Société

Flambée du Covid-19 : « Les jeunes sont devenus la cible du variant Delta »

Le Pr Rachid Belhadj, directeur des activités médicales et paramédicales au CHU Mustapha d’Alger, tire la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire liée au Covid-19 en Algérie.

Tout en jugeant la vaccination plus que nécessaire, il annonce qu’une réflexion est lancée pour obliger les professionnels de la santé récalcitrants à se faire vacciner. Il évoque un plan B en cas de hausse des cas covid.

Quelle est la situation au niveau du CHU Mustapha avec le nouveau rebond épidémique ?

Cela fait au moins dix jours qu’on a prédit cette troisième vague. Maintenant, nous y sommes. J’espère que nous atteindrons le sommet d’ici à quelques jours et amorcerons la décrue. Le nombre de patients qui viennent chez nous a presque été multiplié par 8.

Il y a une demande très importante en matière de lits d’hospitalisation et aussi de réanimation. Nous enregistrons des formes (de covid) de plus en plus sévères qui touchent les sujets jeunes. Le nombre de décès augmente de manière inquiétante.

Le nombre de contaminations ne cesse d’augmenter dans les rangs des praticiens de santé. Ce qui est important pour nous, c’est de ne pas paniquer, nous sommes en train de gérer d’heure en heure, d’une réunion de crise à une autre. Nous arrivons à gérer des situations très difficiles.

Nous essayons d’augmenter le nombre de lits au vu de la forte demande. Hélas, je le dis avec amertume, nous avons fermé les urgences d’orthopédie, celles de neurochirurgie. Nous avons été aussi contraints de fermer des services en dermatologie, en chirurgie thoracique, pneumo, médecine interne, diabétologie et ORL et la liste risque de s’étendre pour atteindre 300 lits.

Nous avons transformé tout le bloc des urgences médico-chirurgicales en unité covid avec une capacité de lits de 42 lits de réanimation. Nous avons créé une unité « urgences covid » et une unité de consultations covid, une unité de réanimation intermédiaire covid, deux déchoquages, et deux niveaux avec une capacité de 22 lits d’hospitalisation, de soins intensifs et de réanimation.

Actuellement, nous avons atteint le nombre de 215 malades hospitalisés au CHU Mustapha. Mais quelles que soient les situations, nous continuerons à assurer d’autres activités et aussi à inciter les citoyens à se faire vacciner.

S’il vous plait, chers collègues et consœurs, personnel médical ou paramédical et compatriotes, vaccinez-vous ! Le taux de vaccination reste quand même faible au regard de la situation.

Comptez-vous des patients hospitalisés qui ont déjà été vaccinés contre le Covid-19 ?

Oui, ils ne sont pas nombreux et souvent ce sont des formes modérées. Je tiens à signaler que nous assistons à une recrudescence des formes graves chez des sujets jeunes obèses.

Ils deviennent une cible du virus Delta. Vaccinez-vous, protégez-vous ! Nous enregistrons des décès avec des formes sévères ; beaucoup de jeunes obèses décèdent à cause du Covid-19 surtout avec le variant Delta.

Vous venez de dire que les personnes vaccinées présentent des formes modérées. C’est important de le signaler ?

Oui bien sûr ! Nous insistons sur le fait que si la population et les personnels soignants se vaccinent, ils nous aideront à faire face à cette hécatombe. Nous sommes en été, en période de vacances, nous enregistrons des contaminations importantes en milieu hospitalier. Nous pensons que la vaccination reste encore l’un des meilleurs moyens, bien sûr avec le respect des mesures barrières, pour faire face à l’épidémie.

Faut-il revenir au confinement ?

Si les chiffres vont encore augmenter, on sera dans l’obligation d’aller au plan B qui consiste à ouvrir les salles de sports et les grands espaces pour les hospitalisations, cela va être une situation difficile à gérer.

Mais si nous n’arrivons pas à actionner le plan B, eh bien on sera dans l’obligation de demander un confinement, qui doit être au début partiel et si nous n’arrivons pas à gérer la situation, ce sera un confinement général. J’ajoute que le covid commence à toucher les enfants et les femmes enceintes. Il faut faire très attention et ne pas jouer avec le feu.

Le président de la République a réuni le comité scientifique et des décisions ont été prises. Sont-elles suffisantes ?

Sans l’aide et sans une mobilisation générale de tous les secteurs, et de tous les acteurs : population et personnels de la santé, les directives politiques ne seront pas suivies.

Il faut savoir qu’il y a toute une stratégie qui est en train de se déployer, nous ne sommes pas dans le chaos. Beaucoup de gens ont prédit que cette pandémie allait mettre à genou le système de santé algérien.

Je leur dis : nous sommes en 2021 et cela fait dix-sept mois que nous gérons la crise, nous sommes toujours debout, à faire face 24 heures sur 24 heures, 7 jours sur 7 à cette pandémie. Mais la situation demeure inquiétante.

Ce qui m’inquiète personnellement, c’est qu’au niveau des CHU, nous arrivons à gérer ce flux de malades, mais qu’en est-il au niveau des établissements dépourvus de radiologie, qui n’ont pas de réanimation. Il sera très difficile de gérer les flux importants de patients.

La vaccination des personnels de santé demeure encore timide. Pourquoi ?

Justement, c’est une grosse problématique, beaucoup de choses souvent fausses ont été dites à propos des vaccins. Il s’agit quand même de la sécurité des Algériens, nous sommes en train de réfléchir à rendre la vaccination obligatoire par des textes réglementaires surtout pour que les personnels soignants puissent se protéger et protéger les autres.

Il pourrait y avoir une verbalisation de ceux qui ne respectent pas les règles élémentaires d’hygiène sanitaire, et interdire l’accès au niveau de toutes les institutions publiques et économiques à toute personne qui ne porte pas de bavette.

Depuis seize mois, nous avons fait dans l’éducation sanitaire, la sensibilisation, mais malheureusement le suivi n’est pas important. Il y a une grande partie de la population jeune qui est dans l’impunité et qui se considère invulnérable. Eh bien le covid est là et on est en train de voir des jeunes en bonne santé, mourir à cause du Covid-19.

Le ministre de la Santé tunisien a fait part de l’effondrement du système de santé de son pays face au covid. Quelle est votre réaction ?

Dans les années 1990, j’étais résident au CHU Mustapha, nous étions en pleine crise. Eh bien, l’été, il n’y avait que la Tunisie qui ouvrait ses portes pour les vacances malgré une situation très inquiétante chez nous sur le plan sécuritaire.

Avec les Tunisiens, nous sommes prêts à ouvrir toutes nos frontières, à les aider pour se déplacer et à les soutenir même s’il y a une situation très inquiétante. Nous ne devons jamais laisser nos frères tunisiens seuls. Si la Tunisie va mal, nous le serons nous aussi.

Votre message à la population ?

Mon message est le suivant : aidez-nous. Les personnes âgées et les parents qui sont écoutés peuvent interpeller ces jeunes qui ne respectent pas les mesures barrières et qui mettent en danger leur vie, celle de leurs parents et de leurs voisins. Et aussi la vie de tout un peuple.

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