Depuis le début des années 2000, l’Algérie a choisi de financer seule la réalisation de ses infrastructures et équipements publics. De l’autoroute Est-Ouest aux programmes de logements aidés, en passant par la grande mosquée d’Alger et la modernisation des chemins de fer, tout a été réglé par le Trésor public, sans jamais recourir à l’endettement extérieur ou à des partenariats avec des étrangers.
Un « luxe » que pouvait s’offrir l’Algérie quand l’argent coulait à flots grâce à la forte hausse des prix du pétrole. Mais les choses sont en train de changer. L’État n’a presque plus d’argent. Du coup, l’Algérie pourrait recourir à des crédits pour soulager ses finances publiques et préserver ses réserves de change, tout en poursuivant la réalisation de projets d’infrastructures et d’investissements. Sans surprise, la Chine est bien positionnée pour accompagner ce changement.
Depuis hier mardi, Wang Xiaotao, président de l’Agence chinoise de coopération internationale pour le développement, est à Alger pour une visite de travail de trois jours en Algérie. Signe sans doute de l’importance que les autorités chinoises accorde au partenariat avec l’Algérie, il s’agit du premier déplacement de Wang Xiaotao sur le continent africain, au titre de ses nouvelles fonctions de premier président de cette agence créée en avril 2018, en vue de promouvoir et de coordonner la coopération économique et technique de la République populaire de Chine à l’étranger. Rien de concret n’a filtré sur la visite. On sait seulement qu’« une importante délégation chinoise accompagne M. Xiaotao lors de cette visite », selon le ministère algérien des Affaires étrangères.
L’Algérie adhère à la Banque asiatique d’investissement
Une visite qui intervient à peine quelques jours après l’annonce officielle, vendredi 4 janvier, de l’adhésion de l’Algérie à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). La BAII est une banque multilatérale de développement, créée en janvier 2016, avec un capital social de 100 milliards de dollars. Elle a pour mission d’intervenir dans ses pays membres, en investissant principalement dans les infrastructures durables ainsi que dans les secteurs de production.
Son président, Jin Liqun, était lui-même pour la première fois à Alger à la fin du mois de novembre dernier pour parler « des perspectives de coopération entre l’Algérie et cette institution ». Il avait rencontré une brochette de ministres algériens dont celui des Finances, Abderrahmane Raouya, et ceux des Ressources en eau, Hocine Necib, et des Travaux publics et des Transports, Abdelghani Zaalane.
L’Algérie se joindra officiellement à la BAII une fois qu’elle aura complété les processus domestiques requis et déposé le premier « versement de capital à la banque », a précisé un communiqué de l’institution.
On ne connait pas pour l’instant le montant de la contribution de l’Algérie. Elle pourrait ne pas être négligeable dans un contexte de diminution de nos ressources financières. Une indication, quatre pays africains sont déjà membres de la banque à part entière : l’Égypte, l’Éthiopie, Madagascar et le Soudan. Ils ont contribué au capital de l’institution, à hauteur respectivement de 650 millions de dollars, 46 millions de dollars, 5 millions de dollars et 59 millions de dollars.
Depuis son lancement en janvier 2016, la banque a investi 7,5 milliards de dollars dans 35 projets dont la majorité en Asie. l’Égypte est le seul pays africain à avoir bénéficié de prêts de la BAII : 210 millions de dollars en 2017 pour la construction de centrales solaires et 300 millions de dollars en 2018 pour un programme d’assainissement rural.
Ces derniers développements s’inscrivent clairement dans le prolongement de la démarche entamée par Ahmed Ouyahia qui avait signé, à Pékin, le 4 septembre dernier, un « mémorandum d’entente » qui a été interprété comme une adhésion au gigantesque projet chinois de « Routes de la soie ».
Le Premier ministre algérien avait notamment indiqué à cette occasion que l’adhésion de l’Algérie à l’initiative chinoise « apportera une densité plus forte à notre coopération et à notre partenariat avec la Chine, comme le laissent entrevoir déjà nos projets communs majeurs du port centre et du complexe de phosphate intégré ».
Des banques de développement des pays émergents pour concurrencer les institutions occidentales
Côté chinois et algérien, les objectifs ne sont pas de la même ampleur. À l’échelle, colossale, du géant chinois, il est question de bousculer tout simplement beaucoup des règles et des habitudes prises depuis la fin de la dernière Guerre mondiale en matière de financement du développement.
Les premiers jalons de cette démarche ont été posés avec la création d’institutions financières internationales qui ont souvent été présentées comme concurrentes des institutions sous influence occidentale. La Banque asiatique d’investissement marche clairement sur les traces de la Banque mondiale. Pour sa part, la nouvelle Banque de développement des BRICS, avec une dotation de 100 milliards de dollars, envisage de financer des plans de stabilisation, à l’image des activités du FMI.
La montée en puissance de ce nouveau dispositif financier s’ajoute aux activités plus anciennes des banques de développement chinoises : EXIM BANK, Banque de l’Agriculture ou même des banques des provinces chinoises, qui ont déjà été à l’origine de financements de plus de 850 milliards de dollars de projets à travers le monde.
Des enjeux importants pour l’Algérie
À l’échelle de notre pays, les enjeux sont également considérables. Un expert algérien, Mouloud Hedir, explicitait en octobre dernier, le premier de ces objectifs : « Du fait de la qualité de sa relation politique avec la Chine, mais aussi du fait de son poids économique, de son potentiel énergétique et de son positionnement stratégique à l’intersection entre Europe, Afrique et Monde arabe, l’Algérie semble tout d’abord particulièrement bien placée pour se positionner en partenaire pivot pour de gros investissements en infrastructures orientés notamment vers le désenclavement du continent africain ».
Notre pays n’est d’ailleurs pas absent des projets de financement chinois au cours des dernières années. Deux projets importants sont notamment en cours de finalisation : ils concernent la réalisation du port de Cherchell et le très ambitieux projet d’exploitation des gisements de phosphate de la région de Tébessa.
On peut y ajouter trois projets de partenariats industriels conclus entre des entreprises publiques algériennes et chinoises dans les domaines des véhicules utilitaires, de la production de terminaux électroniques de paiement et dans l’industrie du marbre.
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Endettement extérieur : vers une exception chinoise ?
Cette démarche est en train de remettre en cause un tabou vieux de près d’une quinzaine d’années. Sur la question de l’endettement extérieur, à première vue, le débat semblait clos. En dépit d’une situation financière qui est décrite par le gouvernement lui-même comme de plus en plus « tendue » et « préoccupante », les derniers Conseils des ministres ont rappelé les orientations du chef de l’État dans ce domaine. Mais les choses ne sont peut-être pas tout à fait aussi claires qu’elles le paraissent.
C’est M. Ouyahia lui-même qui, voici un peu plus d’une année, déclarait publiquement que l’Algérie « pourrait recourir à l’endettement extérieur mais pour quelques projets stratégiques seulement ».
Le Conseil des ministres avait d’ailleurs donné, en décembre 2015, son « feu vert » pour la réalisation d’un port commercial sur le site d’El Hamdania, à l’est de la ville de Cherchell. Durant ce Conseil des ministres, le président de la République avait donné instruction de lancer la mise en œuvre du projet dans le cadre d’un « partenariat » (basé sur la règle 51/49) entre des entreprises algériennes et un partenaire étranger, reconnu et apte à financer et gérer le projet à l’avenir.
Un protocole d’accord a été signé début 2016 à Alger. Il officialisait la création d’une société de droit algérien composée du Groupe public des services portuaires et de deux compagnies chinoises, CSCEC (China state construction corporation) et CHEC (China harbour engineering company). « Ce projet, dont le coût est estimé à 3,3 milliards de dollars, sera financé dans le cadre d’un crédit chinois à long terme », avait fait savoir le directeur des ports au ministère des Transports, Mohamed Benboushaki, lors de la signature du « mémorandum d’entente » qui prévoit la réalisation du futur port d’El Hamdania dans un délai de 7 ans, avec l’entrée d’une compagnie chinoise, Shanghai Ports, qui assurera son exploitation, selon le même responsable.
Quels financements chinois pour les phosphates algériens ?
En novembre dernier, c’est une nouvelle étape qui a été franchie avec l’implication, pour la première fois en Algérie, de partenaires chinois dans la réalisation d’un très vaste complexe industriel.
L’accord de partenariat a été signé entre Sonatrach et Asmidal, du côté algérien, et des partenaires chinois conduits par l’entreprise Citic. Il concerne l’exploitation des gisements de phosphate de la région de Bled El Hadba, sans la région de Tébessa.
Ce projet intégré d’exploitation et de transformation du phosphate et du gaz naturel va mobiliser des investissements d’un niveau considérable, estimés à 6 milliards de dollars. Sa mise en exploitation est prévue en 2022 et devrait « garantir » des revenus en devises à hauteur de 1,9 milliard de dollars/an. La façon dont ce projet sera géré et financé n’a cependant pas donné lieu jusqu’ici à des explications précises de la part des autorités algériennes.
Le financement de la construction du port de Cherchell, qui était présenté comme une « exception », compte tenu des faibles taux d’intérêt appliqués par la Chine et de la qualité des relations entre les deux pays » ainsi que le suggérait jusqu’ici les pouvoirs publics algériens, pourrait donc bien n’être que le premier d’une plus longue série. Les contacts du président de la BAII lors de son voyage à Alger suggère en outre que le domaine des transports mais également celui des ressources en eau pourraient être éligibles au financement de cette institution.
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Une question de transparence
Une chose est sûre : mise à disposition de financements chinois pour la réalisation de projets d’infrastructures ou de complexes industriels en Algérie va faire émerger progressivement la question de la transparence de ces investissements.
Si l’offre chinoise est souvent jugée « attrayante » par beaucoup de spécialistes algériens, elle n’est cependant pas « gratuite » et pose à la fois le problème de l’efficience des investissements envisagés, des modalités de financement des projets et du montage des partenariats. Des sujets sur lesquels on dispose souvent de très peu d’informations claires dans le cas des projets déjà « finalisés » dans notre pays .
Beaucoup de spécialistes, instruits dans ce domaine par l’expérience des dernières décennies, et les débats en cours à l’échelle internationale, relèvent que les investisseurs chinois gardent les pieds sur terre. Les financements des banques de développement et des fonds d’investissement chinois qui gèrent une partie des immenses réserves de change du pays, sont conditionnés par l’attribution des marchés aux entreprises chinoises et aux services et fournitures de produits chinois pour les besoins des projets.
Par ailleurs, les prêts fournis par la Chine ou d’autres souffriraient souvent d’opacité et les projets qu’ils servent à financer n’offriraient pas toujours un rendement suffisant pour rembourser la dette, notait en novembre dernier Le Financial Times, repris par Courrier International. « La responsable onusienne, Vera Songwe, insiste sur l’importance de conclure de “bons accords” et de partager les expériences », ajoutait la même source.
Sans stratégie de partenariat du côté algérien, le recours à ce type de financement fait donc augmenter les importations et accroît notre dépendance technique et financière si ces projets ne dégagent pas les revenus attendus et ne sont pas mis à profit pour capitaliser le savoir-faire.