Menaces, surveillance, licenciement… La juriste franco-algérienne Houria Aouimeur, ancienne directrice de l’Association pour la Garantie des Salaires (AGS), vit sous pression depuis six ans. La cause ? Avoir dénoncé des détournements de fonds massifs dans un organisme censé protéger les salariés des entreprises en faillite.
Aujourd’hui, la lanceuse d’alerte attend la décision de la justice. En attendant, elle s’est vu remettre son 4ème prix éthique par l’association Anticor en janvier 2025.
Houria Aouimeur, persécutée pour sa lutte contre la corruption
La vie de Houria Aouimeur ne ressemble en rien à celle qu’elle imaginait en prenant la tête de l’AGS en 2018. Installée à Paris, elle a déménagé trois fois en six ans, mais les menaces et les pressions persistent.
D’après l’hebdomadaire français La Vie, des insultes ont été taguées sur sa porte et sa boîte aux lettres, des courriers anonymes menaçants lui sont adressés, et des filatures la suivent même jusqu’à sa maison de campagne normande.
Chez elle, les gardes du corps ont laissé place à des caméras de surveillance, car après des années, la surveillance rapprochée est devenue « trop lourde à supporter ».
À 55 ans, cette juriste franco-algérienne, née à Saint-Étienne de parents algériens immigrés, confie être usée par « les chocs psychologiques en cascade » et un « dégueulis d’accusations diffamatoires ».
« Sur le moment, je ne voulais pas croire que cela avait un rapport avec mon travail. Mais j’ai toujours porté plainte », dit-elle.
Tel est le fardeau à porter pour avoir osé dénoncer la corruption qui gangrène l’Association pour la Garantie des Salaires, un fonds patronal cogéré par le Medef (Mouvement des entreprises de France) et l’Unédic.
Denis Breteau, président de la Maison des lanceurs d’alerte (MLA) concède : « Elle est très courageuse. Je ne connais aucun lanceur d’alerte qui s’en soit bien tiré ».
Détournement de fonds massif à l’AGS
Créé en 1973, l’AGS est un régime qui finance les salaires des entreprises françaises en difficulté. Sur les dix dernières années, plus de 18 milliards d’euros ont été versés à plus de 2 millions de salariés.
Lorsqu’elle prend ses fonctions en tant que directrice de l’AGS en 2018, Houria Aouimeur entend parler de rumeurs de malversations, qu’elle décide de ne pas ignorer.
« Très vite, j’ai constaté que des sommes énormes étaient classées en pertes. Jusqu’à 7.5 milliards d’euros. Des avances dont on n’a jamais su ce qu’elles étaient devenues », relate la juriste, mère de famille, au média La Vie.
C’est ainsi qu’elle demande un audit de prise de fonction, « car j’ai vite compris que le marché des entreprises défaillantes était un gigantesque fromage, avec beaucoup d’opacité ».
Ses soupçons sont confirmés en 2019 par le cabinet d’expertise Ernst & Young (E&Y) : son prédécesseur, Thierry Météyé, est mis en cause. D’autres anomalies sont signalées dans un rapport de la Cour des comptes.
L’AGS et le Medef déposent alors plainte pour « vol, corruption, prise illégale d’intérêts, et recel » en mars 2019. Dès lors, la vie de Houria Aouimeur change du tout au tout, car à mesure qu’elle creuse jusqu’où remonte la corruption, la riposte s’organise à son encontre.
Licenciée et persécutée pour avoir « fermé les robinets »
La pression devient vite intenable : elle est menacée, suivie dans la rue, ses mails sont piratés, des micros sont posés dans son bureau… Le message est clair : Houria Aouimeur dérange car elle a « fermé les robinets ».
En 2021, alors qu’un juge d’instruction est nommé, elle a déjà mis fin aux privilèges de certains mandataires judiciaires et a confirmé les soupçons de corruption, mais en 2023, elle est licenciée pour faute lourde.
Le motif officiel énoncé est un train de vie « dispendieux » et le non-respect des obligations de passation des marchés publics. Elle soutient toutefois qu’il ne s’agit que d’un prétexte pour la mettre sur la touche.
D’ailleurs, elle porte plainte pour harcèlement et menaces contre l’Unédic et son directeur, Christophe Valentie, et dénonce des « représailles » par la voix de son avocat, Me William Bourdon.
Pour elle, « c’est le licenciement de la honte », raison pour laquelle elle a saisi le conseil de prud’hommes. Son audience est attendue le 15 mai 2025.
Un courage salué par l’association Anticor
Le courage de Houria Aouimeur est salué par l’association Anticor, qui combat la corruption en France et à l’international. En janvier dernier, elle a reçu son 4ème prix éthique et a trouvé un peu de réconfort dans la cérémonie d’Anticor.
« Votre parcours vous honore, Mme Aouimeur. Vous êtes un exemple pour nous tous », lui avait adressé un responsable de l’association.
Houria Aouimeur avait aussi pris la parole face à l’assemblée : « Ne laissez pas la violence de vos persécuteurs avoir un pouvoir sur vous. Soyez au service de l’intérêt général. Osez parler, résister. J’appelle les pouvoirs publics à se réveiller face à ce mal lancinant qu’on appelle la corruption et qui pille l’économie française ».
Aujourd’hui, elle n’abandonne pas son combat et estime avoir fait ce qu’il fallait : « Je ne suis pas dans la délation, je suis une résistante. L’intérêt général me guide ». Et bien que la MLA et le Défenseur des droits lui reconnaissent le statut de lanceuse d’alerte, elle préfère se voir en « vigie de la République ».
Jusqu’au bout, elle ne se taira pas. Elle partage même son parcours dans un livre qui sera publié à l’automne 2025 aux éditions du Rocher.