sapeurs-pompiers ont été mobilisés, sans compter les véhicules et les moyens aériens, d’après le département de Brahim Merad.

Mais compte tenu de l’ampleur des dégâts, force est d’admettre que les moyens mobilisés sont en deçà des exigences de la situation. « On manque de moyens, on a besoin d’aide », s’est plaint un blessé de l’incendie de Tighremt à l’ouest de Bejaia.

Dès lors, la question, comme l’ont soulevé de nombreux internautes, est de savoir si les autorités ont tiré les leçons des expériences dramatiques passées, notamment celle de l’été 2021. Il y a un peu plus de deux ans, des incendies gigantesques avaient fait des dizaines de morts en Algérie, notamment en Kabylie, la région la plus durement touchée.

Deux ans après, le gouvernement a déployé des efforts pour affronter une nouvelle catastrophe. Il y a un mois, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales avait assuré depuis Skikda, à l’occasion de l’ouverture de la saison estivale, que « « l’Algérie s’est bien préparée et a mobilisé tous les moyens nécessaires pour lutter contre les divers feux de forêts au cours de l’été 2023 ».

Son collègue, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Mohamed Abdelhafid Henni, dévoilait un mois plutôt, à l’occasion de la cérémonie d’installation de la Commission nationale de protection des forêts (CNPF) 2023, les moyens mobilisés et les opérations envisagées pour lutter contre d’éventuels feux de forêt.

Ces opérations prévoyaient, entre autres, l’aménagement et l’entretien des tranchées pare-feu, des tranchés sous les lignes de haute tension électrique par Sonelgaz, et des abords des lignes ferroviaires à proximité des forêts, outre l’aménagement des points d’eau, la mise en place de comités opérationnels, la mobilisation de brigades mobiles et des camions citernes.

À cela s’ajoutent l’organisation de campagnes de sensibilisation en direction de la population et la mise en place d’un système de veille et d’alerte.

Feux de forêt en Algérie : l’urgence de changer de politique

Ces moyens proactifs, d’apparence conséquents, semblent répondre à la stratégie nationale du gouvernement pour faire face aux risques majeurs annoncée par le Premier ministre, Aimene Benabderrahmane en octobre 2022, quelques semaines après les incendies d’El Tarf.

Dans la stratégie de l’Exécutif, il est également question d’acquisition d’avions bombardiers d’eau et de l’usage de drones.

En mai dernier, Abdelmadjid Tebboune avait instruit le Gouvernement pour lancer un appel d’offres pour l’acquisition de six avions bombardiers d’eau. Mais, à ce jour, on ignore qu’est advenu de cet appel d’offres.

En août 2021 après des incendies dévastateurs, une annonce similaire pour l’acquisition de quatre appareils de type Beriev Be 200, de fabrication russe, avait été également annoncée. Mais un seul avait été acquis, le reste n’ayant pu être livrés en raison de la guerre ukrainienne.

En juin 2022, à la Foire d’Alger, le président de la République a fait état au représentant de l’avionneur américain Lockheed Martin de la volonté de l’Algérie d’acquérir des bombardiers d’eau.

Lundi, le ministère de l’Intérieur a fait état du déploiement de 12 appareils aériens dont un BE 200 pour lutter contre les incendies.

Aujourd’hui, au regard de toutes ces mesures, la question est de savoir pourquoi alors n’a-t-on pas pu éviter la catastrophe ? Où se trouve la faille ?

À qui incombe la faute ? Qu’est ce qui empêche l’acquisition de canadairs, en nombre suffisant, d’autant que les moyens financiers sont disponibles ? Qui est responsable de la déforestation ? Pourquoi les villages situés à la lisière des forêts ne sont-ils pas suffisamment protégés contre les incendies alors qu’ils sont dangereusement exposés aux feux de forêt ? Quel est le rôle des autorités locales ? Quelle est la responsabilité des habitants ?

Si l’Algérie, comme nombre de pays du pourtour méditerranéen, subit les conséquences du réchauffement climatique, il reste que la stratégie adoptée pour faire face aux feux de forêt ne semble pas encore au point.

Sinon, comment expliquer que malgré toutes les épreuves endurées, on n’a pas empêché de nouveaux drames humains. C’est dire aussi toute la nécessité d’une nouvelle approche alliant la mobilisation des moyens, mais surtout le renforcement des capacités d’anticipation et des campagnes de sensibilisation permanentes impliquant la population, notamment rurale.

En plus du renforcement indispensable des moyens de la Protection civile, d’autres actions sont nécessaires et vitales pour éviter les drames des incendies, et il n’y a pas que le gouvernement qui doit améliorer sa gestion de la lutte contre les incendies.

La population et les autorités doivent s’impliquer durablement. Les actions ponctuelles ne sont plus suffisantes pour protéger les forêts et les populations avoisinantes.

L’Algérie fait partie des pays les plus exposés aux conséquences du changement climatique, avec des épisodes caniculaires en été et des inondations le reste de l’année.

Une changement radical de la politique de prévention des incendies et autres catastrophes naturelles est vital pour protéger les populations. Il y a aussi urgence de mettre en place une véritable politique environnementale afin de protéger les populations et les forêts.

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