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Frik : comment sont produits ces grains concassés de blé dur ?

Frik : comment sont produits ces grains concassés de blé dur ?

Dans l’Est du pays, à l’approche du mois de Ramadan, la récolte des épis de blé pour en faire du « frik » a démarré. Les épis encore verts sont grillés et les grains concassés pour être utilisés dans la préparation de l’incontournable « chorba frik » du Ramadan. Cette pratique ancestrale permet aux petits agriculteurs de mieux valoriser une partie de leur récolte.

La chorba frik de l’Est algérien

Contrairement à la hrira oranaise ou à la chorba-vermicelle algéroise, la chorba-frik de l’Est algérien contient des grains de blé dur grillés et concassés.

Absorbant une partie du bouillon, ils acquièrent une texture malléable sans être trop molle. Cela donne une texture et un goût incomparable à ce type de chorba. Traditionnellement, dans l’Est algérien, il n’est pas rare de voir au printemps, des particuliers s’arrêter au bord des routes pour cueillir quelques épis de blé afin de faire leur propre frik.

Une démarche commerciale sans CCLS ni minoteries

La commercialisation du frik passe par des réseaux privés en s’affranchissant du réseau habituel des Coopératives de Céréales et de Légumes Secs (CCLS). En cela, ils renoncent au prix public de 6 000 DA le quintal. Cela s’explique par le prix de vente : 16 000 à 20 000 DA le quintal.

En fait, les agriculteurs réalisent eux-mêmes la transformation du grain. Cette démarche est originale. Traditionnellement, dès la récolte, les agriculteurs se pressent aux portes des CCLS pour livrer leurs grains. Il peut arriver qu’ils patientent 48 heures avec leur remorque devant les silos.

Ce sont des moulins privés, qui se chargent ensuite de la transformation des grains en semoule puis souvent en couscous ou pâtes alimentaires. Cette transformation procure aux propriétaires de moulins une valeur ajoutée liée à la vente de semoule mais aussi du son de blé.

La production de frik par les producteurs représentent une ré-appropriation de cette valeur ajoutée. Une valeur ajoutée qui reste donc dans le secteur agricole contrairement à la politique des minoteries.

Une démarche technique innovante

Le matériel homologué ne permet que la récolte de grains, aussi, les producteurs de frik ont dû innover. Pour la récolte des épis, ils utilisent une faucheuse accolée à une remorque qu’ils ont munie d’un rabatteur récupéré sur une moissonneuse-batteuse. Les épis ainsi fauchés tombent directement dans la remorque.

Une autre innovation concerne le procédé utilisé pour griller les épis. Ces derniers sont séchés quelques heures au soleil en petits tas à même le sol. Puis est utilisé un brûleur composé d’une longue lance en métal reliée par un tuyau flexible à une bouteille de gaz.

Les tas sont enflammés durant un court instant et retournés à l’aide d’une fourche. Une fois refroidis, les épis ainsi grillés sont ensuite introduits dans une moissonneuse-batteuse à poste fixe afin de récupérer les grains. Ces différentes manipulations exigent une nombreuse main d’œuvre.

Labelliser la production de frik

La production de frik bio mériterait d’être labellisée en Algérie. Ce type de production est typique de l’Est Algérien. On retrouve également cette pratique en Syrie.

Il serait intéressant que les producteurs locaux puissent définir un cahier des charges. Des améliorations de la qualité du produit final sont possibles : taux de protéines des grains, variétés les mieux adaptées, date de récolte, techniques optimales pour griller les épis et concasser le grain tout en respectant une granulométrie précise, packaging.

La mise en sachets d’un kilo ou de 500 grammes dans un emballage approprié avec identification de la zone de production et du producteur pourrait être un gage de confiance vis-à-vis du consommateur.

Des efforts publicitaires pourraient permettre de gagner de nouveaux consommateurs à l’Ouest du pays. En effet, dans cette région l’utilisation du frik est peu développée.

D’autres consommateurs potentiels pourraient être approchés, telle la diaspora algérienne à l’étranger où le consommateur ne trouve que le « boulgour » d’origine turque. C’est dire le potentiel offert en matière de commercialisation.

Développer la filière frik

Ce type de production est actuellement marginal. Il est possible d’augmenter rapidement les volumes. Cela peut passer par un échelonnement des dates de maturité afin d’étaler la pointe de travail lors de la récolte.

Pour cela, il s’agit, à qualité égale, d’envisager l’utilisation de variétés de blé à date de maturité décalée. L’Algérie bénéficie de différents étages climatiques, aussi il devrait donc être possible d’étaler la production de frik entre le nord et le sud du pays.

La mise au point d’un système artisanal de récolte des épis par des paysans de Biskra lève ce qui constituait jusqu’à présent un goulot d’étranglement.

La nouveauté vient d’une autre innovation concernant l’opération visant à griller les épis. Jusqu’à présent celle-ci était manuelle. La mécanisation de cette opération est récemment apparue. Des agriculteurs ont recours à un énorme cylindre métallique animé d’un mouvement rotatif grâce à sa liaison à la prise de force du tracteur. Les épis secs sont introduits à une extrémité du cylindre et récupérés à une autre une fois être passés rapidement au-dessus d’un brûleur à gaz.

Producteurs de frik, des hommes libres

Les céréaliers qui produisent du frik le font en dehors de la filière blé dur des CCLS et des minoteries. Ils ne sont pas intéressés par les prix à la production soutenus par les pouvoirs publics. A ce titre, il s’agit de producteurs autonomes ou libres.

Il est certes trop tôt pour parler d’une filière, celle-ci reste à créer. L’inventivité des agriculteurs concernés montre les potentialités que recèle la production de frik.

Que ce soit sur le plan des innovations matérielles ou des circuits de commercialisation en dehors des CCLS, à chaque étape les producteurs de frik innovent.

Avec un marché de plus de 40 millions de consommateurs et de réelles possibilités d’exportation, la production de frik peut permettre d’assurer un complément financier notable pour l’équilibre des petites exploitations céréalières des zones marginales.

Ce qui est remarquable, c’est que ce revenu ne vient pas de l’élevage ovin, souvent plus rémunérateur que les céréales. Il provient d’une production végétale; non pas d’une production irriguée telle la pastèque gourmande en eau, mais d’une production de céréales menée sans aucun recours à l’irrigation. Cet exemple montre combien le potentiel économique des céréales peut être sous-estimé.

Frik, un lien au lieu

Cette production est parfois injustement critiquée au motif qu’il s’agit d’un détournement de volumes de céréales aux dépends des minoteries. En fait, la production de frik est une production de terroir. Elle est propre au blé dur. Cette production témoigne d’un lien au lieu. Elle fait l’objet de savoirs ancestraux qui ont su évoluer dans le cas de la récolte.

Son expansion et sa structuration pourraient être l’œuvre des élites rurales de ces territoires : paysans leaders, jeunes cadres, jeunes chômeurs ou retraités disposant d’une expérience. A cette élite rurale de rassembler les moyens agronomiques de production, de récolte, de transformation et de commercialisation d’un produit unique si apprécié en période du mois de Ramadan.

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