Ce que redoutaient les diplomates français en exercice ou à la retraite, à propos du recul de la position de la France au Moyen-Orient, se confirme. En déplacement à Dubaï pour la conférence sur le climat COP 28, le président Emmanuel Macron voulait saisir l’occasion pour expliciter la position de la France sur le conflit israélo-palestinien et la guerre à Gaza. Mais selon Le Monde, il n’a pas pu réunir autour de lui, comme il l’avait envisagé, les dirigeants des pays arabes de la région.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’un signe qui ne trompe pas : la voix de la France n’est plus écoutée dans la région. Le soutien apporté à Israël dans sa guerre contre Gaza n’est pas sans conséquences sur l’image de la France, déjà écornée par les multiples polémiques internes sur des sujets liés à l’islam et aux musulmans, sur fond d’avancée de l’extrême-droite.
À la mi-novembre, des ambassadeurs en poste au Moyen-Orient ont tiré la sonnette d’alarme, dans une lettre adressée à l’Élysée, sur la dégradation de l’image de la France dans la région conséquemment à son alignement sur la position américaine et sur la politique du gouvernement israélien d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Les diplomates ont regretté l’abandon de « la politique arabe de la France » faite d’équilibre notamment sur le dossier palestinien. Ils ont expliqué que leur pays en est arrivé à être accusé de « complicité de génocide ».
Cette montée au créneau a été qualifiée de « note de dissidence », en tout cas de « geste inédit » par des médias français.
Le 25 novembre, c’est un collectif de diplomates à la retraite qui a publié une tribune dans Le Monde, réclamant aussi plus d’ « équilibre » dans la politique étrangère française, regrettant à leur tour que la France ait « perdu beaucoup de sa crédibilité au Moyen-Orient » pendant que « son image se dégrade fortement dans le monde arabo-musulman ».
Ces voix discordantes s’ajoutent à celles de la gauche et de certaines personnalités politiques qualifiés de « derniers gaullistes », comme l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin.
Vendredi 1ᵉʳ décembre, le président français était à Dubaï pour l’ouverture de la COP 28. Sur place, il a pu constater de visu combien ses diplomates ont vu juste.
Selon le journal Le Monde, Emmanuel Macron avait prévu d’organiser, en marge du sommet sur le climat, une table ronde consacrée au conflit au Moyen-Orient et réunissant autour de lui plusieurs dirigeants arabes, dont ceux de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie et du Qatar, soit les plus « concernés » par le conflit. Mais la table ronde n’a pas pu avoir lieu selon le journal français, faute de présents.
Les dirigeants sollicités auraient avancé un manque de disponibilité, tandis que le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane (MBS) a carrément annulé son déplacement aux Émirats à la dernière minute. Avant cet échec, Macron n’avait pas réussi à « monter » une autre tournée régionale après celle du 24 octobre.
Monde arabe et musulman : la France fait-elle les frais de sa politique étrangère et interne ?
Par ces défections, c’est le président français qui « fait les frais de l’irritation des dirigeants arabes sur la question de Gaza », titre Le Monde.
« Emmanuel Macron a perdu de l’influence avec ses positions », a tweeté pour sa part le journaliste Georges Malbrunot, citant un autre journaliste de la chaîne qatarie Al Jazeera. Malbrunot confirme que le président avait rendez-vous avec MBS qui « n’est pas venu » à la COP 28 et avait prévu une rencontre avec plusieurs dirigeants arabes qui « est tombée à l’eau ».
« La France, Macron, n’arrivent pas à véritablement trouver leur place dans cette crise », constate Agnès Levallois, de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, dans une déclaration à France 24, qui déplore une recherche d’équilibre « au gré des réactions » de la part du président français.
Agnès Levallois a rappelé la proposition faite par Macron lors de sa visite en Israël de constituer une coalition internationale sur le modèle de celle qui a anéanti Daech pour combattre le Hamas. Elle pointe une recherche d’équilibre qui a fini par « brouiller » la stratégie française dans la région.
La position de la France est apparue aux yeux des opinions publiques arabes comme étant un soutien inconditionnel à Israël, en dépit du bilan humain horrible à Gaza, et de l’avancée inexorable des colons en Cisjordanie occupée, où ils continuent de chasser les Palestiniens de leurs terres.
Cette perception a été largement amplifiée par les médias et les influenceurs pro-israéliens en France qui apportent un soutien total au gouvernement israélien, même si ce dernier est composé d’éléments extrémistes, et même dangereux, alors que les rares personnalités qui osent tenir un discours équilibré sont accusées d’antisémitisme.
La France a apporté un soutien ferme à Israël et son « droit à se défendre » après l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre. Le 18 octobre, elle a mis son veto, avec les États-Unis et le Japon, à une résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu.
Au fil des semaines et devant l’ampleur de l’agression israélienne contre la bande de Gaza qui a fait basculer les opinions publiques occidentales du côté de la cause palestinienne, le président Macron a tenté d’équilibrer sa position.
Lors de sa tournée dans la région du 24 au 26 octobre, il a certes réitéré son soutien à Israël, mais il a aussi plaidé pour la protection des civils et surtout pour la relance du processus de paix.
Le 9 novembre, il est devenu le premier dirigeant d’un grand pays occidental à appeler ouvertement à un cessez-le-feu à Gaza, exhortant Israël à cesser de « tuer des bébés et des femmes ».
La dégradation de l’image de la France dans la région n’est pas seulement due à sa position dans le conflit en cours. L’ « américanisation » de sa politique étrangère a commencé il y a une quinzaine d’années avec le départ de Jacques Chirac, et avec lui la dernière génération de diplomates et de politiques gaullistes, dont le plus emblématique est justement Dominique de Villepin.
Ce sont les vicissitudes de la politique interne qui ont fini par déteindre sur l’image de la France à l’étranger, particulièrement dans le monde arabe et musulman.
Sous la pression de l’extrême droite et des médias proches de ce mouvement, les polémiques liées à l’Islam, à la place des musulmans dans le pays et à l’immigration, notamment d’origine maghrébine, sont devenues récurrentes en France. Ces polémiques se sont accentuées avec la guerre à Gaza, avec la forte implication des pro-israéliens qui ont noué une alliance conjoncturelle avec l’extrême droite pour s’attaquer aux musulmans.
À maintes reprises, la Grande mosquée de Paris a dénoncé la libération de la parole haineuse contre les musulmans en France.
Il y a aussi toutes ces restrictions sur les visas pour les ressortissants des pays du Maghreb notamment, les tours de vis apportés à l’immigration dont une partie de la classe politique française considère comme le principal problème de la France.
SUR LE MÊME SUJET :
La France est-elle sous l’influence du lobby pro-israélien ?