Et ce qui devait arriver arriva. La force publique a fini par être réquisitionnée contre les juges grévistes. Un acte « sans précédent dans le monde », dénonce le Club des magistrats.
Les images sont à peine croyables. Des forces antiémeute de la gendarmerie ont investi ce dimanche 3 novembre le siège de la Cour d’Oran où des juges et procureurs comptaient empêcher l’ouverture de la session criminelle et l’installation des magistrats nouvellement affectés dans le cadre du mouvement décidé par la tutelle et qui est à l’origine de la fronde.
Jusque-là, les protagonistes, le ministère de la Justice d’un côté et le Syndicat national des magistrats (SNM) de l’autre, ont certes fait montre d’intransigeance et de fermeté, mais ont toujours laissé dans leurs communiqués respectifs la porte ouverte au dialogue, donc à un règlement rapide de la crise.
Une telle issue est-elle encore possible maintenant que les juges se sont fait molester, pour ne pas dire autre chose, par des gendarmes censés être sous leur autorité par la force de la loi et de la Constitution ?
Il est à craindre que le point de non-retour soit atteint. Les déclarations faites de part et d’autre laissent penser que le conflit est déjà au stade du pourrissement.
Au tout début du mouvement, le 27 octobre, le ministère avait déjà implicitement accusé les magistrats d’ignorer la loi ou de l’enfreindre sciemment, en leur rappelant que les dispositions du statut qui régit leur fonction leur interdit de recourir à la grève comme moyen de revendication.
Dans la matinée de ce dimanche, avant même l’intervention des gendarmes, un haut responsable du ministère qualifiait la grève de « désobéissance » et de « rébellion ». « Personnellement, je ne pense pas que nous sommes dans un cadre de grève. Nous sommes dans la rébellion. Nous sommes dans la désobéissance. C’est dommage que les magistrats, qui sont garants de la législation et du respect des lois de la République, agissent de la sorte. Nous sommes censés respecter la loi », a indiqué Abdelhafid Djarir, directeur général des affaires judiciaire et juridique au ministère dans un entretien accordé à la Chaîne III de la radio.
Une « rébellion », ça se réprime et c’est ce dont se sont chargées les forces de l’ordre quelques heures plus tard. La première réaction de la corporation est venue du Club des magistrats, un cadre créé dans le sillage du mouvement populaire du 22 février.
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Les termes contenus dans le communiqué tombé en milieu d’après-midi sont tout sauf ceux qui doivent être échangés entre une corporation et sa tutelle, même en plein conflit. « Acte lâche et despotique », « sbires du ministère de la Justice », « narcissisme et dictature d’un ministère brutal », « actes de barbarie et non civilisés ».
Surtout, le Club exige le départ du ministre Belkacem Zeghmati et appelle le SNM à « une réaction d’escalade honorable ». Celui-ci a réagi en dénonçant une grave dérive et en réclamant le départ de Zeghmati avant tout dialogue avec la tutelle. Des membres du Conseil national de la magistrature (CSM) ont dénoncé une “atteinte grave” à “l’indépendance de la justice”, et un “précédent dangereux” dans l’histoire de la magistrature. L’affaire n’est pas restée en Algérie, puisque l’Union arabe des magistrats a réagi en dénonçant les tentatives de “terroriser” les juges algériens, et demandé aux autorités algériennes de répondre immédiatement aux revendications du SN.
L’UAM, qui a apporté son soutien au SNM, a condamné “des violations répétées et dangereuses de la dignité, la sécurité et l’indépendance des magistrats algériens”, et rappelé que les magistrats algériens avaient le droit de faire grève.
Si l’objectif de ceux qui ont ordonné à la force publique d’investir le siège d’une juridiction était de casser la grève et de contraindre les juges à reprendre le travail, autant dire que leur décision risque de produire le juste contraire de l’effet escompté.
Cela fait plusieurs jours déjà que le débrayage, initialement destiné à faire annuler les mutations décidées par la tutelle, a débordé sur des revendications plus « politiques », avec une insistance de plus en plus marquée sur la nécessité de concrétiser le principe de l’indépendance de la justice.
Avec ce qui s’est passé ce dimanche à la Cour d’Oran, la demande de l’affranchissement du pouvoir politique risque d’éclipser et de faire oublier le reste de la plateforme soulevée par le SNM.
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