La guerre de l’eau prend de nouvelles proportions entre l’Algérie et le Maroc. Le 20 mai lors du Forum mondial de l’eau à Bali en Indonésie, le ministre algérien de l’Hydraulique, Taha Derbal, a dénoncé « un assèchement systématique des barrages et des sources d’eau » de l’extrême ouest du pays par le voisin marocain.
Il faisait allusion à la construction du barrage de Kadoussa sur l’oued Guir au Maroc, à proximité de la frontière avec l’Algérie. Un barrage qui a provoqué l’assèchement du barrage de Djorf Torba et l’arrêt de l’approvisionnement en eau potable de la ville de Béchar en Algérie.
Guerre de l’eau entre l’Algérie et le Maroc : le barrage de la discorde
Le ministre de l’Hydraulique a lancé les accusations contre le Maroc dans une déclaration au quotidien El Khabar. Dans la foulée, il a rappelé les réalisations de l’Algérie dans le domaine de l’hydraulique.
« L’Algérie a su mobiliser d’importantes capacités financières et un suivi personnel grâce à la volonté politique, conduite par le Président de la République, qui s’appuie sur des axes très importants, dont le premier est de donner une plus grande importance à l’eau non conventionnelle, c’est-à-dire des usines de dessalement d’eau de mer, l’utilisation des eaux usées filtrées et des systèmes d’irrigation économiques », a-t-il dit.
Le ministre de l’Hydraulique a également fait état de la rationalisation de l’utilisation de l’eau en Algérie dans le domaine agricole en indiquant notamment que : « plus de 70 % de l’eau collectée chaque année est destinée à l’agriculture et à l’irrigation agricole, et donc l’utilisation de systèmes d’irrigation économes en eau peut irriguer de grandes quantités de terres en quantités minimes ».
La mise en service, à partir de 2022, du barrage de Kadoussa sur la partie marocaine de l’oued Guir a en effet abouti, du côté algérien, à l’assèchement du lac de barrage de Djorf Torba, l’un des plus grands d’Algérie, entraînant la mort de dizaines de milliers de poissons et l’arrêt de l’alimentation en eau potable de la ville de Béchar et des communes environnantes.
En mars 2023, le quotidien El Watan rendait compte de la situation à Béchar et de ses 200.000 habitants : de l’eau au robinet un jour sur 3, voire un jour sur quatre selon les quartiers.
Une eau provenant des 11 puits forés depuis Boussir, distant de 180 km au nord de Béchar. Leur débit de 25.000 à 30.000 m³/jour avait de quoi alimenter la ville, mais le retard de la livraison de deux réservoirs « bloquait jusqu’ici le transfert de l’eau vers la ville » selon la même source. La construction de 4 autres réservoirs est prévue.
Proche de Béchar, Kenadsa et ses 25.000 habitants ont bénéficié d’un transfert de 8.000 à 10.000 m³ d’eau, distribués 2 jours par semaine. Quant aux 25.000 habitants d’Abadla, 5 forages d’une capacité de 5.000 m³/jour devraient approvisionner une population qui traversait jusqu’ici une situation très difficile ».
Depuis, les opérations de transfert d’eau depuis la nappe albienne jusqu’à Béchar se sont multipliées et à plusieurs reprises, le ministre s’est enquis sur place de l’avancée des travaux.
C’est le barrage marocain de Kadoussa, d’une capacité de 200 millions de m³, construit sur l’oued Guir commun aux deux pays qui pose problème.
Son entrée en fonction a réduit d’autant l’arrivée d’eau en aval vers Djorf Torba. Par ailleurs, ces dernières années, le débit de l’oued Guir s’est considérablement réduit du fait du manque de neige sur l’Atlas marocain où cet oued prend sa source.
La politique marocaine des grands barrages mise en cause
En cause également la stratégie des grands barrages du Maroc. Elle est dénoncée par l’agro-économiste marocain, Akesbi Nadjib, pour son côté « hydrovore » car l’eau mobilisée sert principalement aux cultures d’exportation vers l’Europe comme les pastèques, les fraises et les avocats qui sont cultivés dans un environnement aride.
En évoquant en Indonésie « les préoccupations [en matière d’hydraulique] dont souffre l’Algérie, notamment à ses frontières occidentales », Taha Derbal avait en tête la situation du périmètre agricole d’Abadla et de l’alimentation en eau de la ville de Béchar. Un dossier qu’il connaît pour le suivre en personne et pour s’être déplacé à plusieurs reprises dans la région.
En mai dernier à Béchar, Taha Derbal a indiqué à l’agence APS que « le projet d’envergure de transfert des eaux albiennes du champ de captage de Guetrani (200 km au nord du chef-lieu de wilaya), vers Béchar a pour unique objectif la sécurisation de l’alimentation en eau potable des habitants de cette région du sud-ouest du pays ».
Il s’agit d’un projet d’une enveloppe budgétaire de 32 milliards de DA aux allures pharaoniques tant les défis posés aux équipes de terrain sont grands.
Actuellement, sur près de 200 km, une armada de pelleteuses réalise une tranchée devant accueillir une canalisation de gros diamètre. En plusieurs endroits, les ouvriers coulent du béton pour réaliser les stations de pompage et d’immenses réservoirs d’eau.
La volonté des autorités marocaines de tout miser sur l’exportation de fruits et de légumes en partie produits dans le sud du Maroc impacte aujourd’hui l’équilibre écologique et humain de toute la région de Béchar.
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