Il n’y a pas mieux que le langage des ruptures amoureuses pour caractériser la tension diplomatique et l’animosité des dernières semaines entre la France et l’Italie, deux pays latins, proches et divisés au cœur de l’Europe.
C’est l’angle choisi par le politologue français Dominique Moïsi qui titrait récemment un éditorial “Divorce à l’Italienne”, du nom d’un film italien avec Marcello Mastroianni récompensé par un Oscar en 1961.
Moïsi se déclare choqué de voir les populistes transalpins au pouvoir apporter publiquement leur soutien aux “gilets jaunes”, le mouvement social hostile au président Emmanuel Macron en cours depuis novembre.
“Un gouvernement italien qui, au sein de l’Union esuropéenne, encourage à ce point des forces d’opposition en France, je crois qu’il n’y a pas de précédent. C’est une forme de rupture”, a-t-il indiqué à l’AFP.
Pour lui les graines de la crise ont été semées en mars dernier, il y a près d’un an, après les élections italiennes: le président français, d’obédience centriste, avait espéré un gouvernement compatible avec ses projets de réforme de l’Union européenne. A la place il a vu le triomphe des eurosceptiques, les antisystèmes du mouvement Cinq Etoiles et les extrémistes de droite de la Ligue.
Le chef de la Ligue Matteo Salvini et celui de Cinq Etoiles Luigi Di Maio, respectivement ministre de l’Intérieur et vice Premier ministre, ont formé un duo de plus en plus ouvertement hostile à la France.
Au point que de nombreux analystes s’interrogent sur les conséquences possibles de cette acrimonie entre deux pays considérés comme un axe de stabilité dans une union chahutée par le Brexit et le bloc de l’Est.
“Le fait qu’on ne puisse plus travailler sur des projets européens avec l’Italie, ça pose un vrai problème”, juge ainsi Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, un think-tank de Bruxelles. “Déjà avec d’autres partenaires ce n’est pas facile, y compris avec l’Allemagne. Mais l’Italie, c’était toujours un allié proche des positions françaises”.
Paris a convoqué la semaine dernière l’ambassadrice italienne en France, après les propos de Di Maio accusant la France de perpétrer la colonisation de l’Afrique et d’inciter la population du continent à migrer vers l’Europe.
Quelques jours plus tard, Salvini en rajoutait en qualifiant Emmanuel Macron de “terrible président”.
“Je ne vais pas répondre. La seule chose qu’ils attendent, c’est ça”, a riposté dimanche Macron en visite en Egypte. “Le peuple italien est notre ami et mérite des dirigeants à la hauteur de son histoire”.
– Calcul électoral –
Mais on aurait tort de ne voir la France, ou son président, que comme la victime des provocations italiennes, préviennent les observateurs.
“Cette crise vient de loin. Une sorte de compétition et un complexe de supériorité des Français rencontrent un complexe d’infériorité des Italiens. Il y a quelque chose de très émotionnel dans la relation franco-italienne”.
L’une des premières initiatives de Macron, tout juste élu en 2017, fut d’organiser à Paris une conférence internationale sur la Libye – sans consulter l’Italie, ex-puissance coloniale jalouse de son influence et de ses intérêts économiques.
Dans la perspective des élections européennes de mai, il a vanté les mérites du camp “du progrès” face aux nationalistes d’extrême droite. Et quand Salvini a refusé d’accueillir un bateau de migrants, en juin dernier, le chef de l’Etat français a aussitôt dénoncé son “cynisme” et son “irresponsabilité” – avant de comparer le populisme à la “lèpre”. Une remarque qui ne passe pas à Rome.
Selon un diplomate français, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, la question de l’immigration “continue de compliquer les choses”. Mais le gouvernement italien de son côté attaque l’UE sur ses règles budgétaires qui limitent les dépenses publiques.
“Ce n’est pas une crise franco-italienne, même si la France est un ennemi facile et commode. Le sujet reste le rapport de l’Italie avec l’Europe”, reprend le diplomate.
Moïsi dit maintenant attendre les élections européennes en espérant qu’après le scrutin, “les possibilités de compromis seront plus grandes”.
Une meilleure perspective que celle de “Divorce à l’italienne”, qui finissait par un meurtre.