Politique

Gaz de schiste : Tebboune s’est-il précipité ?

De l’entrevue accordée mercredi 22 janvier par le président Tebboune à des directeurs de médias nationaux, les Algériens n’ont presque rien retenu d’autre que son avis sur l’exploitation du gaz de schiste.

« Il faut que toutes les franges du peuple sachent qu’il s’agit d’une richesse dont Allah, le Tout-Puissant, nous a gratifié et je ne vois pas pourquoi s’en priver et que son exploitation de cette ressource est à même d’améliorer le niveau de vie », a-t-il dit.

Certes, le chef de l’État n’a pas franchement annoncé le début de l’exploitation de cette énergie non-conventionnelle. Mais sa réponse a été perçue comme un quitus. Du moins, il ne s’y oppose pas, d’autant que la réglementation ne l’interdit pas depuis que ses prédécesseurs ont pris le soin, avant de passer la main, d’amender la loi sur les hydrocarbures. C’était en octobre dernier, soit deux mois avant l’élection de Tebboune.

Pour le quarante-huitième acte du mouvement populaire, survenant moins de 48h après l’annonce présidentielle, le rejet du recours au gaz de schiste était le mot d’ordre des manifestants partout à travers le pays où des marches se sont déroulées.

Depuis son évocation pour la première fois en 2014 par le Premier ministre de l’époque Abdelmalek Sellal comme palliatif à l’érosion des réserves nationales en pétrole conventionnel, l’option est perçue, et par la société et par les spécialistes, comme une solution de facilité porteuse de périls pour l’environnement et la santé publique.

En 2015-2016, les premières expériences avaient été accompagnées d’actions de protestation dans les régions concernées, notamment à In Salah, et d’une vaste campagne nationale de dénonciation, obligeant le gouvernement à faire marche-arrière. L’idée des spécialistes n’était pas sans intérêt : les techniques d’extraction étant, au stade actuel, polluantes et coûteuses, autant laisser les réserves à la disposition des générations futures qui les exploiteront lorsque la technologie permettrait une extraction saine et rentable.

La cause semblait entendue jusqu’à ce que le dossier soit subitement déterré à l’occasion des débats sur la nouvelle loi sur les hydrocarbures, en octobre 2019, soit en plein mouvement populaire pour le changement. Le texte avait été vivement fustigé par le hirak, car en plus d’autoriser l’exploitation du schiste, il ouvre la voie à l’octroi de concessions aux multinationales pétrolières. Son adoption avait été expliquée par certains observateurs comme une manière pour les autorités de la transition de baliser le terrain au futur président, de lui éviter d’avoir à prendre des décisions impopulaires pour les débuts de son mandat.

La cohésion gouvernementale à l’épreuve

Lors de son premier grand show télévisé en tant que président, Abdelmadjid Tebboune a évoqué la question. Certes, ce qu’il a dit ne peut être interprété comme un feu vert pour l’octroi des premières licences d’exploitation. « Le débat est long et complexe, nous le laisserons d’abord aux spécialistes avant la décision politique, qui viendra au moment opportun (…) Nous aborderons cette question lorsque nous aurons surmonté la situation actuelle », a tempéré le chef de l’État.

Pourquoi s’est-il alors précipité de s’exprimer dans cette conjoncture précise sur un point d’une telle sensibilité ? Il s’agit bien d’un choix quand on sait que le panel de journalistes qui l’a interviewé a soigneusement évité de l’interpeller sur des questions bien plus pertinentes, comme celle de l’apaisement et du sort des détenus d’opinion.

Pourquoi évoquer, sans y être contraint, un sujet qui risque de constituer un carburant supplémentaire à la contestation, notamment dans les régions du sud où le hirak peine à mobiliser comme il le fait dans les grandes villes du nord ? S’agit-il d’une erreur de communication ou, au contraire, d’une stratégie visant à détourner le débat et d’influer sur les revendications du mouvement populaire qui, jusque-là, ne perd pas de vue son exigence d’un changement ?

La sortie de Tebboune appelle aussi des interrogations sur ce que sera désormais la cohésion et la solidarité gouvernementales, sachant qu’au moins deux ministres actuels sont connus pour leur opposition constante à l’exploitation du schiste. Avant de faire son entrée au gouvernement comme ministre de l’Enseignement supérieur, le professeur Chemseddine Chitour la qualifiait par exemple de « calamité ».

« On a interdit à Total d’exploiter le gaz de schiste dans le Sud de la France, mais il risque de forer ici. Le gaz de schiste, c’est une calamité, l’autoriser c’est hypothéquer l’avenir du Sud où il y a une nappe phréatique de 45 000 milliards de m3 d’eau. Le gaz de schiste sera une richesse le moment venu, quand la technologie sera mature », disait-il en octobre 2019, en pleins débats sur la nouvelle loi sur les hydrocarbures.

Ferhat Aït Ali, ministre de l’Industrie de Tebboune, n’était pas moins critique : « Le gaz de schiste n’offre pas de rente. Aux États-Unis, il y a même du dumping, leur stratégie c’est de s’autonomiser du marché mondial, de noyer le marché mais pas pour gagner, il n’y a pas de marges énormes. Là où les Américains paient 2.5 millions de dollars pour un puits, les Algériens paieront sept au minimum (…) Ils tentent de nous vendre leur surplus de technologie invendable ailleurs. Ils insistent pour qu’on exploite du schiste mais ils ne soumissionnent pas quand on lance des appels d’offres. Les Américains nous ont toujours pris pour des gnous et quelque part ils n’ont pas tout à fait tort ».

Que diront les deux ministres après le plaidoyer présidentiel en faveur du schiste ?

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