Après s’être stabilisés aux alentours de 250-300 dinars pendant plusieurs mois, les prix de la banane connaissent une flambée depuis quelques semaines, atteignant 400, voire 450 DA le kilogramme.
À Alger, seuls les revendeurs informels, qui jouent au chat et à la souris avec les policiers, la proposent sur les trottoirs à 360 ou 380 dinars le Kg.
En magasin ou sur les étals des marchés, le prix du kilogramme de banane varie entre 400 et 450 dinars. La spéculation et la multiplication des intermédiaires, habituellement pointées du doigt à chaque flambée des prix des fruits et légumes, ne semblent pas être en cause dans le cas de la banane.
Une marge indécente
La raison de la flambée serait en effet la marge très importante que prennent les opérateurs. Un importateur, sous couvert de l’anonymat, nous apprend que sur un seul kilogramme, les importateurs prennent 200 DA de bénéfice.
Sur les marchés internationaux, le prix de ce fruit est en effet d’environ 0,7 dollar le kilo en moyenne, un prix que nous avons confirmé sur les principaux sites boursiers. Au cours officiel, 0.7 dollar équivaut à environ 82 dinars.
La taxe douanière étant de 100%, le prix de revient d’un kilogramme de banane pour un importateur est donc de 164 dinars. Comment expliquer alors qu’il soit vendu au consommateur à 400 dinars, voire plus ? « Les importateurs prennent une importante marge. Dans le circuit, il n’y a pas beaucoup d’intermédiaires. Parfois, le produit est vendu directement au détaillant », explique notre interlocuteur.
Certains commerçants du centre d’Alger que nous avons approchés jurent qu’ils prennent une marge comprise entre 30 et 50 dinars. Le bénéfice de l’importateur tourne donc autour de 200 DA, le kilogramme. Les frais de transport n’étant pas élevés, selon un importateur. Un simple calcul permet de déduire que certains importateurs amassent des fortunes. Sur une cargaison de 10 000 tonnes, le bénéfice net est de 2 milliards de dinars, soit près de 20 millions de dollars. Et il faut multiplier ce chiffre par le nombre d’opérations réalisées dans l’année.
Une marge indécente que rien n’explique, sinon la situation de monopole créé par les autorités depuis qu’elles ont entrepris de réguler les importations. Tout a commencé avec le système de quotas et de licences imposés sur certains produits, parmi lesquels la banane.
Avant l’année 2016, la banane se vendait à un prix moyen de 150 dinars le kilogramme. Quand les importations avaient été suspendues subitement vers la fin de l’année 2016 dans l’attente de l’attribution des licences, ce fruit était devenu inaccessible, atteignant 900, voire 1000 dinars le kilogramme.
Il était alors acheminé en petites quantités par des contrebandiers, principalement à partir de la Tunisie. Les premières licences ont été attribuées en mars 2017, et en avril, soit dès l’arrivée des premières cargaisons importées, les prix avaient baissé d’abord à 400 dinars, pour se stabiliser pendant de longs mois à 250-300 dinars le kilogramme.
À l’époque, déjà les spécialistes avaient relevé un énorme écart par rapport aux prix pratiqués avant l’imposition des licences. Certains avaient crié à l’arnaque puisque les prix de vente sur les marchés internationaux n’avaient pas bougé, ainsi que les taxes et les frais de logistique.
Surtout, beaucoup avaient dénoncé une opacité dans l’attribution des licences par le ministère du Commerce qui a de fait créé un club restreint d’opérateurs ayant le monopole sur le commerce de la banane.
Ils étaient en effet 44 importateurs à postuler pour la licence, mais seulement six avaient été retenus. Le cahier des charges était strict et près d’une quarantaine de postulants avaient été recalés pour ne pas avoir exercé l’activité au cours des cinq dernières années, pour avoir proposé des prix non-conformes au prix de référence (650 dollars la tonne à l’époque), d’importer de petites quantités et ne disposant pas d’entrepôt de stockage, de mûrissage et de froid, ou car ne remplissant pas les autres critères fixés par la commission de sélection.
Une situation de monopole était alors créée au seul bénéfice des heureux attributaires des licences. Le dispositif a été très critiqué pour cette raison et surtout pour son inefficacité et finira par être abandonné.
Le système des quotas et des licences prendra officiellement fin le 31 décembre 2017 et l’activité de l’importation de la banane sera de nouveau libre. Mais pourquoi donc les prix ne sont pas redescendus à leur niveau d’avant l’imposition des licences ?
Autorisation du ministère de l’Agriculture
En fait, le monopole est maintenu, mais par le biais d’une autre mesure : l’obligation de l’obtention d’un document auprès du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, appelé Autorisation préalable d’importation des produits végétaux.
La même opacité entourerait l’attribution de ces autorisations, dénoncent des importateurs qui, pour des raisons évidentes, préfèrent garder l’anonymat. « Avant, c’était les licences et maintenant l’autorisation préalable qu’on doit obtenir auprès du ministère de l’Agriculture. On ne sait pas sur quelle base elle est attribuée, c’est l’opacité totale. Il n’y a pas de transparence. Résultat, l’activité est toujours monopolisée par quelques opérateurs et le grand perdant, c’est le consommateur qui paye le kilo de banane à 450 dinars alors qu’il ne coûte que 160 dinars à l’importateur », dénonce un opérateur.
Le créneau de la banane est devenu très porteur depuis l’imposition des restrictions. Le monopole a induit une hausse des prix, donc l’augmentation substantielle des dividendes. Ce qui naturellement a attiré de nombreux opérateurs. Ils seraient une centaine actuellement à activer dans l’importation de la banane, mais très peu parviennent à obtenir la fameuse autorisation phytosanitaire, selon notre interlocuteur.
« En fait, on nous donne des autorisations, mais pour de petites quantités. Une centaine de tonnes ou un peu plus », dit-il. Mais un nombre restreint d’importateurs continuerait à bénéficier de quotas plus conséquents, selon la même source qui cite l’exemple d’un opérateur qui possède trois sociétés qui activent dans le créneau et qui ont eu des autorisations pour l’importation de 30 000 tonnes depuis le début de l’année. Soit un bénéfice cumulé de 6 milliards de centimes, si l’on considère que la marge est de 200 dinars le kilogramme. Des chiffres que, malheureusement, nous n’avons pas pu confirmer auprès du ministère de l’Agriculture malgré nos tentatives répétées.