Le deuxième tour des législatives en France, qui a eu lieu dimanche 20 juin, a laissé un paysage politique très fractionné.
Si le parti d’Emmanuel Macron remporte la majorité, avec 245 sièges, elle n’est pas absolue.
La République En Marche, désormais appelé Ensemble ! se retrouve prise en étau entre la gauche qui obtient 131 sièges et l’extrême-droite incarnée par Marine Le Pen. Loin derrière, le parti de droite Les Républicains détient 61 élus.
Si la gauche est parvenue à ce chiffre c’est en réunissant plusieurs partis dont la France Insoumise, le Parti Communiste et EELV.
Le Rassemblement national (ex-Front national, extrême droite) a obtenu lors de cette élection 89 sièges à l’Assemblée Nationale en se présentant seul. Un record.
Lors des dernières élections pour élire les députés, le parti de Marine Le Pen n’obtenait que cinq sièges en 2017. En seulement cinq ans, le parti d’extrême-droite a multiplié par plus de 17 ses élus au Parlement.
Un chiffre qui fait écho à la nette progression de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle d’avril dernier.
L’extrême-droite est aujourd’hui le deuxième parti d’opposition et aurait pu être le premier si la gauche ne s’était pas rangée sous une union commune.
Le tsunami d’extrême-droite
En France on parle de vague voire de tsunami RN. Ce score permet au parti d’extrême-droite de créer un groupe à l’Assemblée nationale.
C’est la première fois depuis 1986, puisqu’il faut au moins 15 députés pour obtenir un groupe. Cette année-là c’est Jean-Marie Le Pen et 35 députés du Front National qui avaient gagné leur ticket d’entrée à l’Assemblée nationale.
Jusqu’à présent, le meilleur score de l’extrême-droite lors des législatives avait été réalisé en 1956 par Pierre Poujade qui et ses 52 élus.
Une belle revanche pour Marine Le Pen qui revendique fièrement la victoire historique de son parti. Elle a d’ailleurs expliqué qu’elle ne reprendrait pas la présidence du RN pour se consacrer à ce groupe inédit.
La bataille se jouera désormais dans l’hémicycle, Marine Le Pen l’a bien compris.
Les macronistes évitent de peu la cohabitation mais risquent l’impasse sur certains sujets. On pense à des réformes comme celle de la retraite, l’une des plus attendues.
Poussée par un sentiment de puissance, Marine Le Pen a même offert aux autres courants politiques de la rejoindre pour s’unir et l’aider « à redresser le pays ».
Elle souhaite composer un groupe qui ne serait pas exclusivement composé d’élus de son parti mais aussi d’ailleurs.
Des victoires nettes dans plusieurs circonscriptions
Ce n’est pas seulement le nombre de députés élus qui permet de voir la progression du RN.
C’est aussi la manière dont les candidats d’extrême-droite ont obtenu leur élection à la fonction de députés.
Cette fois, les élus RN ont gagné leur place au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. En 1986, Jean-Marie Le Pen et ses soldats avaient remporté l’élection sur un scrutin proportionnel.
Les candidats RN ont même réussi à récupérer des zones qu’ils avaient perdues en 2017.
Dans le Vaucluse, par exemple, le parti a quasiment récupéré toutes les circonscriptions, avec quatre sur cinq.
Le RN a même arraché des places détenues par le parti présidentiel. Le parti d’extrême-droite, qui était surtout installé dans le nord de la France, a désormais de bonnes positions dans le sud, de l’est à l’ouest ou encore quelques départements d’Ile-de-France. La conquête de tout le territoire est lancée.
Le nouveau visage de l’extrême-droite a-t-il convaincu les Français ?
Ces résultats ne reflètent pas seulement la volonté d’un vote sanction. Le taux d’abstention était encore conséquent lors des législatives. On devine donc une lassitude de la classe politique chez les Français.
Ceux qui avaient choisi Emmanuel Macron et ses troupes en 2017 ont changé de croyances. De même pour les électeurs de la droite ou de la gauche, que sont-ils devenus ? Soit ils ont abandonné leur occasion de voter, soit ils se sont tournés vers les extrêmes.
C’est là que l’extrême-droite a saisi une opportunité de changer. Marine Le Pen jubile avec ses 89 élus car elle a réussi là où personne ne l’avait fait. Elle a bénéficié d’un climat social délétère mais aussi d’une normalisation de la pensée d’extrême-droite à travers le monde politico-médiatique.
Surtout, Marine Le Pen a opéré un changement de stratégie. Fini l’image dure et rigide du Front national. La véritable coupure avec l’héritage de son père, elle l’a opérée après sa défaite à la présidentielle de 2017.
Marine Le Pen apprend à chaque scrutin et change de direction quand cela est nécessaire. Son parti qui, entre temps, a changé de nom a été dépoussiéré. Elle a recruté des cadres plus jeunes, comme Jordan Bardella, très présent dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Ses conseillers étaient, cette fois, des fins stratèges de la communication politique qui ont choisi un discours plus neutre comme Sébastien Chenu. Même son image a été retravaillée.
Plus sympathique, souriante, ouverte et drôle, Marine Le Pen est devenue la Française avec qui on voudrait être amie. Lors des présidentielles, Marine Le Pen a même tenté de séduire l’électorat d’origine algérienne, alors que son parti a longtemps prôné une ligne dure à l’égard de l’Algérie et de l’immigration maghrébine en général.
Les électeurs français semblent vouloir donner une chance à cette tendance politique mais pourvu qu’elle ne soit pas trop extrême. Eric Zemmour qui, depuis l’an dernier était présenté comme le messie, n’a pas obtenu un seul siège au sein de l’hémicycle.
Beaucoup trop radical, il a imposé une frontière invisible dans le champ politique. Le discours haineux et raciste complètement assumé n’a pas encore séduit l’électorat français. Il aura seulement servi à adoucir l’image du Rassemblement national qui semblait bien pâle à côté de ses discours appelant à la promotion de l’unité française contre les envahisseurs étrangers. Encore une chance pour le parti de Marine Le Pen.
La prise de pouvoir a commencé pour le RN
Boostée par des résultats plus que prometteurs lors du scrutin présidentiel, Marine Le Pen multiplie les promesses de récupérer ce qui lui est dû. La chef de file vise déjà une fonction stratégique à l’Assemblée nationale : la présidence et la vice-présidence de la commission des finances.
Ce poste est stratégique puisqu’il contrôle la faisabilité des projets de loi et le respect du budget de l’Etat.
Il offre l’accès à des informations confidentielles et surtout ne peut être discuté. Un véritable contre-pouvoir qui, aujourd’hui, est assuré par Eric Woerth, ex-membre des Républicains mais devenu allié d’Emmanuel Macron.
La commission des finances de l’Assemblée Nationale est convoitée par tous les partis.
Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit qu’il puisse être octroyé à un parti d’opposition et c’est une tradition depuis 2007. Étant donné le score réalisé par l’extrême-droite, Marine Le Pen est légitime pour le revendiquer.
Pour les propositions de loi, si le RN parvient à trouver du soutien chez les autres partis, elle obtiendra davantage de force au sein de l’hémicycle. Rien n’est gagné puisque la gauche ne risque pas de la rejoindre.
Son appel lancé dès hier soir lors des résultats des législatives s’adressait davantage aux partis de droite, comme Les Républicains qui a obtenu 61 sièges aux législatives. D’autant plus que ce corps politique est en perte de vitesse comme le montrent les résultats catastrophiques lors des scrutins présidentiel et législatif. Marine Le Pen promet que ses élus se positionneront « sur des sujets fondamentaux » comme « la lutte contre l’islamisme ».
Pour l’heure, l’extrême-droite détient surtout une victoire symbolique mais pas nécessairement un contre-pouvoir. Toutefois, son avancée dans les urnes permet de légitimer de plus en plus sa présence dans les organes de pouvoir.
Autant de députés à l’Assemblée Nationale c’est aussi donner plus de voix à ce parti et plus d’influence. De plus, cela laisse craindre une progression qui ne s’arrêtera pas cette année mais qui se poursuivra vers les prochains scrutins. L’extrême-droite est officiellement une classe politique qui compte en France.