Barricades, voitures incendiées, vitrines brisées… Paris a été samedi le théâtre d’un déchaînement inhabituel de violences de casseurs, en marge de rassemblements de « gilets jaunes », ces Français modestes protestant contre la politique fiscale et sociale du gouvernement, qui ne parvient pas à les calmer.
« On est dans un état insurrectionnel », a résumé Jeanne d’Hauteserre, la maire de droite du 8e arrondissement, un des quartiers huppés de la capitale française où se sont concentrées de nombreuses violences. La cheffe de l’opposition d’extrême droite Marine Le Pen a elle aussi parlé d’une « situation insurrectionnelle ».
« Nous sommes en train de restaurer l’ordre républicain », a commenté sur la chaîne de télévision BFM TV le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, qui a relevé que les manifestants violents « s’éclatent (en plusieurs points de la capitale) de manière à rendre plus difficile » le travail des forces de l’ordre et a appelé les manifestants à quitter les rues.
Des scènes d’une violence extrêmement rare ont éclaté en plusieurs points des beaux quartiers parisiens – y compris autour du célèbre Arc de Triomphe en haut de l’avenue des Champs-Elysées -, où le feu a été mis à des automobiles, du mobilier urbain a été saccagé, des magasins ont été pillés…
Le bilan officiel était de 92 blessés, dont 14 au sein des forces de l’ordre. Vers 17H00 GMT, 194 personnes avaient été interpellées à Paris.
Le Premier ministre Edouard Philippe s’est dit « choqué » par les violences à Paris, où il y avait encore plusieurs rassemblements de « gilets jaunes » en fin de journée, à l’Arc de triomphe, rue de Rivoli, ou encore dans le jardin des Tuileries. Des casseurs, avec ou sans gilets jaunes -une « tenue de camouflage »pour certains selon M. Nunez-, en profitaient pour sévir.
Dans cet Ouest parisien, où bat le coeur du pouvoir français, saturé de gaz lacrymogène et des fumées dégagées par l’incendie de voitures ou de mobilier urbain, « gilets jaunes », casseurs et policiers jouaient au chat et à la souris, au milieu des Parisiens et des touristes qui visitaient ces quartiers commerçants à l’approche des fêtes de Noël.
A la nuit tombée, incendies, fumée, barricades, plongeaient certains points de la capitale dans une ambiance insurrectionnelle. Un véhicule de police a été incendié et des bâtiments ont pris feu aussi, a déclaré M. Nunez, précisant que ces incendies d’immeubles avaient été éteints par les pompiers.
Sur l’Arc de Triomphe, une main avait tagué « Les gilets jaunes vaincront ». Sur l’Opéra : « Macron = Louis XVI », le roi guillotiné en 1793.
Parmi les manifestants pacifiques, certains dénonçaient ces violences. « Nous sommes un mouvement pacifique, c’est juste que nous sommes désorganisés, c’est le foutoir car nous n’avons pas de leader », déplorait Dan Lodi, retraité de 68 ans.
« Ca fait quinze jours qu’on essaye de se faire entendre et y a rien qui bouge. Il va falloir à un moment que Macron nous entende sinon ça va être de pire en pire », a déclaré Gaetan Kerr, un agriculteur de 52 ans arrivé de l’Yonne (centre), non loin des Champs-Elysées, la célèbre avenue sécurisée par un quadrillage policier très serré.
Plusieurs leaders politiques, dont celui de l’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ont accusé le gouvernement de laisser la violence s’installer pour discréditer une colère populaire à laquelle ils n’ont pas de réponse.
– Heurts aussi en province –
Les autorités ont recensé environ 75.000 manifestants en France vers 14H00 GMT, moins qu’au cours des deux précédentes journées de mobilisation. Ailleurs en France, plusieurs rassemblements de « gilets jaunes » se sont déroulés, pour beaucoup calmement, mais certains heurts les ont aussi émaillés.
M. Nunez a affirmé qu’il ne faisait « pas d’amalgame » entre casseurs et manifestants pacifiques.
Des face-à-face tendus ont opposé samedi après-midi des « gilets jaunes » aux forces de l’ordre dans le sud-ouest, à Bordeaux, Toulouse, Tarbes ou Auch, alors que dans d’autres villes d’Occitanie, de nombreux barrages filtrants ou bloquant totalement la circulation ont été organisés.
Des dégradations « importantes » ont été commises samedi à Charleville-Mézières (Ardennes, nord) en marge d’une manifestation des « gilets jaunes ». Des heurts ont éclaté à Strasbourg ou Marseille, mais ces violences sont sans commune mesure avec celles de le capitale.
Désarçonné par ce mouvement né sur les réseaux sociaux, hors de tout cadre politique ou syndical, qui demande de la « considération » à des élites jugées déconnectées, le pouvoir peine à apporter une réponse.
Au sein de la majorité présidentielle, l’inquiétude monte face au rejet exprimé, au point que l’idée d’un moratoire sur la hausse des taxes sur le carburant commence à faire débat.
Ce mouvement de colère se met désormais à déborder hors des frontières de la France : deux véhicules de police ont été incendiés vendredi soir à Bruxelles, à la fin d’une manifestation d’environ 300 « gilets jaunes », la première du genre organisée dans la capitale belge.
Aux Pays-Bas également, environ 120 « gilets jaunes » ont paisiblement manifesté devant le Parlement à La Haye.