Comme première mesure annoncée par le gouvernement Bedoui dès l’entame de sa mission, l’adoption de plus de transparence dans la distribution de la publicité publique aux médias publics et privés.
L’initiative peut paraître louable en ce sens que beaucoup de professionnels du secteur se sont plaints ces dernières années de l’opacité qui caractérisait la gestion de l’ANEP, l’organisme public qui monopolise les annonces publicitaires des entreprises et institutions publiques.
Sauf que l’arrière-pensée politique est difficile à dissimuler dans cet empressement de Noureddine Bedoui à revoir les choses au niveau de l’ANEP dès la première réunion qu’il a présidée en tant que Premier ministre.
On ne fait pas du neuf avec du vieux, la rue a bien raison de le rappeler avec insistance. Le gouvernement, nommé par Bouteflika quelques jours seulement avant de démissionner pour gérer les affaires courantes durant la période de transition, s’inscrit en fait dans la continuité de la politique et des réflexes de ce qu’il convient d’appeler l’ancien système.
Le communiqué officiel du gouvernement parle de « distribution » et c’est plus qu’un lapsus. Le placement d’annonces publicitaires sur des supports médiatiques est toujours perçu comme une rétribution, voire une prime ou une faveur, et non comme une prestation de service qui devrait obéir aux seules règles du marché et de la compétitivité.
Il est évident que Noureddine Bedoui tente d’amadouer la corporation de la presse en promettant « plus de transparence » dans la gestion de la publicité et c’est de bonne guerre. Mais derrière cette promesse d’ouverture pourrait bien se cacher une menace qui ne diffère en rien des pressions que les médias ont subies ces 25 dernières années.
Le message est sibyllin mais pas difficile à capter : la gestion de la manne de la publicité institutionnelle reste aux mains du pouvoir qui en fera l’usage qu’il veut durant la période cruciale à venir.
La persistance de cette tendance à voir la publicité à travers le prisme de la politique démontre aussi que si une réforme de l’ANEP et plus globalement du marché publicitaire devrait survenir, ce ne sera pas au gouvernement actuel de la mener.
Une telle entreprise nécessite une forte volonté politique car elle signifierait la fin du contrôle du pouvoir sur les médias. Or, Bedoui n’a pas la prérogative, et peut-être pas même la volonté de décréter une telle révolution.
Une redistribution des cartes, donc une redéfinition des quotas attribués à chaque média, n’est pas à exclure dans les prochains jours ou semaines, mais le risque de créer de nouveaux « privilégiés », en fonction des changements survenus dans la sphère politique, n’est pas loin.
Le directeur de l’ANEP, nommé par ceux qui avaient le pouvoir de le faire sous Abdelaziz Bouteflika est toujours en place. La méthode, il la connaît et il ne lui sera pas difficile de suivre une nouvelle feuille de route.
Le Premier ministre pourra peut-être nommer une nouvelle équipe à l’ANEP, mais il ne faudra pas s’attendre dans l’immédiat à une réforme profonde et sérieuse du secteur.
Seuls les futurs dirigeants qui prendront le relais après la transition pourront se donner les outils nécessaires et le temps qu’il faut pour assainir la situation. Ceux qui ont géré jusque-là le pays ont fait de l’ANEP et du marché publicitaire une jungle où il ne sera pas facile de remettre de l’ordre. Des individus sans aucun lien avec la corporation se sont retrouvés à la tête de journaux, voire de groupes de presses, des fortunes ont été bâties, des sommes colossales transférées à l’étranger et des empires immobiliers constitués grâce au seul mérite de l’allégeance.
Plus d’une centaine (on parle de 150) journaux, dont la plupart n’ont aucun lectorat, bénéficient actuellement de la manne publicitaire de l’Etat. Leurs quotas diffèrent suivant le degré de proximité de leurs propriétaires avec les centres de décision, mais ils ont tous leur part.
En revanche, des journaux à forte audience n’en bénéficient pas et c’est là une grosse anomalie qui justifierait à elle seule le démantèlement d’un tel système. L’idée de monopoliser la publicité étatique est en elle-même un non-sens.
Une entreprise comme Air Algérie, a la liberté de négocier de gros contrats pour l’achat de ses avions mais on ne lui fait pas confiance pour gérer la « broutille » que constitue son budget publicitaire. C’est le cas de toutes les autres entreprises publiques, qui doivent être libres, de choisir leurs supports publicitaires, loin de toute pression politique.
Même des groupes privés, soutiens zélés du 5e mandat, octroyaient de la publicité, non pas en fonction de l’audience des médias, mais par rapport à leur position vis-à-vis du clan présidentiel.
Au-delà de l’ANEP et de la publicité institutionnelle, il est aussi primordial de faire en sorte que des règles claires régissent la gestion des annonces émanant du privé, qui font elles aussi l’objet d’un autre monopole, celui de régies privées, appartenant aux enfants des barons du système, et dont certaines n’appliquent pas toujours les règles pourtant simples de la compétitivité.
La réforme et l’assainissement du secteur de la publicité est tributaire d’un véritable changement politique. Elle ne peut être ni décrétée ni menée par un gouvernement dans la mission se limite à la gestion des affaires courantes.