Économie

Gestion de l’eau, planche à billets, appauvrissement des Algériens : entretien avec Brahim Guendouzi

L’économiste Brahim Guendouzi aborde dans cet entretien la gestion de l’eau en Algérie, la situation économique du pays et prévient contre une pression inflationniste d’ici fin 2021. Il revient sur le lancement par la Banque d’Algérie d’un programme spécial de refinancement de l’économie.

L’Algérie connaît un stress hydrique d’une ampleur inédite. Comment en est-on arrivé à cette situation et que préconisez-vous pour y remédier ?

Il est de notoriété que  l’Algérie est classée comme étant un pays qui connaît un état de tension sur ses ressources hydriques (stress hydrique). Par manque d’anticipation, il n’y a pas eu de véritable  stratégie de gestion de la ressource vitale qu’est l’eau.

Tout d’abord, il existe un dysfonctionnement entre le secteur de l’hydraulique, en amont, chargé de développer les capacités de captage, d’adduction et de stockage de l’eau, et les sociétés de distribution, en aval, qui font parvenir l’eau potable aux utilisateurs, particulièrement les ménages.

Ajoutée à cela, la forte urbanisation et le manque de planification dans les réseaux d’adduction  d’eau potable. Il y a également la vétusté des réseaux et les nombreuses fuites. Enfin, la subvention pour tout le monde du prix du M3 d’eau fait que des gaspillages de la ressource vitale soient courants.

« Il n’y a pas eu de véritable  stratégie de gestion de la ressource vitale qu’est l’eau »

Que faut-il faire pour éviter une aggravation de la situation ?

L’urgence en cette période de crise est de passer le cap de l’été par l’adoption de certaines mesures adéquates afin d’assurer autant que faire se peut un approvisionnement régulier en eau potable à destination des ménages et surtout pour leur faire éviter des maladies à transmission hydrique dues à la consommation d’une eau non contrôlée.

Entre-temps un plan consacré à l’eau ayant une portée de moyen et long terme doit être mis en œuvre à travers la mobilisation de tous les moyens de l’État afin de développer l’investissement dans le secteur de l’hydraulique en vue d’une plus grande mobilisation des eaux superficielles et souterraines.

Renforcer les capacités de gestion de l’eau en aval par l’application d’une nouvelle tarification, la chasse au gaspillage, la rationalisation de la consommation de l’eau au niveau domestique et industriel, etc.

Relancer la machine économique, plombée par la baisse des prix du pétrole et un déficit budgétaire colossal, et au plan social, faire face à une montée en puissance des revendications salariales et sociales. De grands chantiers difficiles pour le nouveau Premier ministre ?

Il est clair que la situation économique du pays s’est détériorée depuis maintenant plus d’une  année et qu’il faille y remédier d’urgence, c’est ce qui a d’ailleurs prévalu au choix du profil du nouveau Premier ministre.

La feuille de route tracée est le plan de relance économique 2020-2024. La priorité à court terme est de juguler la récession économique, conséquence de la pandémie, et dont l’évolution reste encore incertaine.

Cela permet ensuite de remettre l’économie nationale de nouveau sur une trajectoire de croissance avec comme principaux objectifs l’accroissement de l’investissement productif, la sauvegarde de l’emploi, la diversification des exportations et la protection du pouvoir d’achat des citoyens.

La question du financement du déficit tant interne (budgétaire) qu’externe (balance des paiements) sera au centre des préoccupations et conditionnera la réussite ou l’échec de la nouvelle équipe gouvernementale.

« On risque de faire face à une pression inflationniste »

La Banque d’Algérie a lancé mercredi 30 juin officiellement un programme spécial de refinancement de l’économie nationale d’une durée d’une année. C’est une planche à billets déguisée. Quels sont les risques ?   

 Le nouveau règlement n°2021-02 du 10 juin 2021 adopté par la Banque d’Algérie et portant programme spécial de refinancement en soutien au programme de relance de l’économie nationale, coïncide avec la désignation du nouveau Premier ministre.

Il s’agit d’un mécanisme de financement monétaire d’un montant de 2.100 milliards de dinars échelonné sur douze mois. Il est vrai que la Banque d’Algérie a le privilège de l’émission monétaire et qu’en cette conjoncture de contraction du PIB, elle juge nécessaire d’injecter dans le circuit économique de la monnaie pour soutenir l’investissement et la consommation.

Dans le dispositif du financement non conventionnel (planche à billets), c’est le Trésor qui s’adresse directement à l’institut d’émission pour le financement de ses engagements en contrepartie de titres émis.

Contrairement à cela, le nouveau mécanisme de financement est destiné directement aux banques (opérations d’open market) en leur accordant une cession temporaire d’apport de liquidités en contrepartie d’effets que la Banque d’Algérie accepte en garantie soit uniquement des obligations émises par le Trésor public dans le cadre du rachat des crédits syndiqués.

Aussi, cette fois-ci, la Banque d’Algérie est restée dans le cadre du dispositif qu’elle met habituellement au service du système bancaire. Sauf que, en tant que financement monétaire exceptionnel, on risque, d’ici la fin de l’année 2021, de faire face à une pression inflationniste du fait justement de l’augmentation de la masse monétaire. Et ça, c’est un autre problème !

« Le démantèlement tarifaire risque de profiter beaucoup plus aux autres nations »

L’Exécutif mise sur une politique de maîtrise des importations et de l’encouragement des exportations hors hydrocarbures. Comment va-t-il s’y prendre ?

Sur le plan des relations économiques extérieures, l’Algérie s’est retrouvée dans un processus qui la pénalise, soit un niveau élevé de ses importations, des exportations hors hydrocarbures marginales et des flux d’IDE faibles.

Dans le contexte actuel de fonctionnement de l’économie nationale, et avec le resserrement de la contrainte devise (niveau des réserves de change), il est question de faire diminuer le plus possible le volume et le montant des importations.

Le démantèlement tarifaire mis en œuvre (suppression de l’ensemble des droits de douane qui frappent les marchandises avec l’Union Européenne, la zone Arabe de libre-échange et maintenant la zone de libre- échange du continent africain) risque de profiter beaucoup plus aux autres nations dès lors que l’Algérie importe beaucoup de produits manufacturiers qu’elle n’exporte pas vu la faiblesse de nos ventes de marchandises hors hydrocarbures.

D’où le problème posé actuellement relatif aux relations commerciales à équilibrer notamment en réduisant les achats de l’extérieur afin de combler le déficit de balance commerciale. C’est également l’opportunité qui est donnée pour protéger la production nationale et valoriser sur le marché le produit local dans la perspective d’une diversification du tissu économique à moyen terme.

Il en est de même de la volonté exprimée par les pouvoirs publics de porter le niveau des exportations hors hydrocarbures à 5 milliards de dollars pour cette année ?

Cet objectif paraît ambitieux eu égard à la situation difficile dans laquelle se trouve actuellement l’économie du pays en raison de l’impact de la pandémie du covid-19 ainsi que les difficultés que vivent les entreprises algériennes tant publiques que privées qui font face aux multiples entraves liées à l’environnement économique.

D’autant plus qu’il y a une faiblesse des produits exportables, handicapant momentanément l’acte d’exporter, en plus déjà des difficultés qui existent lorsqu’il s’agit d’approche des marchés étrangers.

La baisse du pouvoir d’achat des Algériens se voit à leur quotidien et aux difficultés qu’ils éprouvent à arrondir leurs fins de mois. Le processus d’appauvrissement de la population est-il amorcé ? 

Les effets d’une récession économique se ressentent par une baisse de l’activité économique, des pertes d’emplois, une faiblesse des revenus et une contraction de la consommation ainsi que la limitation du pouvoir d’achat des citoyens.

Les pouvoirs publics, sachant cela, vont logiquement mettre en place de nouveaux mécanismes afin d’amortir le choc sur le plan social en attendant de faire évoluer l’économie nationale sur une trajectoire de croissance.

C’est à ce titre que la question des subventions est devenue une préoccupation et un casse-tête car on cherche à contenir les inégalités sociales. Il en est de même pour le chômage, particulièrement celui des jeunes diplômés, qui commence à s’installer dans la société.

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