« L’ affaire Ramadan » (le prédicateur suisse fait l’objet de deux plaintes pour viol) est à l’origine d’une polémique qui oppose le journal Charlie Hebdo au directeur de publication de Mediapart Edwy Plenel.
« Affaire Ramadan, Mediapart révèle : « On ne savait pas » ». Le 7 novembre, Edwy Plenel, le directeur de publication et cofondateur du journal en ligne Mediapart fait la Une de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Avec cette Une, Charlie Hebdo accuse Edwy Plenel de « couvrir » l’islamologue suisse Tariq Ramadan qui fait l’objet de deux plaintes pour viol.
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Sur son compte Twitter, Edwy Plenel dénonce « l’Affiche rouge » de Charlie Hebdo en référence aux affiches du régime de Vichy et de l’occupant nazi placardées dans tout Paris le 22 février 1944 le jour du procès de résistants.
« Des libérateurs ? La libération ! Par l’armée du crime », scandent alors ces affiches qui voient les résistants comme des traîtres à la nation.
Mediapart dénonce une accusation ad hominem
La société des journalistes (SDJ) de Mediapart réagit dans la foulée. « La liberté de la presse et la liberté d’expression par les caricatures ne sont pas négociables. C’est le cœur de notre démocratie. Tout doit avoir le droit de se dire, de s’écrire et de se représenter, dans le respect de la dignité des personnes concernées. Cette liberté nous engage, journalistes et caricaturistes. Elle ne nous donne pas licence pour désinformer et calomnier. », écrit la rédaction dans une tribune.
En outre, les journalistes du site d’investigation voient dans cette caricature « une accusation contre Mediapart et, plus personnellement, contre son directeur de publication, Edwy Plenel : celle d’avoir couvert des viols. » Le journal rappelle qu’il a consacré une longue enquête en avril 2016 à Tariq Ramadan et précise qu’il n’a « jamais eu connaissance de la moindre accusation de harcèlement, d’agression sexuelle, ni de viol. »
Le mercredi 8 novembre, Edwy Plenel intervient cette fois au micro de FranceInfo : « la Une de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne plus générale que l’actuelle direction de Charlie Hebdo épouse avec Mr. Valls et d’autres parmi lesquels tous ceux qui suivent Mr. Valls : une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire une extrême-droite identitaire trouve n’importe quel prétexte, n’importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l’islam et les musulmans ».
Ainsi, le journaliste considère que la stratégie de Charlie Hebdo vise en réalité à s’attaquer à la communauté musulmane.
« Est-ce que Charlie Hebdo est devenu islamophobe selon vous ? » relance alors le journaliste. « Je ne donne aucun jugement. Je n’ai pas besoin d’adjectifs, tout le monde l’entend, je ne rentrerai pas dans cette course à l’échalote de la haine. Je pense que les musulmans de notre pays sont comme vous et moi, ils sont sensibles aux droits des femmes, ils sont sensibles aux libertés, ils sont sensibles au respect de la personne humaine », répond Plenel.
« Est-ce que Charlie Hebdo stigmatise les musulmans ? relance l’intervieweur. « Je ne lis pas Charlie Hebdo donc à chacun de se faire son jugement en lisant Charlie Hebdo », conclut le directeur de la publication de Mediapart qui préfère manifestement ne pas répondre à la question posée.
Pour Charlie Hebdo, Plenel les condamne à mort une seconde fois
Ces propos poussent le directeur de la publication Riss à réagir. Dans son édito paru mercredi 15 novembre, il revient sur la phrase prononcée par Plenel (« la « une » de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne générale de guerre aux musulmans ») et ses conséquences.
Le dessinateur du journal satirique fait son mea culpa. « On peut passer l’éponge sur beaucoup de choses, et penser que parfois les passions font dire des choses excessives et caricaturales. Il est certainement arrivé aussi à Charlie de céder à cette tentation de forcer le trait. Il en est ainsi du débat public et des polémiques tels qu’ils ont cours dans une démocratie ».
Mais pour Riss, la phrase de Plenel est impardonnable. « Car, en la prononçant, Plenel condamne à mort une deuxième fois Charlie. Cette phrase n’est plus une opinion, c’est un appel au meurtre. Mais un appel plus distingué que ceux que nous recevons sur les réseaux sociaux, rédigés par des gens au QI de poisson rouge. Cette phrase, qui désigne Charlie Hebdo comme un agresseur supposé des musulmans, adoube ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi. Cette phrase, qui parle de notre journal comme d’une arme de guerre, acquitte déjà ceux qui nous tueront demain. »
Le texte provoque l’ire de Plenel. Ainsi ce qui semblait être initialement un conflit idéologique entre deux visions de la liberté d’expression se transforme désormais en polémique sur l’existence de cette fameuse phrase. « La phrase que me prête l’édito de Charlie n’a jamais existé », estime le cofondateur de Mediapart qui dénonce, de surcroît, une « pure manipulation ».
Certes, le journaliste n’a pas prononcé mot pour mot « la « une » de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne générale de guerre aux musulmans », mais il a pourtant jugé que la une du journal satirique « fait partie d’une campagne plus générale que l’actuelle direction de Charlie Hebdo épouse (…) pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l’islam et les musulmans ».