Le débat sur les transferts de devises vers l’étranger vient de rebondir après l’annonce en ce début de semaine de la mise en place d’un « comité de veille et de suivi » par le ministère des finances.
Selon le département de Mohamed Loukal, ce comité a été créé dans le but de « renforcer la vigilance en matière de transactions financières avec le reste du monde ».
Face aux revendications et aux appels à la transparence exprimés par divers secteurs de l’opinion nationale au cours des dernières semaines, la réponse du gouvernement s’inscrit ainsi dans la plus pure tradition bureaucratique de l’administration algérienne.
Le spectre de la fuite des capitaux
En apparence cette annonce correspond pourtant à une attente de l’opinion. Dès le milieu du mois de mars dernier, les avocats d’Alger avaient appelé la Banque d’Algérie à veiller à « éviter la dilapidation de l’argent public », avec un « contrôle rigoureux des opérations financières » et la mise en place « des mesures nécessaires et conservatoires pour faire face à toutes les tentatives visant à transférer illégalement l’argent public » à l’étranger, et ce en attendant « la mise en place d’un État légitime ».
La corporation des avocats était aux avant-postes sur cette question puisque le bâtonnier d’Alger, Maître Silini, invitait également, dans une déclaration à TSA, la Banque d’Algérie à « bloquer les transferts suspects ».
« Nous savons, assurait Me Silini, qu’il y a actuellement des opérations de transfert, par des opérateurs économiques très connus, de très fortes sommes d’argent. Il faut être vigilant, consciencieux, responsable et digne de la confiance qui est placée sur les épaules des responsables des institutions financières dans la gestion de l’argent des Algériens et ne pas permettre des opérations qui peuvent porter préjudice aux réserves de change de l’Etat ».
« Aucun emballement des transferts vers l’étranger »
Sur ce sujet extrêmement sensible, la réponse des pouvoirs publics n’a pas tardé. Elle est venue en deux étapes.
Dés le 26 mars, de « hauts responsables de la Banque d’Algérie », cités par l’agence officielle, considéraient que « le prétendu emballement des transferts de capitaux, par le canal bancaire, tel que rapporté par des médias, est dénué de tout fondement ».Les mêmes responsables indiquaient qu’au cours des deux premiers mois de 2019, « il n’a été constaté aucune augmentation significative des transferts en devises par rapport aux mêmes mois des trois années précédentes ».
Selon nos sources, cette appréciation s’appuyait essentiellement sur la constatation, confirmée récemment par les douanes algériennes, d’une diminution d’environ 3 %, soit un peu plus de 200 millions de dollars, des importations algériennes aux cours des 2 premiers mois de l’année.
Une réponse bureaucratique
Cette première réaction de la Banque d’Algérie ne semble cependant pas avoir été jugée suffisante par le gouvernement puisque la première décision annoncée par le département de Mohamed Loukal, récemment installé aux commandes du ministère des Finances, est donc la création d’un « comité de suivi des transferts de devises vers l’étranger».
Officiellement, ce comité a pour mission de « s’assurer que les opérations de transferts en devises par les banques, en tant qu’intermédiaires agréés, sont exécutées dans le strict respect de la réglementation des changes édictée par la Banque d’Algérie ».
Il est composé de hauts fonctionnaires du ministère des Finances, de représentants de la Banque d’Algérie (BA) et de représentants de la Communauté bancaire (ABEF).
La réaction du gouvernement est révélatrice de la propension de l’administration algérienne à proposer des réponses bureaucratiques aux appels à la transparence.
La création du comité annoncé par le ministère des finances a d’abord de fortes chances d’alourdir encore un peu plus les procédures relatives au commerce extérieur. Mais rien n’indique, surtout en raison de son fonctionnement en « circuit fermé », qu’il il ne constituera pas un redoutable instrument au service d’un capitalisme de connivence en permettant de favoriser et de sélectionner la nouvelle clientèle du pouvoir en place.
On est ainsi aux antipodes des exigences démocratiques de transparence portées par le puissant mouvement populaire du 22 février.
Une exigence de transparence
Si la transparence ne fait pas partie de la culture de la plupart des responsables actuels du gouvernement et de l’administration qui semblent, pour beaucoup d’entre eux, fermement décidés à faire le dos rond face aux revendications de la société algérienne, les propositions dans ce domaine n’ont pourtant pas manquées au court des dernière semaines.
Les plus précises sont certainement venues du groupe Nabni. Dans une note publiée il y a 2 semaines, le collectif d’experts algériens s’associait aux inquiétudes exprimées par beaucoup d’Algériens.
Nabni encourageait ainsi la société civile à «exiger expressément des comptes et de la transparence aux pouvoirs publics ». Il appelait en particulier à « la transparence immédiate et continue, sur les réserves de change et les opérations d’importation ».
Pour les experts algériens, ce résultat pourrait être obtenu notamment à travers la « publication d’un état hebdomadaire des réserves de changes et des engagements de la Banque d’Algérie en matière d’importations », ainsi que « la publication d’un état hebdomadaire des opérations d’importation couvertes par la Banque d’Algérie avec les montants et les biens et services concernés ».