La classe politique française semble s’être passé le mot. L’immigration algérienne vers la France doit être ralentie. Pour ce faire, il est temps de remettre en question des années de politique migratoire, notamment l’accord de 1968.
Après l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, c’est au tour de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe de vilipender l’immigration algérienne.
Pourquoi spécialement l’accord de 1968 ?
Celui qui a dirigé le gouvernement d’Emmanuel Macron (mai 2017 – juillet 2020) est intervenu dans le média L’Express pour pointer du doigt le fameux accord de 1968 signé par l’Algérie et la France pour fluidifier la circulation des Algériens vers la France. Pour Édouard Philippe, « il est temps de remettre en cause l’accord de 1968 avec l’Algérie ».
Ce texte né de négociations entre les deux pays après l’indépendance de l’Algérie avait pour but d’organiser et de faciliter la circulation, l’accès à l’emploi et le séjour de longue durée des Algériens et des membres de leur famille en France.
L’accord est certes toujours valide, mais il a été remanié plusieurs fois. Des avenants sont venus rectifier le traité en 1985, en 1994 et en 2001 pour le rendre moins flexible et encadrer davantage la venue d’Algériens en France.
Mais les acteurs politiques français de différents bords, de l’extrême-droite à la droite en passant par le centre, semblent vouloir son abrogation définitive.
« Le maintien aujourd’hui d’un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié », a ajouté Édouard Philippe.
Lui aussi estime que mettre un terme à ce texte mènera à une nouvelle crise diplomatique majeure entre les deux pays. Mais comme Xavier Driencourt dans sa note pour Fondapol, Édouard Philippe appelle à prendre rapidement ce risque.
Mais que reste-t-il concrètement de ce texte pour qu’il déclenche une polémique récurrente en France ? Est-il encore réellement appliqué dans les échanges migratoires entre la France et l’Algérie ?
Des conditions qui se sont endurcies dans le temps
Édouard Philippe ou encore Xavier Driencourt dénoncent des accords qui accordent des facilités exceptionnelles à l’Algérie, engendrant ainsi une relation déséquilibrée entre les deux pays.
Pour l’ex-Premier ministre français, les accords de 68 disposent de « stipulations qui sont beaucoup plus favorables que le droit commun », à l’inverse, « aucun ressortissant d’un autre État ne bénéficie de tels avantages ».
Le texte subroge le droit français et européen. Surtout, la France estime qu’il facilite la croissance d’une immigration illégale sur son territoire. Le pays dénonçait déjà un manque de coopération de l’Algérie dans l’expulsion de ressortissants algériens de la France, mais par ces interventions d’acteurs politiques majeurs, elle laisse entendre qu’elle n’a plus confiance en l’immigration algérienne.
Historiquement, cet accord, signé en 1968, avait pour but de réguler au mieux une migration nécessaire des Algériens vers la France. L’Hexagone avait un besoin important de main-d’œuvre en 1968, notamment au sein de l’industrie automobile, d’où un recours massif aux travailleurs algériens.
Au fil du temps, les besoins professionnels se sont réduits et les fameux textes de 1968 ont connu des modifications visant à réduire les privilèges migratoires.
Chaque nouvel avenant à l’accord signé par les deux pays a pris en compte les évolutions contextuelles pour réécrire ce texte qui fait tant polémique. C’est ainsi que plusieurs articles de l’accord ont disparu ou ont été réécrits.
Par exemple, l’article 1 stipulant que la France accueillerait un contingent de 35.000 Algériens par an a été abrogé en 1985.
Autre exemple, le regroupement familial a subi un renforcement des motifs de refus en 2001. « Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille », peut voir sa demande de regroupement familial rejetée, comme le précise l’avenant de 2001. De même, s’il ne présente pas un logement décent et adapté pour recevoir sa famille.
La réalité dévoile plutôt une politique anti-immigration algérienne
Les immigrés algériens bénéficient certes de conditions particulières comme : une entrée sur le territoire français « facilitée », des délais de résidence en France réduits avant de demander un titre de séjour de 10 ans, l’accès au regroupement familial, l’obtention d’une carte de résidence après dix ans passés en France en situation irrégulière, etc. Du moins, c’est ce que le texte avance.
En réalité, la situation est autre. L’administration, pour obtenir des documents de circulation ou de résidence en France, s’est énormément alourdie.
Depuis l’Algérie, il est très compliqué d’obtenir non seulement un rendez-vous pour déposer une demande de visa, mais aussi de voir son dossier validé. De plus, il faut rappeler que durant une année (entre septembre 2021 et janvier 2022), les visas accordés aux Algériens ont été réduits de moitié en raison d’une crise diplomatique entre l’Algérie et la France.
L’accord de 1968 prédomine sur les lois françaises concernant l’immigration extra-européenne. C’est ce fait que dénoncent Xavier Driencourt ou encore Édouard Philippe, mais ils ne mentionnent pas le fait que les immigrés algériens soient exclus « des titres de séjour créés par les lois de 2003, 2006, 2018, notamment ceux en matière d’immigration professionnelle, tels que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » ou encore la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant programme de mobilité » », comme le précise le ministère de l’Intérieur français sur son site.
Ensuite, il faut souligner la difficulté pour un ressortissant algérien à obtenir ou à renouveler un titre de séjour en France. La période de la pandémie a fait dérailler le fonctionnement des préfectures, où les étrangers gèrent leurs documents de circulation et de résidence.
Les délais de gestion de dossiers dans certaines préfectures ont été allongés à des mois, atteignant parfois une année complète. Une complication majeure pour les renouvellements de titres de séjour des étrangers, dont des Algériens, qui parfois se sont retrouvés en situation irrégulière à cause de la lenteur administrative.
La Cimade, association de défense des droits des étrangers en France, dénonce depuis 2021 ces blocages. En mars 2023, avec d’autres associations et fondations, elle a dû déposer un recours en justice pour dénoncer la préfecture des Bouches-du-Rhône qui impose aux demandeurs étrangers de se tourner vers des démarches numériques et les empêchent de rencontrer physiquement un agent administratif pour traiter de leur cas. Un « mur numérique » qui discrimine davantage les étrangers.
Les chiffres de l’immigration algérienne en constante baisse
Il est important de noter que les chiffres de l’immigration algérienne ne se maintiennent pas et ne bondissent pas en France. Preuve que les accords n’accélèrent pas la venue d’immigrés algériens.
En 1968, 60 % des personnes nées françaises à l’étranger étaient originaires d’Algérie, d’après les chiffres de l’Insee. Au fil des décennies, l’immigration algérienne n’a cessé de baisser.
Si l’on regarde les derniers chiffres recensant les mouvements depuis l’Algérie vers la France, on voit qu’en 2021 les Algériens représentaient 12,7 % de la part totale des immigrés. Certes, elle est la première population étrangère en France, mais elle est quasi similaire à celle provenant du Maroc qui est de 12 %, alors que ce pays ne bénéficie pas de privilèges migratoires.
En 2020, la part d’Algériens était de 7,1 %, soit seulement la deuxième population venue d’Afrique et migrant en France.
Côté visas, il en est de même. Xavier Driencourt le souligne d’ailleurs dans sa note publiée chez Fondapol, leur octroi a été nettement réduit au fil des ans. Dans son analyse, l’ex-ambassadeur de France à Alger rappelle qu’entre 2017 et 2020, la politique française a réduit à peau de chagrin le nombre de visas accordés aux Algériens. En 2017, 411.979 ont été délivrés, en 2018, ce sont 293.926 qui ont été accordés et en 2019, seulement 183.925.
De fait, même les dépôts de demandes ont suivi cette tendance. Les Algériens demandent, techniquement, de moins en moins de visas depuis 2017.
Finalement, le texte de 1968 semble être davantage de l’ordre de la théorie politique que de l’application concrète, puisque les rouages administratifs et les relations diplomatiques donnent davantage la politique de l’immigration en France, que les lois elles-mêmes.
« Les effets du « statut particulier » liés à l’accord de 1968 sont aujourd’hui marginaux », estime Christophe Pouly, docteur en droit public spécialisé dans le droit de l’immigration, cité par L’Express.