Ce n’est pas l’explosion redoutée, mais le front social gronde dangereusement depuis quelques semaines en Algérie. Aux quatre coins du pays, des revendications socio-économiques mises en veille ont refait surface, portées par des mouvements sporadiques et désorganisés et tournant autour des habituelles préoccupations comme l’emploi, le logement, le déficit de développement, le manque de commodités…
À tout cela se sont greffés de nouveau motifs d’investir la rue, comme les conflits de travail ou encore la contestation des restrictions liées à la crise sanitaire.
À Jijel, des jeunes mécontents de la non-levée du confinement nocturne dans leur wilaya ont manifesté dimanche soir pour la deuxième nuit consécutive. Ce n’était pas la grande foule, mais le signe d’un profond malaise et d’un déficit de confiance est manifeste.
À Bejaïa, Tizi-Ouzou et Bouira, ce sont deux conflits de travail opposant des travailleurs à leurs entreprises qui se sont retrouvés dans la rue, bien que des cadres légaux prévus à cet effet existent.
Les fermetures de routes ont repris à travers plusieurs wilayas dont Alger et, comme il y a quelques années, tout est prétexte pour investir la rue et se faire entendre de la manière qu’on croit la plus efficace.
De tous les mouvements signalés ces dernières semaines, le rassemblement de samedi à Laghouat est sans doute le plus imposant. C’est un message fort que les habitants de cette importante région du pays ont adressé au gouvernement dans un contexte de crise politique, sociale et économique.
Les vielles revendications relatives à l’emploi dans les sociétés pétrolières du sud et au lancement de projets de développement sont déterrées. Pour résumer, la population de Laghouat et des autres villes et villages du pays veut de meilleures conditions de vie, et cela n’a rien d’illégitime.
Les inégalités entre les régions sont parfois criantes, mais il arrive que des quartiers totalement déshérités s’agrippent aux périphéries même des riches villes portuaires du nord.
Le constat avait été fait par le président de la République moins de deux mois après son élection. En février dernier, lors de sa première rencontre avec les walis, Abdelmadjid Tebboune avait appelé à tirer vers la lumière du développement ce qu’il avait alors qualifié de « zones d’ombre ».
Pour peut-être mieux frapper les esprits, le président avait interrompu son discours et invité l’assistance à suivre un émouvant reportage réalisé par les services de presse de la présidence.
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Le gouvernement n’a pas agi efficacement
On y a vu des conditions de vie d’un autre âge et au vu des chiffres révélés, c’est loin de constituer un phénomène marginal : le pays compterait 15 000 zones d’ombre abritant 9 millions d’âmes, soit un peu moins du quart de la population algérienne.
Le vocable est depuis en vogue et le développement de ces quartiers et villages dépourvus de tout est érigé en priorité nationale.
Les objectifs fixés n’ont toutefois jamais été atteints et c’est encore le président qui en a fait le constat par deux fois ; d’abord lors de sa deuxième rencontre avec les walis en août, puis à l’occasion de sa réapparition en public le 13 décembre après près de deux mois d’hospitalisation en Allemagne.
Le pays vit certes une crise économique aiguë, aggravée par la pandémie de Covid-19, mais l’échec des autorités centrales et locales à mener à bien le programme tracé pour les « zones d’ombre » prouve encore une fois que le problème n’est pas toujours d’ordre financier puisque les fonds nécessaires ont été dégagés pour cette opération.
La bureaucratie, les lenteurs procédurales et la mauvaise gestion constituent un boulet pour le pays dans sa marche vers le développement. Il y a aussi, faut-il le souligner, la tétanisation qui frappe les gestionnaires et responsables publics depuis que beaucoup de leurs collègues ont été traînés devant les tribunaux après le départ de Bouteflika.
À titre d’exemple, le Conseil des participations de l’État (CPE) et le Conseil national de l’investissement n’ont pas tenu de réunions depuis plus d’une année.
La baisse des revenus pétroliers et les difficultés de trésorerie actuelles ne font que compliquer la situation, empêchant de prendre en charge les problèmes posés et jetant dans la rue des contingents supplémentaires de protestataires, comme tous ceux qui ont perdu leur emploi suite à l’emprisonnement de leurs employeurs ou conséquemment à l’arrêt de l’activité pour cause de crise sanitaire.
Le gouvernement pouvait-il ne pas voir venir un tel mécontentement ? Même si, à sa décharge, les insuffisances héritées sont colossales, on ne peut pas dire qu’il a agi efficacement.
Beaucoup de ses membres ont collectionné les promesses sans lendemain et les déclarations maladroites. En une année, les Algériens ont plus vu certains ministres sur les réseaux sociaux, échangeant les vœux ou recevant des ambassadeurs des pays étrangers, que sur le terrain. Pendant ce temps, les problèmes des citoyens n’ont pas cessé de s’accumuler…