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Gilets jaunes : pourquoi Macron suscite la haine

Et si Emmanuel Macron quittait l’Élysée avant même qu’Abdelaziz Bouteflika ait rendu les clés d’El-Mouradia, en Algérie ? Le scénario ne relève pas d’une plaisanterie. Pas plus qu’il est invraisemblable. Bien sûr, on n’imagine pas Jupiter finissant tel le roi Soleil comme en rêvent une partie des “gilets jaunes” qui veulent se rendre à l’assaut du château. On ne l’imagine non plus aussi si vite englouti sous les flots de ce tourbillon jaune qu’aucun de ses brillants oracles n’avait imaginé.

Le cri de “Macron démission” a zéro chance de se traduire en acte politique. Pour autant, le jeune chef d’État risque de voir son nom s’ajouter à celui des autres présidents français que Bouteflika a vu rentrer chez eux : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande. Tous les pronostics sont formels : Macron a déjà perdu un éventuel second mandat et partira donc en 2022. Bouteflika, dont le crépuscule politique se révèle toujours comme une nouvelle aube, resterait au-delà de cette date s’il décidait de briguer un cinquième mandat et si Dieu lui prêtait une plus longue vie.

C’est une tradition bien française : on élit le président le plus populaire pour mieux le détester et le malmener durant son mandat. Et Macron est celui qui a peut-être le mieux faciliter la tâche aux Français. Élu par défaut face à une pathétique dirigeante de l’extrême droite (Marine Le Pen), le jeune président avait tout intérêt à élargir sa base sociale et son socle électoral. À droite ou à gauche. Au lieu de cela, le “prince du CAC 40” comme le brocardent certains de ses adversaires en référence au monde de la finance, qui est, de plus, dépourvu d’expérience politique, s’est enfermé dans une ambiguïté doctrinale, en stipendiant un vieux monde dont il a finalement gardé les privilèges. L’affaire Benalla en restera comme le premier révélateur.

Son seul âge n’a pas suffi à incarner le nouveau monde promis. Son parler vrai, apprécié au début, a fini par lasser et prendre même le sens d’une expression de suffisance et de mépris de classe. Son appétit pour les réformes sans prêter attention aux avertissements l’a fait tomber dans le piège de l’hybris.

À l’œuvre, il s’est finalement révélé bien plus libéral qu’il ne l’avait laissé croire. En supprimant l’impôt de solidarité sur la fortune, en taxant les catégories les plus fragiles de la population grâce à des faveurs accordées aux entreprises contre les salariés au motif qu’elles créent de l’activité et de la richesse, il a vu une partie de son électorat lui tourner le dos. Cela s’est vu dans la baisse continue de sa popularité.

Autre défaut rédhibitoire de la fabrique macronienne : un parti politique construit à la hâte. La République En Marche “c’est le RND de la France”, ironise un médecin franco-algérien, dans une allusion au parti algérien créé pour soutenir l’ancien président Liamine Zeroual, lequel a choisi de ne même pas finir son premier quinquennat.

Dans l’euphorie de la présidentielle, il a remporté les législatives et s’est emparé de la majorité. Au fil des mois, son ancrage s’est avéré illusoire. Macron s’est entouré de gens qui lui ressemblent : élitistes et sans expérience. Sa déconnexion et son élitisme sont à l’origine de la crise des gilets jaunes, analyse le très sérieux journal allemand Die Zeit. Tellement déconnectés, engoncés dans leurs fausses certitudes et enfermés dans leur bulle qu’ils n’ont pas entendu la révolte gronder.

À son secours, il ne peut même pas appeler les syndicats qu’il s’est employé à ridiculiser. À chaque fois qu’il les conviait à des discussions sur ses projets de réformes, il a fini par imposer sa propre vision. Pour avoir ainsi réduit leur influence, il se retrouve seul face à la rue qui éructe. Les reculades qu’il a été forcé de faire ont déjà anéanti sa détermination. S’il organise de nouvelles élections législatives, sa majorité sera réduite en lambeaux. Il va donc cristalliser le mécontentement sur sa propre personne. Jusqu’à quelle limite ? 2022 au plus tard.

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