Une octogénaire algérienne est morte dimanche lors d’une opération chirurgicale après avoir été blessée la veille chez elle par des éléments d’une grenade lacrymogène, tirée pendant des heurts en marge de manifestations des « gilets rouges » à Marseille.
La victime fermait les volets de son appartement samedi, au quatrième étage d’un immeuble proche du célèbre boulevard de la Canebière, lorsqu’un projectile l’a heurté au visage.
Transportée à l’hôpital, elle y a été opérée mais est décédée « d’un choc opératoire », a déclaré le procureur de la République à Marseille, Xavier Tarabeux.
L’octogénaire a été victime d' »un arrêt cardiaque sur la table d’opération », a précisé M. Tarabeux à l’AFP lundi soir, ajoutant que l’autopsie avait révélé que le « choc facial n’était pas la cause du décès ».
Des plots de grenade avaient été retrouvés chez la victime qui pourrait ne pas être la dernière du mouvement social qui secoue la France depuis trois semaines.
Zineb Redouane était encore consciente à son arrivée à l’hôpital, selon le témoignage d’une de ses proches sur Facebook. Elle pense même avoir été visée volontairement, soupçonnée à tort de filmer les policiers à l’aide de son téléphone portable. Elle envisageait même de déposer plainte. Une idée vaine désormais.
Risque de pertes humaines
Et si la nouvelle journée d’action des « gilets jaunes » samedi débouchait encore sur des violences, voire même des pertes humaines ? C’est un risque couru et les morts pourraient même être « plusieurs », a admis l’une de leurs figures mardi soir sur BFMTV.
Pour autant, les représentants du mouvement refusent de céder face à cette intimidation et à cette forme de chantage, d’assumer la responsabilité d’une éventuelle tragédie.
À ce stade, ils n’entendent pas les appels à annuler leur démonstration, jugeant que le moratoire sur les taxes carburant est une goutte de gasoil dans le réservoir de leurs revendications qui voit sa profondeur se creuser de jour en jour. Pour eux, le seul responsable de toutes les violences c’est le pouvoir. Et ces violences ne sont pas le produit de leur mécontentement. « Que vaut une vitre brisée, un véhicule incendié face aux policiers et aux ouvriers qui se sont suicidés ? » argumente l’un d’entre eux . Rien que dans la police, 51 agents se sont donné la mort en 2017 et 30 autres depuis janvier de cette année.
Que valent les dégâts face à la détresse d’un père de famille qui trime sans parvenir à remplir le frigo, face à celle d’une soignante qui ne peut même pas se soigner, s’interroge le même porte-parole du mouvement qui récuse en ce qui le concerne toute forme de violence.
Dans leur plaidoyer face aux politiques et aux chroniqueurs effrayés, ils peuvent emprunter leurs arguments à l’historien Emmanuel Todd. « La violence c’est de mettre les gens hors d’état de vivre » en « leur augmentant les prix », tonne le célèbre intellectuel qui dénonce une « stratégie incroyable de provocation gouvernementale ». Sans hésitation, il clame que « la violence sort du cerveau du président », « c’est l’affaire Benalla », « ce sont les 10% de chômeurs ».
L’écrivain Edouard Louis dénonce de son côté « le mépris de classe » qui s’abat sur les « gilets jaunes » qui ont provoqué en lui un « choc » en apparaissant sur des écrans habituellement squattés par des profils très avenants. Il est ému par ces « corps souffrant, ravagés par le travail, par la fatigue, par la faim, par l’humiliation permanente des dominants à l’égard des dominés, par l’exclusion sociale et géographique, des corps fatigués, des mains fatiguées, des dos broyés, des regards épuisés ».
« Il faut vraiment n’avoir jamais connu la misère pour pouvoir penser qu’un tag sur un monument historique est plus grave que l’impossibilité de se soigner, de vivre, de se nourrir ou de nourrir sa famille », enfonce-t-il.
En bon historien, Emmanuel Todd rappelle que la contestation « est typique de la culture » et tant pis donc pour ce pouvoir qui n’a pas cette perspective historique qui lui aurait permis d’éviter au pays le « chaos » en progression.
Depuis le 12 mai 1588 et la révolte contre le roi Henri III fuit qui fit une soixantaine de soldats tués, les barricades sont devenues le symbole romantique des révoltes populaires.
L’histoire de la France restera jalonnée de ces soulèvements républicains jusqu’à mai 1968 . « On est dans la première phase de 1789 quand Louis XVI ne comprenait pas ce qu’il se passait et que ses conseillers lui disaient : « Sire, ce n’est pas une révolte, c’est une révolution » », met en garde un ancien soutien d’Emmanuel Macron, cité par Le Parisien.
Appel anonyme à bloquer les aéroports
Révolte ou révolution, les voyageurs algériens vers la France doivent faire attention à la journée du 10 décembre. Un appel à l’origine encore mystérieuse circulant sur le réseau Facebook et relayée sur la messagerie privée Messenger demande notamment à bloquer les aéroports.
L’appel est repris par des sites d’extrême droite qui souhaitent empêcher Emmanuel Macron de se rendre à Marrakech, au Maroc, pour la signature du Pacte mondial sur les migrations. Ce photographe professionnel établi à Alger a lu l’appel. « J’ai reporté à mardi mon vol prévu lundi », témoigne-t-il auprès de TSA.
Plus de 89.000 membres des forces de sécurité mobilisés
Redoutant un troisième samedi noir, le gouvernement français a décidé de mobiliser plus de 89.000 membres des forces de l’ordre, dont 8.000 à Paris, lors de la nouvelle journée de mobilisation des « gilets jaunes », a annoncé ce jeudi le premier ministre Edouard Philippe.
Une « douzaine de véhicules blindés » à roues de la gendarmerie (VBRG) seront par ailleurs utilisés à Paris, a ajouté le chef du gouvernement, évoquant un dispositif « exceptionnel ». Environ 65.000 membres des forces de l’ordre, dont 5.000 à Paris, avaient été déployés samedi dernier lors d’une journée marquée par des scènes d’émeute, notamment dans la capitale.
L’Élysée ne cache pas ses craintes d' »une très grande violence » avec « un noyau dur de plusieurs milliers de personnes » qui viendraient à Paris « pour casser et pour tuer » sur la foi des informations rassemblées, a rapporté Reuters jeudi, auprès de la présidence de la République, selon la presse française.