« En avril je ne débranche pas un fil, en mai je coupe ce qui me plait ». Le vieil adage français, c’est le site parodique El Manchar qui le revisite pour le prêter à la ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghabrit.
Pas tout à fait à tort puisque le subtil jeu de mots fait allusion au blocage, devenu systématique depuis quelques années, de l’accès à Internet durant les cinq jours que dure l’examen le plus important du cursus scolaire.
Cette année, ramadan oblige, le réseau planétaire l’a échappé belle au mois du muguet, mais il est rattrapé en ce mitan de juin par le ciseau zélé de l’autre femme forte du gouvernement, Houda Faraoun, en charge de la Poste et des Technologies de l’information.
Il est tout de même ahurissant de constater que quand Mme Benghabrit, ou tout autre ministre ou responsable de rang subalterne, évoque le Bac, c’est surtout pour parler de triche, de fuite des sujets, de sanctions…
Un phénomène qui devrait être -et qui l’est sûrement- marginal, mais érigé au rang de fléau national à combattre comme on affronte une épidémie, c’est-à-dire sans relâche et au prix d’une mobilisation générale.
Quitte à saigner la bourse publique, causer d’énormes pertes aux entreprises économiques, malmener davantage l’image déjà écornée du pays et dévaloriser un peu plus un diplôme qui ne vaut plus grand chose depuis quelques années déjà.
Cette année encore, la ministre de l’Éducation n’a pas dérogé à la règle. Dans son message aux candidats à la veille de cet examen crucial, il est surtout question de triche qu’il faut éviter, de mesures préventives draconiennes et de sanctions sévères que ses services n’hésiteront pas à prononcer le cas échéant à l’encontre des contrevenants.
Le Bac, ce sésame qui ouvrait bien des portes et conférait un statut social à ceux qui le décrochaient, renvoie une image bien différente de celle qu’il reflétait du temps où il constituait l’obsession de tous les parents soucieux de l’avenir de leur progéniture.
Du temps où aller à l’université était l’aboutissement de longues années de labeur et de sérieux, de nuits sans sommeil. L’image du Bac est entamée et à ce rythme, il risque de ne plus être perçu que comme un rendez-vous où le talent des plus malhonnêtes supplante celui des plus assidus.
La question n’est pas prise par le bon bout et il y a sans doute exagération dans la manière avec laquelle elle est abordée ces dernières années, que ce soit par l’administration, les médias ou les citoyens sur les réseaux sociaux.
Les tentatives de triche sont aussi vieilles que l’examen lui-même, et pas seulement en Algérie, à la différence près que les vieux « talismans » sont remplacés par les nouveaux terminaux de communication, démocratisés et miniaturisés chaque jour un peu plus, offrant plus de possibilités de tromper la vigilance des surveillants.
De tout temps, dans des proportions marginales, des élèves moins portés sur l’effort mais se croyant plus malins, ont toujours tenté d’obtenir par la ruse ce qui est censé être une récompense qui ne s’acquiert que par le travail et l’intelligence.
Ce n’est propre ni à l’Algérie ni à cette époque de connectivité à outrance. Que ce soit pour la fraude, ou le copiage, comme on l’appelle dans le jargon des lycéens, ou la fuite des sujets, des tentatives isolées ont toujours été constatées sans jamais prendre des allures de drame national, sauf peut-être lors de la fuite massive de l’année 1992 qui n’a, à ce jour, toujours pas livré tous ses secrets.
Une telle exagération, fruit d’une approche réductrice et qui se fait au détriment de débats plus instructifs, n’a sans doute pas lieu d’être. D’autant plus que des méthodes plus soft et plus efficaces existent, sont à portée de main et même mises en œuvre.
Comme par exemple la séquestration des téléphones, tablettes et montres connectées avant l’entrée des élèves dans la salle d’examen. Très peu peuvent passer à travers les mailles du filet, et un nombre encore plus insignifiant parvient à les utiliser sans être pris la main dans le sac par les surveillants.
Courir derrière le risque zéro est un défi impossible à relever quand on a 700 000 candidats à surveiller. Quoi que l’on fasse, des possibilités de triche persisteront et aucune mesure ne pourra empêcher un candidat de transcrire des formule sur des parties cachées de son corps ou un surveillant de souffler la bonne réponse à l’oreille d’un élève.
Pour peu que la fraude ne soit pas généralisée, la crédibilité du Bac ne peut être entamée.
On ne comprend dès lors pas pourquoi aller vers des mesures extrêmes, jusqu’à empêcher tout un pays de fonctionner pendant cinq jours, autant dire une semaine, à l’époque du tout Internet. Cela frise la paranoïa, au moment où les mesures précitées, doublées d’une fermeté dans l’application de la loi, auraient bien suffi pour dissuader élèves indélicats et fonctionnaires malhonnêtes.
Aussi, le ministère de l’Éducation, à travers lui l’État algérien, ne peut raisonnablement continuer à entretenir ce climat de suspicion aux conséquences désastreuses pour la valeur du diplôme, l’image de l’école et l’aura du pays.
Le débat gagnerait à être recentré sur des aspects plus pédagogiques et sociétaux du Bac, comme la proportion importante des filles lauréates, la place de tamazight et de l’éducation sportive, la maîtrise des mathématiques, le rachat, la moyenne exigée pour l’accès à certaines filières à l’université.
Dommage que tout cela n’est que sommairement abordé dans les médias, les réseaux sociaux et même les sorties publiques des responsables. Pas plus qu’on essaye de comprendre pour reproduire la prouesse de Tizi-Ouzou qui surclasse depuis plus d’une décennie toutes les autres wilayas du pays en termes de taux de réussite.
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