Le Rassemblement national (RN), ex-Front national, affiche une hostilité permanente à l’égard de l’Algérie, en raison de l’idéologie colonialiste de l’extrême-droite française, selon l’historien français spécialiste de la colonisation et de la guerre d’Algérie Benjamin Stora.
« Le Front national a été mis en œuvre en 1972 par deux branches de l’histoire contemporaine française : Vichy et la guerre d’Algérie », explique l’historien dans un entretien à la chaîne turque TRT publiée vendredi 5 juillet.
Ces deux branches ne sont pas différentes. Elles sont liées. « À première vue, on pourrait penser que ces deux branches sont différentes, qu’elles sont presque à la limite contradictoire. En fait non », poursuit Benjamin Stora.
L’historien remarque que la question coloniale est rarement évoquée dans les discussions sur l’extrême-droite française, alors qu’elle représente sa matrice idéologique.
Aux origines de l’hostilité de l’extrême-droite française à l’égard de l’Algérie
« Différentes causes sont avancées, mais c’est la question de la nostalgie de l’empire » français, d’une « sorte d’organisation pyramidale de la société coloniale hiérarchisée sur un modèle pyramidale, avec en haut les métropolitains, c’est-à-dire les Européens, et en bas les indigènes, toutes catégories confondues », qui structure l’extrême-droite française qui ne s’est pas encore relevée de la perte de l’Algérie.
« C’est ce qu’on appelle le racisme colonial, tout simplement. Par conséquent, il y a des héritages historiques, des traces qui se sont maintenues et transmises dans la société française, c’est-à-dire la grandeur de l’Empire », analyse Benjamin Stora.
Pour l’auteur du rapport commandé par le président Emmanuel Macron sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » et qui a été remis en 2021, cette idéologie coloniale structure la pensée de certains philosophes, polémistes et anciens journalistes français qui « regrettent le temps d’avant », celui d’une « grandeur française bâtie sur son empire ».
Cet empire dont les frontières étaient la Mauritanie, le Mali et la Tunisie, avec au milieu « l’Algérie française » qui « était quelque chose de gigantesque. C’était grand comme cinq fois la France (…) Quand ils disent que c’était mieux avant, cela signifie cette grandeur de la nostalgie de ce temps qui a été perdue et qui a été trahie », ajoute Benjamin Stora.
L’indépendance de l’Algérie a mis fin à cet empire colonial français, mais la pensée coloniale a survécu, en gardant les mêmes principes qui ont conduit à sa défaite.
« Les accords de 1968 ont été vidés de leur substance depuis 40 ans »
Une pensée reprise par Jean-Marie Le Pen et les nostalgiques de l’Algérie française dans la création du Front national, et transmise à ses héritiers du Rassemblement national pour qui près de 12 millions de Français ont voté lors du premier tour des législatives françaises dimanche 30 juin.
Et si le Rassemblement national a douci ou changé de position parfois radicalement sur de nombreuses questions comme l’antisémitisme par rapport à son ancêtre le Front national dans le cadre de son opération de normalisation, sur l’Algérie, il a tout gardé.
Cet acharnement permanent de l’extrême-droite française vis-à-vis des immigrés d’origine algérienne en particulier trouve sa source justement dans cette idéologie colonialiste et la perte définitive de l’Algérie. Pour cette mouvance, il s’agit de « relever la grandeur de la France », rappelle Benjamin Stora. Pour cela, certains veulent refaire sans cesse la guerre d’Algérie à leur façon.
« Par conséquent, ne pas tolérer ceux qui ont « voulu » se séparer de cette grandeur française », à savoir les Algériens, « viennent à leur tour sur le territoire de la métropole. Le mécanisme est très important. C’est-à-dire vous avez voulu l’indépendance, donc vous ne pouvez pas être comparés à n’importe quelle immigration de type italienne et même marocaine ou tunisienne », ajoute l’historien.
Benjamin Stora explique ainsi pourquoi les Algériens sont au cœur de la « problématique » du Rassemblement national lorsque, par exemple, ce parti réclame l’abrogation des accords de 1968 sur l’immigration.
Ces accords ont été pourtant « vidés totalement de leur substance depuis 40 ans, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de privilèges particuliers » pour les ressortissants algériens en France, « mais peu importe, c’est la symbolique qui compte », conclut Benjamin Stora.