Ce qui couvait depuis quelques semaines en sourdine a fini par éclater au grand jour : le RCD, relativement à l’abri des soubresauts qui traversent nombre de partis, est secoué par une crise interne qui risque de s’exacerber au fil des jours.
Dans un texte adressé au Président du parti et qui devait être diffusé en interne, de nombreux élus locaux et autres membres du conseil national égrènent une série de griefs dont se serait rendu coupable Mohcine Belabbas dans sa gestion des affaires du parti.
« Où va le RCD ? C’est la question que pose ouvertement la base militante du parti déboussolée par des déclarations publiques et des décisions internes contraires à ses idéaux alors que son projet est présentement revendiqué par la rue. Le RCD n’a jamais été autant en danger depuis sa création », écrivent les signataires, une cinquantaine.
« Notre parti traverse la période la plus difficile depuis sa création. Il est touché dans son organisation, son fonctionnement et ses principes. Il est atteint dans son âme. Sur le plan organisationnel, le RCD est pris en otage par deux personnes. Vous et votre homme de main, Ouamar Saoudi. Les structures sont verrouillées et les promotions se font sur la base d’allégeances et même de soumissions », dénoncent-ils.
Outre une « mauvaise gestion » des structures du parti et la promotion des « courtisans », les signataires reprochent à Mohcine Belabbas certaines déclarations et positions prises en dehors de « toute concertation », comme la signature, il y a quelques semaines, d’un communiqué dans lequel figurait l’ancien chef du FIDA, Mourad Dhina ou encore le récent rapprochement avec le FFS et le PLD.
Autres griefs : la proposition dans le plan de sortie de crise d’écarter toutes les personnes de plus de 60 ans, le rejet de l’idée de « désobéissance civile » qualifiée dans le dernier communiqué du conseil national de « dérive gauchisante », le silence après l’agression de l’ex-président du parti, Said Sadi lors d’une marche à Bejaia, l’accusation d’ « agitée » proférée à l’encontre de l’élue Samira Messouci, aujourd’hui sous les verrous pour port d’emblème amazigh, la décision de ne pas faire participer le parti aux dernières festivités du 20 avril ou encore le rejet de l’idée de la structuration dans l’immédiat du mouvement populaire et l’absence de référence à la laïcité.
« Votre entreprise de démantèlement du Rassemblement est bien entamée. Le RCD est menacé au moment où la Kabylie et l’Algérie ont besoin de ses militants, de ses idées et de ses principes. La question posée par la base est simple : « Pourquoi se renier et pourquoi maintenant ? », interrogent ces signataires.
Naissance d’un « courant » et appel à un congrès extraordinaire
Face à cette situation, les signataires annoncent l’animation d’un « courant » à l’intérieur du parti et appellent à la tenue d’un congrès extraordinaire. «C’est pour répondre à ces questions qui ne peuvent plus attendre et pour sauver le RCD que nous avons décidé d’animer, dans le parti, un courant « Fidélité et Transparence ». « Si la raison l’emporte, ce sera tant mieux. Si l’entreprise de reniement et de destruction de notre parti continue, il nous faudra aller vers un congrès extraordinaire, seul à même de décider si les principes, le fonctionnement, la stratégie et le sigle doivent changer », ajoutent les signataires.
Une guerre peut en cacher une autre
Mais derrière cette montée au créneau de ces membres du CN et élus se dissimule un bras de fer en sourdine entre l’actuel président, Mohcine Belabbas et l’ancien président du parti, Said Sadi. Celui-ci, quand bien même retiré des affaires du parti depuis le dernier congrès, garderait toutefois un œil sur l’appareil, son fonctionnement et les prises de positions de ses responsables.
À se fier à certaines sources, Said Sadi n’aurait pas apprécié certaines sorties de Mohcine Belabbas, notamment la proposition d’écarter -contenue dans le « plan de sortie de crise »- de toutes les personnes âgées de plus de 60 ans. Une proposition qui, à ses yeux, le ciblerait particulièrement. Il y a aussi les positions tranchées de Belabbas qui contrastent singulièrement avec celle de Said Sadi : c’est le cas du rejet par exemple de l’option de la désobéissance civile défendue par l’ancien président ou encore la structuration du mouvement populaire.
Said Sadi n’aurait pas également apprécié que certains de ses « ennemis intimes », comme Mokrane Ait Larbi ou encore Ahmed Djedai soient invités à la dernière réunion des Forces de l’alternative démocratique du 26 juin.
Le bras de fer connaîtra son paroxysme avec la mise à l’écart, lors du dernier remaniement opéré au sein du secrétariat national, de toutes les figures réputées proches de l’ancien président, comme Yassine Aissiouane, Lila Hadj Arab ou encore Meziane Sadi.
En réaction, Mohcine Belabbas a publié la lettre qui lui a été adressée, sur Facebook, avec ce commentaire : « Le document que nous rendons public et dont vous pouvez deviner facilement ses rédacteurs vise à déstabiliser le RCD en ces temps de révolution pour le compte du pouvoir de fait. Ses rédacteurs ne l’ont pas encore rendu public. Nous le faisons à leur place pour permettre un débat dans la transparence sur le RCD, son fonctionnement et son histoire. Les militants du RCD et ses dirigeants n’ont jamais refusé le débat ».
Le député, Athmane Mazouz a dénoncé une « action inspirée par les services ». « Une attaque inspirée par les services et obéissant à l’agenda caché de l’état-major de l’armée est en préparation pour déstabiliser le RCD. L’opinion publique et les militants sont informés. Soyez dans l’attente des détails ! ».
Réponse immédiate de Yassine Aissiouane, un des signataires du texte adressé au président du RCD : « Atmane Mazouz récemment nommé secrétaire national à la communication et Mohcine Belabbas, président du parti, viennent de se rendre coupables de violations des statuts et du règlement intérieur du RCD. Ils ont publié sur Facebook un document interne adressé au président du RCD par des secrétaires nationaux, des membres du conseil national, des responsables des structures locales et des élus du parti pour exiger un débat sur des décisions et des choix qui déstabilisent notre parti depuis des mois. C’est une dérive grave qui s’ajoute à toutes les autres énumérées dans le document en question ».
« Le RCD est en voie de liquidation au moment où le pays reprend son projet. Nous avons voulu un débat clair et responsable dans les structures du parti. Le premier responsable et son courtisan jettent un courrier interne sur Facebook pour ne pas répondre au fond de l’interpellation tout en insultant les cadres signataires de cette lettre. Les récents changements qui ont même introduit des transfuges du RND et du MPA dans les BR ont été faits pour isoler les militants et corrompre nos structures. Nous avons voulu un débat interne, le débat est maintenant sur la place publique. Il portera sur des faits et rien que des faits », promet-il. La guerre ne fait que commencer.