La scène se passe à Tiaret. Le wali dialogue avec un agriculteur qui a construit une étable et a procédé à un forage sans aucune autorisation.
Avec beaucoup de doigté, le représentant de l’État entreprend de faire respecter la réglementation. Plongée dans l’Algérie profonde.
La scène est rapportée par la cellule de communication de la wilaya de Tiaret. Lors d’une sortie sur le terrain, le wali alors accompagné d’élus et de responsables administratifs, s’est enquis de la situation de l’éleveur.
Ali Bouguerra, le wali de Tiaret est un habitué du terrain. Cheveu rare et portant moustache, ce haut fonctionnaire blanchi sous le harnais ressemble plus à un bon père de famille qu’à un père fouettard.
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Il est plus dans la persuasion que l’excès d’autorité qui marque certains walis quand ils sont face à une caméra.
Il a tout d’abord tenu à féliciter le promoteur pour son projet de production de lait : « L’État encourage les importations de génisses ».
Avez-vous un forage ?
Puis, il s’est enquis des moyens d’irrigation : « Avez-vous un forage pour produire de la luzerne ? ».
L’agriculteur a répondu avoir constitué un dossier et en parallèle avoir entrepris un forage. Ce à quoi le wali a demandé : «Vous ont-ils donné l’autorisation ? ».
La réponse fuse : « Pas encore, mais on a foré car on souffre du manque d’eau ». Le wali semble un instant interloqué par la réponse.
Parmi la délégation qui l’entoure, on entend : « Il y a eu une modification du projet initial. Un mur a été construit ». Derrière l’attroupement des officiels, on aperçoit effectivement un haut mur de parpaing.
Le wali : « Moi c’est le forage qui me préoccupe. Il a été entrepris sans autorisation ». L’agriculteur tente de se justifier : « Mais on souffrait… ».
Le wali inflexible : « Cen’est pas une question de souffrance, mais de légalité. Peut-être que les services de l’hydraulique vous ont répondu négativement et vous avez poursuivi ». « Non non, on a déposé un dossier », s’entend-t-il répondre.
Quelque peu excédé, Ali Bouguerra : « Apparemment, il n’y a pas eu d’autorisation pour ce forage. Ne nous mentons pas entre nous ».
S’approchant du tableau où sont indiquées les caractéristiques du projet, il demande : « 80 vaches laitières. Comment vont-elles boire ? Savez-vous combien de litres d’eau a besoin une vache chaque jour ? ». Mutisme de l’intéressé.
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« Puis, quel est le débit de votre forage ? ». L’intéressé : « On ne sait pas ».
Le wali triomphant : « Vous voyez, si vous aviez suivi la légalité, l’ingénieur de l’hydraulique vous aurait dit combien peut donner le forage ».
Les vaches ont besoin de beaucoup d’eau
L’agriculteur : « On souffrait, on avait besoin d’eau pour les bêtes ».
Le wali tentant de comprendre la situation : « Vous l’exploitez actuellement ? Les vaches laitières ont besoin de beaucoup plus d’eau ».
À nouveau, l’agriculteur tente de se justifier : « On a aussi planté des arbres, ils ont commencé à se dessécher. On avait besoin d’eau. Irriguer avec l’eau de citernes était insuffisant. On n’en pouvait plus ».
Le wali récapitule : « Vous avez donc un permis de construire ? ». La réponse est positive. Il demande cependant confirmation auprès de ses collaborateurs. Le permis en question est effectivement accordé tant au niveau de la commune que de la daïra.
Sa décision prise, il lance à l’agriculteur : « Vous allez poursuivre vos travaux (le mur) en l’intégrant au projet initial car il est encore en cours de réalisation. Et ainsi, nous vous accorderons la mise en conformité et vous serez ainsi en règle ».
Rassuré, l’agriculteur acquiesce, mais le wali poursuit : « Concernant l’hydraulique, vous avez foré sans étude technique et sans autorisation des services concernés. Si j’applique la loi et qu’on réunit les services administratifs concernés et qu’on délibère, la décision sera de demander la démolition des constructions. Il n’y aura alors plus de vaches et les arbres se dessécheront ».
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Vous ne craignez ni l’électricité ni l’État
Venant de l’agriculteur, on entend un semblant de protestations.
Se faisant pédagogue et affichant un sourire le wali demande à l’agriculteur : « Que disaient nos aînés ? Ils craignaient l’État et l’électricité. Il est vrai que pour eux, le passage de l’usage de la bougie à celui de l’électricité ne s’était pas fait sans quelques mésaventures. Mais vous, vous ne craignez ni l’électricité ni l’État ».
Les propos détendent l’atmosphère qui commençait à être tendue. L’agriculteur proteste, jamais il n’oserait défier la loi et reprend la formule d’Ali Bouguerra : « Moi, je crains l’électricité et l’État ». Satisfait d’entendre l’agriculteur l’avoir rejoint sur cette base le wali savoure l’instant.
Le directeur des services de l’hydraulique en profite pour s’adresser à l’agriculteur : « Rapprochez vous de nos services, on vous offrira toutes les facilités. Ramenez nous votre dossier ».
Le wali, à l’intention du directeur de l’hydraulique, et prenant à témoin l’agriculteur : « Combien avons nous donné d’autorisation de forages ? 1 200 environ, à combien en est-on ? » L’intéressé lui répond : « 1 338 autorisations » .
Un 1 339e forage, mais illégal
Se tournant vers l’agriculteur muet : « Et celui là est le 1339e forage, un forage illégal ». Il demande : « À quelle profondeur avez-vous foré ? »
L’agriculteur qui tente à nouveau de se justifier : « À 65 mètres, car on souffrait de la sécheresse ».
À nouveau, le directeur de l’hydraulique : « Écoutez moi, vous êtes dans l’illégalité, mais les portes de notre administration sont ouvertes. Ramenez votre dossier pour une régularisation. On vous donnera une autorisation ».
À nouveau l’agriculteur lance un timide : « J’ai déposé un dossier ».
Le wali, qui semble avoir pris sa décision : « Voyez, concernant les constructions, on va vous attribuer un permis de construire modificatif pour que vous puissiez vous mettre en conformité. Mais concernant le forage, il n’y a eu ni démarches ni étude technique. On vous le dit, on ne peut pas prendre de décision. Cela nécessite une enquête. Déposez un dossier. Comment avez vous procédé au forage, par battage ou par moyen rotatif ? ».
Interloqué par la réponse le wali reprend : « Par battage ? Mais ce n’est pas réglementaire ! ». Le wali énumère alors l’ensemble des irrégularités : « Vous construisez sans permis, forez sans permis, forez par battage ».
Pas d’eau durant 7 mois
Wali et directeur de l’hydraulique essayent d’expliquer au contrevenant qui tente de se justifier : « Le besoin d’eau, 7 mois durant… ». Le wali intransigeant quant au respect de la législation : « 7 mois, ou 7 jours ou 7 heures, cela reste une infraction ».
« Mais la sécheresse, nous avions des cultures », tente à nouveau le contrevenant.
Le wali : « Si nous vous fermons ce forage tout s’arrête. Quand tout un projet repose sur l’eau, la première chose à faire est de s’en préoccuper. Les portes de l’administration vous sont ouvertes et 1 338 agriculteurs ont déjà obtenu leur autorisation de forage. Et la priorité est donnée à l’agriculture ».
Tout autour, élus et fonctionnaires écoutent. Le wali, se tournant vers le directeur de l’hydraulique puis vers le contrevenant : « Donnez leur une autorisation. L’ancien forage, vous le fermerez. Pour le moment, il devra être abandonné. On verra à l’occasion d’une éventuelle extension du projet. Nous vous donneront une autorisation pour un nouveau forage. L’ancien vous le fermez, les services de l’hydraulique feront une étude. Mais ne l’utilisez pas, vous seriez en infraction ».
D’un ton posé, il continue en se tournant vers le tableau : « Si on considère la loi, tout ce que vous avez construit ici est dans l’illégalité. Tout ! Mais, moi ce qui m’a amené aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est votre projet : les vaches laitières, les moutons, les céréales. On va vous aider, mais on vous aide dans le respect de la loi. Entendu ? ».
Un wali derrière chaque fonctionnaire ?
Puis, comme pour prendre à témoin l’agriculteur, il s’adresse à la délégation qui l’accompagne : « Donc vous étudiez le dossier pour le forage et avec la commune pour le permis de construire modificatif ». Sur ces paroles, les officiels quittent les lieux.
Sur les réseaux sociaux, la séquence est abondamment commentée et les avis sont partagés. Nombreux sont ceux qui louent le wali pour sa pédagogie tout en restant dans le respect des lois. D’autres s’interrogent sur le peu de réactivité des services administratifs, se demandant ce qu’il en est lorsque le wali ne se penche pas sur leur façon de traiter les dossiers.