Résultats truqués, opposants emprisonnés : des responsables et des victimes de fraudes électorales en Tunisie ont raconté dans la nuit de vendredi à samedi comment les scrutins étaient falsifiés sous la dictature.
C’est l’Instance Vérité et Dignité (IVD), chargée de recenser les violations des droits de l’Homme sous les régimes de Habib Bourguiba (1956-1987) et Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011), qui organisait cette onzième séance d’auditions publiques.
Les témoignages –certains enregistrés, d’autres en direct–, retransmis à la télévision, ont duré plusieurs heures.
Les fraudes, « nous les avons ressenties dans notre chair », a raconté Jounaïdi Abdeljaoued, coordinateur de la campagne électorale du parti communiste pour les législatives de 1981, sous le père de l’indépendance et premier président tunisien Habib Bourguiba.
Le trucage commençait par l’intimidation des opposants, « la matraque, les coups sur la plante des pieds, les gens qui pourrissaient les réunions (…), qui frappaient » et les observateurs du scrutin harcelés, a relaté celui qui a été notamment emprisonné pour avoir voulu organiser une « marche pacifique » contre la fraude.
Un ancien ministre de l’Intérieur, Driss Guiga, a de son côté décrit le « régime présidentiel absolu » de Bourguiba, qui jugeait impensable que quelqu’un d’autre puisse gouverner « sa Tunisie ».
Les gouverneurs des régions tunisiennes, alors de véritables « petits présidents régionaux », jouaient un rôle essentiel, selon M. Guiga, notamment en nommant des personnes aux ordres au sein des comités électoraux chargés de compter les votes.
« Des instructions » étaient données pour que tel parti d’opposition ne dépasse pas tel taux et que les procès-verbaux des bureaux de vote soient donc falsifiés, a raconté Salem el-Maghroum, ex-haut responsable local à Jendouba (nord-ouest) en 1981.
M. Maghroum a indiqué avoir gardé les vrais procès-verbaux et les avoir déposés auprès des Archives nationales après la révolution de 2011, « pour l’Histoire » et pour « diminuer un peu (sa) honte ».
Sous Ben Ali, « l’opération se faisait en coordination entre la présidence de la République et le ministère de l’Intérieur », a de son côté affirmé Mohamed Ghariani, secrétaire général du RCD, parti de Ben Ali aujourd’hui dissous.
« Tout était fait pour donner une victoire entière au RCD », et les taux attribués aux partis d’opposition étaient soigneusement choisis pour créer le paysage politique désiré, a-t-il dit.