“Pas de justice. Pas de paix”. Ce slogan est le cri lancé depuis les banlieues françaises depuis la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier, mardi 27 juin dernier.
Ce slogan, scandé à de multiples reprises lors de manifestations, est arrivé en top tweet sur Twitter après le tir mortel d’un policier qui a tué un adolescent franco-algérien à Nanterre lors d’un contrôle routier.
La justice pour Nahel mais aussi pour tous les habitants des banlieues, les étrangers de France, c’est ce que les manifestants réclament à la France qui ne peut plus cacher son indifférence pour les quartiers populaires et les citoyens d’origine étrangère.
France : les banlieues sous l’effet cocotte-minute
C’est ce même besoin de justice qui a fait exploser les banlieues mais aussi les villes de France. Le décès de l’adolescent a déclenché plusieurs nuits d’émeutes et de violences en France.
Des magasins pillés dans les grosses villes françaises, des agents de police agressés. Des écoles, des mairies, des centres sociaux, des médiathèques ont été envahis et vandalisés après la mort de Nahel et surtout la découverte de la vidéo où l’on voit le policier tirer sur l’adolescent. Preuve que la France a atteint un point de rupture.
Même si le policier a été placé en détention provisoire pour homicide volontaire, la disparition de Nahel est l’événement de trop pour les banlieues françaises.
Le média Blast s’est rendu dans le quartier de Nahel pour interviewer ses proches. Leurs témoignages révèlent le malaise de fond qui a décuplé la souffrance de voir l’un des leurs partir.
“Nahel est mort et les gens ont explosé. Parce que c’est trop. On se fait contrôler. On se fait taper. On se fait humilier. Ils nous parlent mal”, confie Anaïs, une amie d’enfance de Nahel. “C’est impardonnable, il a tué Nahel, il a tué le monde entier”, explique-t-elle avec beaucoup d’émotions.
Comme Anaïs qui a perdu un ami et l’espoir qu’elle et son entourage soient estimés par la France, ils sont nombreux dans les banlieues françaises à être dégoûtés d’un système injuste où ils sont perçus comme des sous-citoyens. L’explosion était attendue.
La banlieue en France : ghettoïsation de la pauvreté et de l’immigration
La banlieue ce n’est pas seulement un terme générique, un concept abstrait ou une zone vaguement délimitée en dehors des centres villes. La banlieue représente 1514 quartiers prioritaires répartis sur 859 communes en France. Ce sont environ 5,4 millions personnes qui représentent actuellement 8 % de la population française.
La banlieue est le cœur de la pauvreté française. La moitié de ces 5,4 millions d’habitants vit avec moins de 1.168 euros par mois d’après les chiffres de Statista. Alors que la moyenne de revenus en France est de 1.822 euros net mensuels. Concrètement, la banlieue connaît un taux de pauvreté de plus de 40 %. C’est trois fois plus que la moyenne nationale française.
Ce constat n’est pas récent mais date des années 80, pourtant la France ne parvient toujours pas à améliorer les conditions de vie des habitants de ces zones prioritaires. Le premier plan banlieue date de 1977 avec l’arrivée des problèmes dus à l’isolement de ces populations dans des grands ensembles urbains en périphérie des villes. Cet ostracisme fait naître les premières discriminations, le manque d’égalité des chances.
Dès les années 80 naissent les premiers éclats en banlieue. La première action violente dans les banlieues intervient aux Minguettes à Vénissieux où des jeunes incendient des voitures volées. S’en suivent des décennies de crises régulières. En 1983, la marche des Beurs pour dénoncer les discriminations subies par les habitants de banlieue et les Français issus de l’immigration impose le sujet banlieue comme un débat public.
Pourtant 40 ans plus tard, les pouvoirs publics français peinent encore à donner quelconque réponse. 14 plans banlieues ont été proposés. Les quelques plans concrétisés ont surtout mis l’accent sur la rénovation urbaine ou le classement de ces territoires en tant que zone prioritaire.
Mais ces décisions politiques ne prennent pas en compte les discriminations subies quotidiennement par cette population. La pauvreté, l’échec scolaire et la multiplication des violences policières. Pour sauver les banlieues c’est toute une révolution socio-politique que la France aurait dû lancer, pas seulement des dispositifs bancals.
Karcher, décivilisation : la politique de l’effacement avant tout
La situation actuelle que connaît la France est donc loin d’être inédite. Le pays vit de manière cyclique des explosions sociales, des déclenchements d’émeutes et manifestations violentes.
Dans un précédent article nous rappelions l’étrange écho de ces émeutes avec celles de 2005. Elles avaient également été déclenchées par la mort injuste de jeunes de banlieue. Mais surtout elles faisaient suite à l’échec de plans banlieue et à une série de provocations politiques.
“Le bruit et l’odeur” de Jacques Chirac. “La racaille” à passer “au karcher” de Nicolas Sarkozy. Plus récemment “la décivilisation” d’Emmanuel Macron. Ces trois hommes politiques qui ont été ministres et présidents de la République n’ont pas hésité à déshumaniser les habitants de banlieue dans les moments de crise pour répondre à un agenda politique. Des instants où justement les banlieusards demandaient tout l’inverse. Du respect et de l’égalité.
Effacer la citoyenneté des habitants de banlieue n’a permis que de mettre davantage d’huile sur le feu. Leur existence et leurs problèmes ne sont pris en compte que lors d’échéances électorales, d’élaboration de programmes politiques ou pire dans les discours d’extrême-droite pour justifier le nécessaire durcissement des politiques sociales et migratoires.
L’extrême-droite a profité de la vacance politique dans les banlieues
Ce mépris politique s’est accéléré ces dernières années, notamment avec un surinvestissement de l’extrême-droite et de l’ultra-droite dans le débat public.
Ces tendances politiques ont gagné sur le terrain de l’image et de la peur. Leur manière de diaboliser systématiquement les banlieues françaises a fini par devenir une démarche politique tolérée.
Même sous la pression d’une situation de désespoir, comme celle que vit la France avec la mort de Nahel et le déclenchement des émeutes, l’extrême-droite ne lâche rien. Au contraire, elle développe de nouveaux arguments. Toujours orienté vers la détestation du pauvre et de l’étranger d’origine maghrébine particulièrement algérienne et ce pour des raisons historiques liées à la colonisation et à la guerre d’Algérie. Des idées vides sans fondements.
« Emmanuel Macron doit marteler que la guerre d’Algérie est terminée », disait Yazid Sabeg dans un entretien au Télégramme de Brest en septembre dernier quelques jours seulement après la visite du président français en Algérie.
D’origine algérienne, Yazid Sabeg a élaboré un plan banlieue quand il était commissaire à la diversité sous la présidence de Sarkozy (2007-2012). Mais son plan a été ensuite abandonné après l’élection de François Hollande comme président de la République en 2012.
Vendredi dernier, Eric Zemmour dénonçait encore sur Twitter : “On a dépensé 40 milliards d’euros pour reconstruire ces quartiers avec le plan Borloo, 40 milliards ! Vous voyez le résultat aujourd’hui ?”.
De quel plan Zemmour parle-t-il ? Du programme national de rénovation urbaine 2004-2021 ? Comme le rappelle Libération, il “n’a pas coûté 40 milliards, mais 12 milliards”. Des milliards consacrés seulement à la rénovation immobilière qui d’ailleurs a bénéficié par la même occasion au secteur du BTP, générant des recettes importantes et des emplois.
Le second plan Borloo présenté lors du premier mandat d’Emmanuel Macron a existé… mais uniquement sur le papier. Le plan Borloo qui était ambitieux a été abandonné à la dernière minute par Emmanuel Macron qui le trouvait trop arriéré. Le Président à l’époque a préféré se concentrer sur le déploiement renforcé de forces de police dans les banlieues.
Par ce genre de phrase, Eric Zemmour devenu l’une des figures dominantes de l’extrême-droite en France continue de bâtir la croyance selon laquelle les habitants de banlieue ne méritent aucun égard. Une forme de théorie de “l’ensauvagement” des cités qui plaît tant à l’extrême-droite et l’ultra-droite.
Ce discours est également repris par le Rassemblement National, par la voix de son président Jordan Bardella, qui appelle à ne surtout plus relancer de plans banlieue, “un cadeau fait aux émeutiers absolument inouï”. La colère derrière les émeutes n’est jamais analysée mais seulement instrumentalisée pour diaboliser toujours plus les banlieues.
La tentative d’un basculement vers un conflit racial
L’extrême-droitisation du débat politique en France n’a pas seulement favorisé la crise actuelle. Elle pourrait empirer les choses avec son obsession des banlieues et surtout des origines étrangères particulièrement algérienne de ses habitants. Avec le déclenchement des émeutes, l’extrême-droite a encore gagné du terrain en évoquant constamment une idée de guerre civile et d’émeutes raciales. Alors que la France traverse une crise purement franco-française.
Un discours repris au sein même de la police. Les syndicats Alliance et UNSA police ont publié un communiqué d’une violence incroyable. Dans lequel ils évoquent la notion de guerre contre “des nuisibles” et de “hordes sauvages”. Un discours dangereux qui, en suggérant une fausse guerre, pourrait l’inciter. C’est d’ailleurs ce qu’a dénoncé Jean-Luc Mélenchon dans un tweet. “Les ‘syndicats’ qui appellent à la guerre civile doivent apprendre à se taire”, a estimé l’ancien candidat de gauche à la présidentielle.
À cela s’ajoute la “cagnotte de la honte” pour la famille du policier qui a tué Nahel. Lancée par Jean Messiha, zemmouriste de première heure. Plus de 1,6 million d’euros donné à l’homme qui a ôté la vie à un jeune franco-algérien.
Une forme de soutien indécente et raciste, qui acte encore une fois une forme de guerre sourde contre les habitants de banlieue, et par extension les étrangers qui ne se soumettent pas aux règles françaises. Il n’est plus question d’oublier les banlieues françaises mais encore une fois de les effacer.
Ces discours haineux ont des conséquences déjà à court terme. Non seulement sur le sort des banlieues mais plus généralement sur celui des Français ayant des origines étrangères.
Ce mercredi, à Bron, dans la métropole de Lyon, un père et sa fille ont été percutés par des individus se revendiquant d’extrême-droite souhaitant “se faire des noirs et des arabes”. Doit-on craindre la multiplication de ce genre d’actes en France ?