Le président français, Emmanuel Macron, est depuis hier au Maroc. Il doit notamment faire « connaissance » avec le roi Mohamed VI, et évoquer plusieurs sujets régionaux dont la crise dans le Golfe. De Jacques Chirac à François Hollande, en passant par Nicolas Sarkozy, quelles relations les anciens locataires de l’Élysée ont-ils entretenu avec Rabat ? Revue de détail.
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Chirac : une relation privilégiée avec le père, plus compliquée avec le fils
« Il y avait entre eux une capillarité très forte, une connexion permanente, une alchimie, un contrat de confiance qui ne s’est jamais démenti ». C’est ainsi qu’un officiel marocain décrit la relation entre le roi Hassan II et Jacques Chirac dans l’ouvrage Chirac d’Arabie des journalistes Éric Aeschimann et Christophe Boltanski, publié en 2006.
Les deux auteurs racontent comment Jacques Chirac -avant même d’être élu président de la République en 1995- a toujours affiché son soutien à Rabat. En 1990, quand la publication du livre Notre ami le roi de Gilles Perrault provoque une crise diplomatique entre Paris et Rabat, il se rend au Maroc pour « déplorer l’atteinte portée à l’image du royaume ». Par la suite, Chirac offre son soutien à Rabat sur la question du Sahara occidental.
À la mort de Hassan II en 1999, Jacques Chirac fait face à un tout autre style avec Mohammed VI. Il continuera toutefois par principe de défendre l’ami marocain, quitte à s’attirer les foudres de ses partenaires européens. Au moment du conflit entre l’Espagne et le Maroc au sujet de l’îlot Persil en juillet 2002 (un îlot inhabité et situé à 200 mètres des côtes marocaines que se disputent les deux pays), Jacques Chirac prend position en faveur de son allié marocain. Madrid est pourtant soutenu par l’Union européenne et l’Otan.
En 2006, l’ex-Premier ministre espagnol José María raconte au journaliste d’El Pais, Ignacio Cembrero, (aujourd’hui chroniqueur chez TSA) comment il s’est senti trahi par Paris. Michel de Bonnecorse, ex-ambassadeur de France à Rabat, (conseiller diplomatique de Chirac à Matignon entre 1974 et 1976) juge alors sévèrement ces accusations : « Tout cela n’est qu’une reconstruction a posteriori de M. Aznar, qui a toujours considéré les Marocains incapables par nature de prendre des décisions de façon autonome ».
Mais le bruit court que Mohammed VI est las du paternalisme de Jacques Chirac. Dans Chirac d’Arabie, les journalistes français racontent que Mohammed VI n’hésite pas à limoger l’ambassadeur du Maroc à Paris, Hassan Abouyoub, un proche de Chirac, histoire de montrer que « le temps des amis de son père est révolu ».
La fin de son mandat restera marquée par un gros fiasco industriel. Au printemps 2006, quand l’Algérie achète des avions militaires à Moscou, Mohammed VI promet au président Chirac de passer commande à la France pour des avions de chasse modernes. En juin, Dassault fait une offre ferme de 18 avions d’environ 2 milliards d’euros. Mais en avril 2007, alors que de nombreux couacs ont déjà eu lieu au cours des négociations, Paris découvre que Rabat n’a pas les moyens de payer la facture. À l’approche de l’élection présidentielle française, Chirac refuse de trancher, et laisse le dossier à son successeur. Les Français se feront finalement siffler ce contrat -annoncé comme imperdable- par les Américains.
Sarkozy : comme à la maison
Avant même d’accéder à la magistrature suprême en mai 2007, Nicolas Sarkozy entretient des relations privilégiées avec le roi du Maroc. « J’allais même le voir du temps où j’étais ministre de l’Intérieur, sans que Jacques Chirac le sache », a-t-il confié dans une interview accordée au Parisien en juin 2015.
Une relation privilégiée dont il faut toutefois ménager la susceptibilité. En juillet 2007, Mohammed VI refuse que le Maroc soit relayé au rang de simple étape de la tournée de Nicolas Sarkozy au Maghreb qu’il a débutée par Alger. Ce léger couac diplomatique est finalement réparé en octobre 2007. Le locataire de l’Élysée, alors accompagné de soixante-dix chefs d’entreprise, d’un grand équipage ministériel avec six ministres, de deux de ses fils, est reçu en grande pompe au Maroc pendant trois jours. Il salue la politique de réformes engagées par Mohammed VI, et expose notamment son projet d’une nouvelle approche des relations euro-méditerranéennes, avec l’Union de la Méditerranée (qui ne verra jamais le jour).
Toutefois, il ne parviendra pas à renégocier le contrat des Rafale. Manifestement, la visite de Nicolas Sarkozy en Algérie en juillet n’a guère été appréciée à Rabat. Mais le Maroc peut se rassurer sur un point. La politique de Nicolas Sarkozy sur la question du Sahara occidental ne différera pas de celle de son prédécesseur Jacques Chirac. Au moment des révolutions arabes, le président français apporte tout son soutien à son ami marocain.
La relation entre Mohammed VI et Nicolas Sarkozy est cultivée tout au long du quinquennat : lors de ses voyages privés à Marrakeck, le président est régulièrement l’invité du roi. Et après. En juin 2015, alors que les relations entre Paris et Rabat se sont nettement dégradées, Nicolas Sarkozy, président du parti Les Républicains, est reçu comme un chef d’État par le roi du Maroc. « J’avais indiqué au roi que, pour moi, (…) il ne pouvait être question de commencer ma visite du Maghreb pour Les Républicains sans débuter par le Maroc », déclare-t-il alors.
Sarkozy renouvelle son indéfectible soutien : “Depuis 1999, il y a un roi qui tient la barre. (…) Depuis 1999, quel pays arabe a fait un tel chemin vers la modernité ?“, s’interroge Sarkozy. « Vous vivez dans un pays stable, et quand il y a eu toute la période des Printemps dits arabes, beaucoup d’observateurs ont vu le Maroc comme un maillon faible, mais il a été un maillon fort ».
Hollande et la brouille diplomatique
Si les choses avaient bien commencé -Mohammed VI est le premier chef d’État reçu à l’Élysée par François Hollande quelques jours après son investiture bien que Hollande soit connu pour son tropisme algérien-, la relation franco-marocaine pendant le quinquennat écoulé, restera marquée par une brouille diplomatique de plusieurs mois.
En février 2014, le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, est convoqué par la justice française à la suite de plusieurs plaintes pour torture. Une initiative qui n’est pas vraiment du goût de Rabat. Le Maroc réagit aussitôt, et suspend sa coopération judiciaire avec la France pendant 11 mois. Cet épisode intervient au pire moment, dans un contexte où les enjeux sont énormes en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
Malgré cette brouille, la France est restée l’un des principaux soutiens du Maroc sur le dossier du Sahara occidental. La diplomatie française a bataillé ferme aussi bien au sein du Conseil de sécurité de l’ONU que dans les structures de l’Union européenne en faveur de Rabat.
Cette brouille diplomatique -la plus grave depuis la parution en 1990 du livre de Gilles Perrault- cesse finalement en juin 2015. Le Parlement français modifie la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays. Comme le rapporte le journal Le Monde, le nouveau dispositif prévoit « que les plaintes déposées en France seront désormais ‘prioritairement’ renvoyées vers Rabat ou clôturées ».
Mieux : en février 2015, le patron du contre-espionnage obtient sa réhabilitation. Les autorités françaises le décorent de la Légion d’honneur. Enfin, Paris et Rabat officialisent leur réconciliation en septembre 2015 lors d’une visite de François Hollande au Maroc. Il peut compter sur sa ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, une franco-marocaine très appréciée par le royaume.
Paris aspire à ce que la mauvaise passe soit balayée par une nouvelle étape. Plusieurs points d’intérêts communs sont alors abordés : l’organisation de la Cop 22 en 2016, ou la coopération sécuritaire. À cette occasion, la France cherche aussi à récupérer sa place de premier partenaire économique du royaume. François Hollande envoie quelques signaux symboliques à Tanger. En février 2016, il nomme, au ministère de la culture, Audrey Azoulay, qui n’est autre que la fille d’André Azoulay, conseiller de Mohammed VI après avoir été celui de son père, Hassan II.
Preuve qu’un réchauffement climatique a bien eu lieu à la fin du quinquennat, François Hollande reçoit le 2 mai, soit quelques jours avant la fin de son mandat, le roi du Maroc Mohammed VI à l’Élysée pour une visite privée à dimension politique et culturelle. Tout un symbole.