Les mouvements d’extrême-droite prennent de plus en plus d’ampleur en France. Tout d’abord par le biais de la politique.
Les derniers scrutins organisés par la France ont révélé une myriade de personnalités et de programmes politiques aux idées d’extrême-droite.
Le Rassemblement National, ex-Front National n’a plus le monopole de ce bord politique. Eric Zemmour est venu prêter main forte avec son parti Reconquête et son obsession du “grand remplacement”.
Les partis traditionnels de droite ont également pris possession de combats habituellement portés par l’extrême-droite tels que la lutte anti-immigration ou la place de l’Islam en France. .
En parallèle de cette mouvance, l’extrême-droite s’est trouvé des ambassadeurs à travers ce que l’on appelle, la “fachosphère”. Elle est composée de comptes connus ou anonymes sur Instagram, Twitter, d’influenceurs politiques qui boostent quotidiennement la communication des personnalités et des idées d’extrême-droite.
Une armée de soldats numériques prêts à construire une propagande autour d’une prétendue invasion des étrangers et surtout des musulmans.
Ces derniers n’hésitent pas à jouer avec les faits d’actualité, à propager des mensonges ou à manipuler les propos de personnalités connues ou lambda.
Leur cible commune est clairement l’Islam et ses croyants. Si l’on était habitué à voir affluer les fake news liées à l’actualité afin d’aider la cause d’extrême-droite, on découvre désormais une sorte d’influenceurs qui vont jusqu’à retravailler l’histoire et le passé de la France pour représenter les musulmans comme les ennemis de toujours.
L’Histoire réécrite pour servir un discours haineux
Ce genre de démarche se noie dans la multitude de contenus postés sur les réseaux sociaux. Lorsque l’on manque d’expertise, on peut donc facilement se laisser berner.
Là repose tout le pouvoir des fake news. En s’introduisant dans une masse d’informations vérifiées et justes, elles ont des chances d’être absorbées et même relayées par n’importe quel internaute.
Le compte Twitter Actuel Moyen Âge dédié à la recherche sur histoire médiévale a récemment alerté la Toile sur ce genre de dérive. Thaïs d’Escufflon, une influenceuse nationaliste, a livré une analyse douteuse sur la fameuse “Reconquista” espagnole en Andalousie (722 – 1492).
Le compte Twitter est tenu par Florian Besson, historien, spécialiste de l’Europe médiévale. Il a tenu à décortiquer la vidéo publiée par Thaïs d’Escufflon, militante d’extrême-droite, ex-porte-parole du mouvement politique Génération Identitaire (dissout en 2021 par le gouvernement français).
La jeune femme s’est transformée en influenceuse politique afin de prêcher la parole de l’extrême-droite par d’autres mediums. Elle a posté il y a deux semaines une vidéo où elle retrace l’histoire de l’Espagne et fait l’apologie des “héros de la Reconquista”, qui se sont battus contre la présence des musulmans en Andalousie.
Le sujet abordé est un thème historique connu et enseigné en Europe. Mais le problème dans la vidéo de la militante d’extrême-droite est la création d’un mythe nationaliste autour de personnages de l’histoire. Florian Besson s’inquiète de la dimension chevaleresque, patriotique et même nationaliste que donne la militante à ce pan de l’histoire européenne.
Le thème de la Reconquista fonctionne pour l’extrême-droite car Thaïs d’Escufflon souligne qu’ “après 8 siècles d’occupation, le peuple espagnol expulse l’envahisseur musulman”.
La militante d’extrême-droite insiste sur la motivation des chevaliers espagnols qui ont lutté contre les musulmans. Pour elle, ce sont les désirs de liberté et de défense de la nation qui ont permis aux chevaliers de repousser les musulmans.
Mais l’historien Florian Besson rappelle un détail qui ne l’est pas vraiment. Au moment de la Reconquista, les chevaliers se battent pour une récompense, un butin. Ce sont davantage des mercenaires payés par des seigneurs chrétiens espérant gagner davantage de terres. La notion même de patrie en Europe n’existe pas encore à cette période, rappelle l’historien.
“Imaginer un ‘peuple’ qui se bat pour sa ‘liberté’ est donc une lecture anachronique et nationaliste, qui plaque sur les médiévaux des idées politiques inventées plusieurs siècles plus tard”, estime Florian Besson.
“Ces ‘reconquérants’ sur lesquels fantasme TdE sont profondément divisés : les rois chrétiens passent leur temps à se faire la guerre les uns contre les autres, et n’hésitent pas pour ce faire à nouer des alliances avec les émirs musulmans !”, rappelle encore l’historien.
La vidéo de Thaïs d’Escufflon a été visionnée plus de 80 000 fois sur YouTube. Par le biais de ces déformations historiques, la militante d’extrême-droite légitime une sorte de guerre perpétuelle contre l’ennemi musulman. Le contenu est donc loin d’être neutre.
La guerre d’Algérie, un autre fait historique manipulé à l’envi
L’idée de croisade est constamment utilisée par l’extrême-droite française. Quitte à la dupliquer et à la calquer grossièrement sur d’autres faits historiques. L’idée essentielle est d’opposer la « barbarie » des arabes et des musulmans à la « lumière » chrétienne.
Une énième mission civilisatrice, une défense de la liberté qui rappellent celles évoquées pour justifier la colonisation française de l’Algérie, un pays qui est d’ailleurs constamment au cœur de la communication de l’extrême-droite.
La guerre d’Algérie a longtemps été – et elle l’est encore – un thème que ce type de courant tente de réinventer ou de s’accaparer.
Lorsque Eric Zemmour nomme son parti Reconquête (inspiré justement de la Reconquista espagnole), ce n’est pas anodin. Il promeut avec un seul nom de parti l’idée qu’il faut récupérer des terres arrachées par l’ennemi (arabe, maure, musulman) comme celles de l’Algérie.
Le pays où sa famille est née mais qu’elle a dû quitter quelques années avant la libération du pays.
Durant sa campagne présidentielle de 2022, Eric Zemmour a d’ailleurs mis en avant son désir de revanche sur l’Algérie perdue. Lui-même n’avait pas hésité à écrire sa propre version de l’histoire, en estimant qu’il n’y “avait pas de nation algérienne avant la colonisation” et que le pays n’était que la création de la France.
La famille Le Pen, du père Jean-Marie, à Marine, n’ont jamais eu de cesse de désigner les combattants du FLN comme des “terroristes”.
En mars dernier, Marine Le Pen s’opposait à l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, l’avocate qui avait défendu des militants du FLN.
Gisèle Halimi avait pris la défense de Djamila Boupacha, violée et torturée par des soldats français pendant la Bataille d’Alger. Un procès qui avait permis de médiatiser les méthodes indicibles de l’armée française en Algérie. Pourtant, aux yeux de Marine Le Pen, Gisèle Halimi est condamnable.
Toutes ces déformations de l’histoire ont un impact non négligeable sur la société française. Il n’y pas seulement une volonté de réinterpréter le passé historique mais aussi de convaincre l’opinion avec des points de vue extrémistes.
Malgré un travail rigoureux de la part d’experts comme l’historien Florian Besson, ou de médias qui dédient des rubriques au fact-checking, comme Le Monde ou encore Libération, les fausses informations font leur chemin coûte que coûte.
Les démentis ne parviennent pas toujours à effacer l’atmosphère générale que parvient à installer la fachosphère à travers les outils du Web.
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