À mesure qu’approche le deuxième tour de l’élection présidentielle française, prévu le 24 avril, les musulmans de France se mobilisent pour faire barrage à Marine Le Pen.
Et ce n’est pas à tort qu’ils le font. Une éventuelle victoire de la candidate d’extrême-droite fera que rien ne sera plus comme avant pour eux en France.
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Marine Le Pen est arrivée deuxième au premier tour de la présidentielle avec 23 % des voix. Les sondages donnent le président sortant Emmanuel Macron réélu avec seulement quelques points d’avance, ce qui fait que les chances de gagner de la candidate du Rassemblement national (ex-Front national) sont réelles.
L’extrême-droite n’a jamais été aussi proche d’accéder au pouvoir en France. Et rien que l’évocation de l’extrême-droite fait penser, pour user de l’euphémisme, à une politique plus dure à l’égard de l’immigration et des étrangers déjà établis, les Algériens particulièrement et les musulmans en général.
Certes, Marine Le Pen a presque réussi son coup de la « dédiabolisation » et à faire oublier que son père a fondé l’ancêtre du parti qu’elle dirige sur la xénophobie et autour du noyau dur des nostalgiques de l’Algérie française.
Pendant la campagne de cette élection 2022, elle a laissé le discours raciste au polémiste Éric Zemmour, qui a obtenu 7 % des voix au premier tour, et axé sur la thématique du pouvoir d’achat. Mais son programme est là et inquiète dans toutes les franges de la société.
« Un programme brutal, profondément xénophobe et autoritaire, qui mettrait la France au ban des démocraties européennes », s’alarme le journal en ligne Mediapart, engagé dans une campagne pour faire barrage à la candidate de l’extrême-droite.
Les musulmans sont ceux qui ont le plus de raisons de redouter une victoire de l’extrême-droite. À Lyon, le Conseil des mosquées du Rhône a appelé dimanche 17 avril à faire barrage à Marine Le Pen. Il emboîte ainsi le pas à la Grande mosquée de Paris qui a appelé la semaine passée à voter pour Emmanuel Macron.
Dans les programmes des candidats de l’extrême-droite, « tout est réfléchi pour rendre l’accès au séjour le plus restrictif possible, dans une logique de « machine à expulser » générant un climat de peur permanent pour les étrangers », ce qui « mènerait à une fracturation accrue de la société, à des tensions sociales toujours plus exacerbées et à des régressions sociales et démocratiques majeures pour des millions de personnes », estime Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de l’association La Cimade, qui défend les droits des migrants. Et celui de la candidate du Rassemblement national ne fait pas exception.
Mais c’est sur les retombées pour la communauté musulmane que s’attarde Sihem Zine, présidente de l’association Action droits des musulmans, qui se dit tout simplement « effrayée ».
La militante reconnaît d’abord que le pouvoir actuel a balisé le terrain pour Mme Le Pen qui n’aura qu’à « appuyer sur l’accélérateur par rapport à ce qu’a fait Gérald Darmanin » le ministre de l’Intérieur.
Celui-ci a mis en place une batterie de mesures et une victoire de l’extrême-droite ferait que ces dispositions tomberaient « entre de mauvaises mains ».
« La France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels »
La première mesure que promet Marine Le Pen qui fait parler dans cet entre-deux-tours, c’est l’interdiction du voile islamique.
« Elle va faire quoi, leur mettre une amende ? Les mettre en prison ? Leur arracher leur voile ? Il va forcément y avoir des accrochages et des situations qui vont dégénérer », met en garde Sihem Zine.
Celle-ci se dit inquiète du projet de loi visant à combattre les idéologies islamistes et déposé par Mme Le Pen en 2021 : « Elle mélange immigration et islamisme ».
Et d’ajouter qu’en cas de victoire, Marine Le Pen « va instaurer un ordre moral, et si une association ne le respecte pas, ce sera la dissolution, la privation des droits civils. Tous les réseaux sociaux, les sites Internet vont être surveillés ».
« Les policiers risquent également d’avoir carte blanche. Des jeunes risquent de se faire tabasser dans la rue. Les groupuscules d’extrême-droite, eux, vont avoir un sentiment d’immunité et s’en donner à cœur joie », s’inquiète Mme Zine.
« En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie », signale dans ce sens le juriste Yannick Lecuyer.
Le président Macron avait fait adopter une loi de lutte contre le séparatisme, mais Marine Le Pen souhaite aller encore plus loin. Son projet prévoit une série de mesures visant à empêcher « la diffusion de l’idéologie islamiste », mais ne définit pas cette idéologie et ce qui la distingue de la pratique de l’islam.
« Interdire une idéologie, on ne voit pas très bien la frontière avec le délit d’opinion. Si les mots ont un sens, une idéologie, c’est un système de pensée (…) Ce texte est en rupture avec la Déclaration des droits de l’Homme qui a fait entrer le droit français dans la modernité », dénonce la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, dans Mediapart.
Avec Marine le Pen, la pratique de l’islam en France sera soumise au droit discrétionnaire de l’administration. Son projet de loi prévoit un contrôle de la diffusion des livres de jeunesse et des œuvres cinématographiques susceptibles de propager la prétendue idéologique et autorise le licenciement ou le refus d’accorder un logement pour le motif de « diffusion de l’idéologie islamiste » que, encore une fois, rien ne distingue de l’islam dans le projet de Marine Le Pen.