Société

France : les instances dirigeantes de l’islam à couteaux tirés

Les instances représentatives des musulmans de France s’entredéchirent à propos de la mise en place d’un conseil national des imams (CNI) et l’élaboration d’une charte de l’islam de France, voulus par le président Emmanuel Macron.

La Grande mosquée de Paris vient d’annoncer son retrait du projet de création du CNI. A l’origine de cette décision, le recteur de la Grande mosquée de Paris, le franco-algérien Chems Eddine Hafiz accuse, dans un communiqué incendiaire, une supposée « composante islamiste » du Conseil français du culte musulman (CFCM), dont il est par ailleurs vice-président, d’avoir « insidieusement bloqué les négociations en remettant en cause  systématiquement certains passages importants ».

La GMP charge le CFCM

« Des membres de la mouvance islamiste sont allés jusqu’à réaliser des manipulations médiatiques, salissant notre honneur et, dans le contexte, mettant ainsi notre vie en danger, faisant croire que cette charte avait pour ambition de toucher à la dignité des fidèles musulmans. Ce qui est un mensonge éhonté, dont les conséquences peuvent être particulièrement graves », fustige M. Hafiz dans un communiqué diffusé sur Twitter.

Le président du CFCM, le franco-marocain Mohamed Moussaoui, n’a pas tardé à réagir, enjoignant « d’arrêter de dénigrer » son association et demandant que soit installé « immédiatement » le Conseil national des imams et à « le doter des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission ». 

Autrement dit, il compte mener le projet à son terme malgré l’objection de la GMP qui est proche de l’Algérie, même s’il émet le souhait que cette dernière « puisse continuer à œuvrer avec ses partenaires au CFCM afin de défendre notre idéal commun, celui de faire reculer toute expression extrémiste usurpatrice de notre religion ».

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Au cœur de la discorde, la « charte des valeurs » de l’islam exigée par le président français Emmanuel Macron dans le sillage de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty par un terroriste. Cette charte doit constituer ainsi un engagement écrit soulignant formellement l’attachement du CFCM aux lois et principes essentiels de la République française. La création d’un Conseil national des imams a été formellement demandée également par le président français.

« Cette composante islamiste agissante au sein du CFCM œuvre, comme à son habitude, en coulisses et en surface, pour saborder toutes les initiatives qui visent à créer des rapprochements salutaires entre musulmans de France et la communauté nationale », dénonce le recteur de la Grande mosquée de Paris qui annonce par la même occasion  sa décision de « ne plus participer aux réunions qui visent à mettre en œuvre le projet du Conseil national des imams et de geler tous les contacts avec l’ensemble de la composante islamiste du CFCM ».

« L’Islam consulaire n’est pas la solution »

« Je pense qu’il faut toujours nommer les choses et on ne peut pas guérir de la tragédie que nous connaissons si on ne sait pas de quoi l’on parle. Le bon diagnostic commence par le fait de se mettre d’accord sur ce qui ne va pas et ce qui pose problème », estime l’islamologue Ghaleb Bencheikh, interrogé par TSA à propos des supposés passages censurés.

« Cette affaire a assez duré »

Au-delà de cet aspect, le président de la Fondation de l’islam de France parle de « profondes fêlures au sein des instances dirigeantes de l’islam de France » et se dit « navré de voir qu’au moment où notre belle tradition est pervertie par le terrorisme abject et l’islamisme radical qui la dénature, l’on soit encore à un énième psychodrame ».

« Cette affaire a assez duré. Nous la subissons depuis plusieurs années. Cela s’explique par l’incurie et l’incompétence des personnes qui sont dans le paysage islamique français. Ces personnes sont comptables sinon coupables de la situation que nous connaissons », estime M. Bencheikh.

Pour lui, il est difficile de concevoir la mise en place du CNI sans l’adhésion de toutes les composantes du CFCM, « à moins que, dit-il, si l’on suit ce que dit M. Moussaoui, cette charte continue bien qu’une composante importante du CFCM se retire ».

Ce profond désaccord ne serait-il pas le prolongement des tensions politiques entre le Maroc et l’Algérie dans le contexte de la décision de Rabat d’établir des relations diplomatiques avec Israël en échange de la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental occupé ?

« Si tel était le cas, cela montrerait encore une fois que ce qu’on appelle l’islam consulaire n’est absolument pas une solution pour l’islam de France. Le fait de continuer à accepter une présidence tournante du CFCM ou même de permettre le détachement de ministres du culte qui viennent de ces pays, ce n’est pas une solution. La preuve, on voit les tensions entre les pays importées sur le sol français avec des répercussions sur l’islam de France. La tradition religieuse islamique en France qui a besoin de sérieux, de sagesse, de calme et de compétence se voit prise en otage par ceux qui vouent loyauté et inféodation aux régimes qu’à l’islam et à la République », répond Ghaleb Bencheikh.

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