Société

Gratuité des plages : un vieux serpent de mer

Comme chaque année à pareille période, on parle saison estivale, on fait des annonces, on rassure et surtout, on promet que rien ne sera plus comme avant.

La promesse de ce début juin 2018, c’est la gratuité des plages. Et c’est le ministre de l’Intérieur himself qui l’a faite devant les walis de la République samedi qu’il a instruits au passage de tout mettre en œuvre pour garantir à tous les citoyens un accès gratuit à ces lieux de villégiature et de mettre fin à l’anarchie qui caractérise leur gestion à travers toutes les villes côtières du pays.

A priori, il n’y a aucune raison de douter de la parole d’un personnage d’une telle importance, qui plus est a en charge de la sécurité et l’administration du pays, ni de motif sensé pour penser un instant que les walis rechigneront à exécuter un ordre de leur chef hiérarchique direct.

Sauf lorsqu’on se rappelle que ce n’est pas la première fois qu’un tel engagement est pris publiquement à l’orée de la saison estivale, par le ministre de l’Intérieur, ceux d’autres secteurs ou des responsables de rang subalterne, sans jamais qu’il soit tenu.

L’État algérien n’a rien pu faire jusque-là devant l’ampleur prise par le phénomène. Faute d’avoir essayé ? On ne sait pas trop, mais la gratuité des plages est demeurée jusque-là un vain mot.

D’El Kala à Ghazaouet, en passant par Jijel, Béjaïa, Mostaganem et toutes les villes balnéaires du pays, les plages, des lieux publics aux yeux de la loi, sont accaparées, « privatisées » par des groupes de jeunes désœuvrés, parfois à la solde de cercles influents. Et chaque année, on remet ça.

Les droits d’accès imposés indûment aux estivants génèrent d’énormes profits, en plus des autres activités tout aussi illégales que les mêmes squatteurs exercent en exclusivité sur les lieux : parking, location de parasol et de tentes…

De gros intérêts sont en jeu et justifient bien les actions de lobbying menées auprès des autorités locales pour laisser faire, quitte à passer outre les instructions de l’administration centrale.

Devant la passivité des autorités, le citoyen ainsi délesté de quelques centaines de dinars à chaque fois que lui vient l’envie de se prélasser en bord de mer, se laisse faire et ne se plaint pas, persuadé qu’il y a comme une entente, au moins tacite, entre les squatteurs et ceux qui sont censés les en empêcher.

Au fil des années, la régulation a pris les allures d’un vieux serpent de mer, un peu comme pour ces parkings sauvages qui pullulent dans les villes et que le gouvernement promet depuis des années d’éradiquer sans y mettre la volonté et les moyens adéquats.

Quand bien même l’instruction de Noureddine Bedoui sur les plages sera suivie d’effet cette année, on doute fort qu’elle puisse régler le problème dans le fond.

La seule chose que l’administration pourra faire, si encore elle consent à bouger, c’est empêcher les squatteurs d’imposer un droit sur l’accès aux plages.

Pour le reste, là où l’estivant est réellement saigné, le business va sans doute continuer, la supercherie aussi. On pense au stationnement et à la location, presque forcée, d’accessoires comme les parasols, les chaises et les tentes.

Même si les prix appliqués sont exorbitants, le citoyen n’a guère d’autre choix que de payer en l’absence de toute concurrence, ou parce que les parasols et tentes proposés à la location sont mis sciemment aux meilleurs emplacements, ou encore parce qu’on lui interdit d’utiliser ses propres équipements.

Un vaste racket auquel les walis sont aussi tenus de s’attaquer dès cet été en vertu de l’instruction ministérielle.

Sans anticiper sur l’issue de l’initiative, les agents de l’État doivent s’attendre au moins à de la résistance. Le squat des plages est devenu une activité fortement lucrative et ce serait faire preuve de grande ingénuité que de croire qu’on y renoncera aussi facilement.

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