La question du foncier agricole en Algérie sera « réglée définitivement » avant la fin de l’année 2025. L’annonce a été faite par le président de la République Abdelmadjid Tebboune lors de la cérémonie de célébration du 50ème anniversaire de la création de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA) mardi 26 novembre.
Un dossier qui concerne l’accès à la terre au moment où l’Algérie se fixe comme objectif de réaliser son autosuffisance en blé dur, orge et maïs. Au-delà de l’augmentation de la production agricole, ce dossier concerne également la justice sociale.
Si dans le sud de l’Algérie, les larges espaces sahariens permettent une grande disponibilité du foncier agricole et donc limitent les conflits, au nord la situation est différente. On y compte un nombre d’agriculteurs plus important, une meilleure qualité des terres ainsi qu’une forte rentabilité des cultures de fruits et légumes. L’attractivité de l’agriculture est forte du fait du manque de diversification dans les autres secteurs de l’économie.
Les terres les plus fertiles, autrefois entre les mains des colons, sont aujourd’hui entre celles des fermes pilotes et des attributaires. Après la dissolution des domaines agricoles socialistes en 1987, leurs terres ont été attribuées sous la forme d’exploitations agricoles collectives (EAC) ou individuelles (EAI) aux ouvriers agricoles et cadres qui y travaillaient. Ces terres attirent aujourd’hui toutes les convoitises.
Au sortir de la guerre d’indépendance
Au sortir de la période coloniale, la paysannerie algérienne était dans un dénudement complet. Les photos de l’époque montrent des enfants en haillons. Quant à la ration alimentaire, elle se situait en dessous des préconisations de la FAO.
Le sénatus-consulte de juillet 1865 permettra l’accaparement des terres et de repousser la paysannerie vers les terres les moins fertiles, transformant les populations rurales en main d’œuvre malléable et corvéable.
Pendant la guerre de libération nationale, cette paysannerie dépossédée de ses terres apporta un soutien total à la révolution.
C’est dans ce contexte que l’obligation d’exploitation directe de la terre qu’imposait la loi de Révolution Agraire de 1971 se proposait de protéger les intérêts des paysans dans une société où « la terre est traditionnellement une réserve de valeur, un placement pour de nombreuses catégories de citadins (commerçants, industriel, fonctionnaires, professions libérales) », note l’agro-économiste Omar Bessaoud dans un glossaire consacré au foncier agricole.
Dans les années 1970, l’universitaire Guy Duvigneau a décrit la situation précaire des populations nomades dans le Sersou (Tiaret). « Quatre ménages vivent avec les enfants sous la tente, sans chauffage, avec une bouteille de gaz et un petit réchaud à cuisine, une lampe à mazout, un radio-transistor, un âne, une carriole, une dizaine de poules et dindons. Dans chaque tente, trois ou quatre adultes, cinq enfants au minimum. Mortalité infantile : 50%. Taux de scolarisation : néant. L’hiver : froid intense et vent permanent ».
Un berger nomade recruté comme saisonnier par un domaine d’Etat confie à l’universitaire : « Dans les étables, les vaches sont mieux logées que nous ». Pour ces nomades, l’espoir est d’être admis dans une coopérative de la révolution agraire ou dans un domaine autogéré comme ouvrier permanent.
Les réformes et leurs effets
La naissance des EAC et EAI en 1987 s’est accompagnée d’un morcellement des grands domaines autogérés mais également de nouvelles formes d’organisation du travail.
En 2010, cette situation a été particulièrement documentée à l’occasion d’une étude « la Mitidja 20 ans après » menée par des universitaires algériens. En se basant sur des enquêtes de terrain et de nombreux témoignages, ils décrivent un phénomène nouveau : la sous-location des terres par les attributaires.
Ainsi de petites parcelles des EAC-EAI sont louées à des ouvriers agricoles pour l’installation de serres tunnel serre ou la gestion de vergers est confiée à des privés. Un agriculteur témoigne : « Nous avons 350 serres toutes installées dans des EAC ».
Cette situation se traduit par une captation d’une rente foncière par les attributaires s’adonnant à ce type de pratique.
Il est alors reproché à des attributaires des EAC et EAI de pratiquer de la sous-location mais également de ne pas intensifier les productions.
C’est dans ce contexte que dès 2010, la loi 10-03 permet d’ouvrir les EAC-EAI à des partenariats avec des investisseurs privés.
Un décret exécutif a fixé les modalités : « Tout exploitant concessionnaire peut conclure tout accord de partenariat conformément aux dispositions de l’article 21 de la loi n° 10-03 du 15 août 2010 ».
Cette législation concerne également les 170 fermes pilotes créées en 1982 qui comprennent une superficie de 150 000 hectares d’anciennes terres qui étaient exploitées par des colons durant la colonisation française. Des fermes pilotes qui ont conservé leur statut de fermes d’Etat malgré la loi 10-03.
Il semble que c’est, notamment ce phénomène de sous-location des terres attribuées sous forme d’EAC-EAI ou sous forme de concessions agricoles en milieu steppique et dans le sud qui ait conduit les pouvoirs publics à un « assainissement » du foncier agricole, y compris les litiges nés des partenariats avec des « porteurs de capitaux privés ».
Assainissement du foncier agricole
De 1987 à 2010, des mouvements fonciers au sein du domaine privé de l’Etat ont été opérés en toute illégalité. Il semble que des transactions illégales et des accaparements de terre ont profité à de plusieurs catégories de personnes : sous-locataires, intermédiaires, fonctionnaires à la retraite, commerçants, mandataires en fruits voire industriels du secteur de l’agro-alimentaire.
La loi 10-03 d’août 2010 a donc pour objectif un « assainissement » du foncier agricole. En 2018, la Direction de l’organisation foncière du ministère de l’Agriculture indiquait que 9.000 dossiers d’exploitants agricoles sur 90.000 à 100.000 hectares avaient été régularisés. Des dossiers concernant notamment des contentieux entre attributaires et sous-locataires.
En se basant sur la nécessité de l’obligation de mise en exploitation des terres et du non-respect des obligations de la loi 87-19 et notamment l’interdiction de sous-location, plus de 1 500 dossiers d’attributaires des EAC-EAI pour une superficie de près de 11 000 hectares feront l’objet de mesures de déchéances et cela par arrêtés des walis ou par de décisions de justice.
Tentatives d’accaparement des terres
Concernant les opérations de partenariat de fermes pilotes avec des opérateurs privés, si certaines d’entre-elles se traduisent par de nouvelles réalisations telles des vergers modernes, d’autres n’aboutissent pas et font l’objet de résiliations.
Un rapport du Conseil de Participation de l’Etat de janvier 2018 note que « dans l’ensemble, les offres ne sont pas tout à fait en adéquation avec ce qui a été demandé dans les cahiers des charges, à savoir la production de semences, plants et géniteurs et rares sont les soumissionnaires ayant proposé des business plans objectifs, en adéquation avec la vocation principale des fermes, ou encore logiques sur le plan agronomique et managérial ».
Les rédacteurs poursuivent : « Ce qui se dégage des offres, c’est plus la volonté d’une bonne partie des soumissionnaires de s’accaparer des terres »
Les défis de l’assainissement
Depuis l’indépendance, la législation liée au foncier agricole en Algérie a évolué entre justice sociale au profit des paysans sans terre et nécessité d’augmenter la production agricole. Un cheminement qui fait face à différents intérêts dont des deux des particuliers.
L’article 3 du projet de loi de finances 2018 stipulait que « le droit de concession des terres agricoles et moyens d’exploitation relavant du domaine privé de l’Etat mis à disposition des fermes pilotes est transféré aux sociétés d’investissement créées dans le cadre de partenariat public-privé avec des investisseurs nationaux ou étrangers ».
Un projet qui avait été dénoncé par des députés de l’Assemblée Populaire Nationale. Ce projet fut alors modifié et ce type de partenariat n’est aujourd’hui permis que concernant les partenaires nationaux soumis au droit algérien.
Aujourd’hui, si la production maraichère satisfait aux besoins des consommateurs, les phénomènes de spéculation restent nombreux. Ils passent par l’achat de récoltes sur pied et l’utilisation de chambres froides avec des marges largement supérieures à celles correspondant à une juste rémunération. Des pratiques auxquelles s’attaquent les services du ministère du Commerce.
Ce qui amène Omar Bessaoud à faire remarquer que « de nouveaux acteurs sociaux issus des villes ou des campagnes prospèrent et disputent aujourd’hui les terres, l’eau, l’argent et le capital social à la paysannerie et aux pasteurs ».
Au-delà des opérations d’assainissement, le défi des pouvoirs publics est d’assurer une marge satisfaisante aux entrepreneurs agricoles et agriculteurs tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs et en défendant une juste rémunération des ouvriers chargés des travaux agricoles. Un défi afin d’assurer que le slogan « la terre à celui qui la travaille » ait du sens.