La visite du ministre russe des Affaires étrangères en Algérie n’est pas anodine, encore moins banale.
Sergueï Lavrov s’est rendu à Alger mardi 10 mai dans un contexte mondial tendu à cause de la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie et qui a fait naître des tensions sur l’énergie et plusieurs matières premières alimentaires de base.
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Elle survient surtout en plein ballet diplomatique des grandes puissances dans la capitale algérienne.
Il n’y a pas que les retombées économiques de la guerre qui concernent l’Algérie. Partenaire historique de la Russie et ayant aussi des traditions de non-alignement, elle s’est efforcée depuis le début du conflit de maintenir une position équilibrée vis-à-vis des deux blocs protagonistes, la Russie et l’Occident auprès duquel elle jouit d’un crédit de partenaire fiable, en matière de fourniture d’énergie et de lutte contre le terrorisme notamment.
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Sur le plan diplomatique, l’Algérie s’est abstenue lors du vote d’une résolution de l’assemblée générale des Nations-Unies condamnant l’opération militaire russe puis a voté contre l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’organisation planétaire.
Elle a par ailleurs fait partie d’un groupe de contact arabe qui a tenté une médiation entre les protagonistes pour trouver une issue pacifique au conflit.
La neutralité de l’Algérie a été réaffirmée ce mercredi 11 mai par le général de corps d’armée Said Chanegriha, chef d’état-major de l’ANP, qui recevait un haut responsable de l’OTAN.
Jusque-là, on ne peut pas dire que l’Algérie a dévié de sa politique traditionnelle de neutralité. Aucun reproche en tout cas n’a été fait dans ce sens par les protagonistes directs ou indirects de la guerre en Ukraine.
Dans sa déclaration à la presse à l’issue de sa rencontre avec le président de la République Abdelmadjid Tebboune, Sergueï Lavrov a salué dans des termes très clairs la position équilibrée de l’Algérie et ses efforts dans le cadre du groupe de contact arabe.
Preuve que la Russie n’attendait pas plus de son partenaire historique, Lavrov a annoncé la signature d’un nouvel accord pour rendre le partenariat entre les deux pays encore plus stratégique.
Fin mars, en visite à Alger, le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait fait part aussi de sa compréhension du caractère historique des relations algéro-russes.
L’équation compliquée du gaz
Les chef de la diplomatie des États-Unis et de la Russie ne sont pas les seuls à se rendre ces dernières semaines à Alger qui a reçu également la visite du ministre français des Affaires étrangères, du Premier ministre italien et de son chef de la diplomatie puis celle d’un très haut responsable de l’OTAN ce mercredi 11 mai, soit au lendemain de la venue de Lavrov.
La veille de la visite du ministre russe, c’est le chef de la diplomatie de l’Ukraine qui a appelé son homologue algérien Ramtane Lamamra.
Plusieurs ministres de l’Energie de pays étrangers et des responsables de compagnies pétrolières ont aussi défilé dans la capitale algérienne. Ce ballet diplomatique inhabituel dénote de l’importance de l’Algérie pour toutes les parties, sur tous les plans et notamment en sa qualité d’acteur important du marché mondial du gaz.
Si l’Algérie a su maintenir une position politique et diplomatique qui ne fâche personne, l’équation économique s’annonce plus compliquée, à cause des sollicitations, pour ne pas dire des pressions qui se multiplient, pas seulement de l’Europe qui veut des quantités supplémentaires pour remplacer progressivement le gaz russe, mais aussi des États-Unis qui cherchent des alternatives d’approvisionnement du vieux continent afin d’annihiler l’arme du gaz que détient la Russie en plus de son arsenal militaire.
Accepter ou décliner les sollicitations d’une partie peut en effet être perçu comme une velléité de contrecarrer les plans de l’autre. Beaucoup d’observateurs étrangers qui ont commenté la visite de Sergueï Lavrov à Alger n’ont pas manqué de souligner qu’elle est aussi destinée à évoquer cette question du gaz avec les autorités algériennes.
Par sa position géographique proche de l’Europe avec qui elle est reliée par plusieurs gazoducs, l’Algérie est devant une opportunité historique dans un contexte de forte demande européenne et de hausse des prix.
Elle ne doit pas la manquer tout en faisant en sorte que ses décisions actuelles et à venir en matière d’approvisionnement du marché ne soient pas perçues comme des mesures en faveur d’une partie ou au détriment de l’autre camp en conflit.
Pour le moment, l’Algérie utilise son gaz comme levier diplomatique pour la défense de ses intérêts. En réaction au revirement de l’Espagne sur la question du Sahara occidental, l’Algérie a ignoré ses sollicitations pour l’augmentation des flux du gaz, préférant se tourner vers l’Italie qui aurait accepté toutes les conditions posées par Alger pour avoir plus de gaz.
Elle a même menacé de couper le robinet aux Espagnols si « une seule molécule » du gaz qu’elle leur fournit est réexportée vers le Maroc.
En somme, l’Algérie utilise sa position pour le compte de sa propre politique étrangère et cela, personne ne peut le lui reprocher.