Après sept mois de grève, de rassemblements et d’autres actions, le mouvement des médecins résidents montre des signes d’essoufflement. Le long bras de fer était même sur le point de prendre fin suite au subit changement d’attitude du Camra qui mène la protesta depuis l’automne dernier, avant que le gouvernement, dans une sortie inattendue et incompréhensible, ne ramène les choses à la case départ. « Je suis coupé du monde », a dédaigneusement répondu le ministre de la santé, Mokhtar Hasbelaoui, à des journalistes qui sollicitaient sa réaction à « l’offre de paix » des résidents. Depuis, des mesures extrêmes ne tarderont pas à tomber, avec l’exclusion de centaines de grévistes.
Jusque-là, c’étaient ces derniers qui étaient confinés dans une posture jusqu’au-boutiste, exigeant « tout et maintenant » et rejetant les nombreuses concessions de la tutelle. Début juin donc, le collectif avait fait part de sa disponibilité à appeler à la reprise des gardes d’urgence en signe de « bonne volonté » à l’approche de l’Aïd el fitr et de la saison estivale. L’appel sera lancé quelques jours plus tard avant d’être annulé, devant l’absence du moindre geste d’apaisement de la part de la tutelle.
Une sortie honorable
Le Camra avait consenti à lâcher du lest, car la situation commençait à lui échapper. Une bonne partie des médecins grévistes ne peut plus supporter des mois supplémentaires sans salaire. Pour l’année universitaire, elle est déjà déclarée « blanche », c’est-à-dire perdue, et l’enjeu maintenant est d’éviter une autre année sans cours, le règlement prévoyant l’exclusion pure et simple en pareil cas.
L’épuisement est perceptible et la tutelle sur le point de gagner à l’usure. Il ne restait plus que la face à sauver. Le collectif voulait une sortie honorable et éviter que son geste ne soit interprété comme une capitulation sans conditions, d’où les quelques préalables inclus dans son offre de sortie de crise. Or, même cela, le gouvernement ne semble pas prêt à le leur céder. La volonté d’humilier est manifeste et on se demande bien à quoi rime une telle stratégie. Qui cherche le pourrissement et à qui profite-t-il ?
Il est vrai que le gouvernement a gagné des points ces derniers mois et l’intransigeance du Camra notamment concernant l’abrogation du service civil et ses maladresse lui ont facilité la tâche dans sa quête de discréditer le mouvement. Dans la gestion des conflits sociaux, la méthode Ouyahia est connue : une intransigeance constante accompagnée d’habiles manœuvres de discréditation.
Le gouvernement a tout fait pour retourner l’opinion, solidaire des grévistes depuis le lancement du mouvement. Les représentants du Camra ont multiplié les sorties dans les médias, mais, hélas, une bonne communication ne se limite pas à la seule visibilité médiatique. La tutelle, elle, a su comment mener la bataille sur plan-là, en mettant en avant d’abord le droit d’accès aux soins des populations des zones éloignées, pour justifier son intransigeance sur le maintien du caractère obligatoire du service civil. Les grévistes n’ont pas su comment répliquer avec efficacité, pas plus qu’ils n’ont su répondre habilement au reproche de convoiter un salaire mensuel de 54 millions de centimes, dans un contexte de grave crise économique.
Si l’intransigeance a été un atout maître pour le gouvernement, pour le Camra, elle fut désastreuse. On se demande bien comment les meneurs du mouvement n’ont pas vu venir cet essoufflement, comment ils ont pu penser que les médecins peuvent tenir plus de six mois sans salaire et surtout prendre le risque d’effectuer une seconde année blanche.
À quoi joue le gouvernement ?
À coup sûr, le collectif a multiplié les erreurs stratégiques et d’appréciation, comme en 2011, lorsque trois mois de grève et de jusqu’auboutisme n’avaient rien apporté. Sa première erreur est d’avoir surestimé le poids de la corporation dans le système de santé et la capacité de résilience de ses membres. Le Camra a aussi fauté pour avoir cru à l’efficacité de la grève illimitée et surtout de n’avoir pas pris pour argent comptant l’intransigeance du gouvernement, notamment sur la question du service civil, sa principale revendication.
Mais au vu des développements de cette semaine, on est tenté de dire que l’erreur a changé de camp. Le Camra est peut-être en train de regagner la bataille de l’opinion par la faute d’un gouvernement qui a adopté la plus étrange des attitudes : chercher à faire plier un mouvement social tout en humiliant ses initiateurs.
Qu’il y ait reprise des cours et des gardes ou, au contraire, durcissement du mouvement, le gouvernement se retrouvera dans une posture inconfortable vis-à-vis de l’opinion nationale. Dans la dernière ligne droite, il aura commis un grave impair. Fermer la porte à une réelle chance de mettre fin à une crise qui n’a que trop duré, tout en affichant une volonté manifeste d’humilier une corporation qui constitue l’élite du pays, est une attitude incompréhensible et inadmissible.
À quoi joue le gouvernement ? Des parties sont-elle en train de pousser au pourrissement pour des visées inavouables ? Quoi qu’il en soit, cet énième épisode du bras de fer entre les médecins résidents et la tutelle ouvre la voie à toutes les conjectures concernant le fonctionnement des institutions de l’État…